Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 25 mars 2024
Eau et assainissement

État des réseaux d'eau : des chiffres à prendre avec des pincettes

Intercommunalités de France a publié, la semaine dernière, une carte des « points noirs de la gestion de l'eau » pour illustrer la nécessité, selon elle, d'aller au bout du transfert de l'eau et de l'assainissement. Ses chiffres peuvent toutefois donner lieu à une toute autre lecture. 

Par Franck Lemarc

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© D.R.

Intercommunalités de France et l’Anem se sont livrées, la semaine dernière, une forme de duel à distance, par voie de communiqués, sur la question du transfert de l’eau et de l’assainissement, qui sera obligatoire au 1er janvier 2026. Côté Intercommunalités de France, on laisse entendre que la gestion communale de l’eau est synonyme de mauvais état du réseau et de fuites ; côté élus de montagne, on plaide pour le retour d’un transfert facultatif. 

Des chiffres discutables

C’est le 20 mars, à la veille de la journée mondiale de l’eau, qu’Intercommunalités de France (IdF) a publié « une nouvelle cartographie exclusive »  présentant les presque 200 services d’eau dont « le rendement est inférieur à 50 % »  – c’est-à-dire dont plus de la moitié de l’eau potable se perd pour cause de fuites dans le réseau. 

IdF rappelle que 5 667 communes exercent encore la gestion de l’eau de manière isolée, c’est-à-dire sans avoir transféré la compétence eau et/ou assainissement à leur intercommunalité. Ces communes sont « majoritairement regroupées en zone de montagne » . La carte que présente l’association montre les 198 services d’eau ayant un taux de fuite de plus de 50 %, avec la volonté évidente de montrer que ce problème a pour cause la gestion « isolée »  de l’eau : la carte montre en effet que sur ces 198 services d’eau, 151 sont en gestion communale (contre 22 en gestion intercommunale et 25 en gestion syndicale). « Une grande majorité des services d’eau concernés appartiennent à des petites communes qui gèrent l’eau à l’échelle strictement communale, de manière isolée, en particulier en zone de montagne », explique IdF, qui en tire la conclusion  suivante : « Parce que l’eau est un bien commun et que la solidarité territoriale doit être la priorité, Intercommunalités de France plaide pour le maintien du transfert obligatoire des compétences eau potable et assainissement collectif aux intercommunalités d’ici à 2026 comme prévu par la loi. »  Le transfert à l’intercommunalité permet, selon l’association, de traiter plus efficacement le problème du rendement, puisqu’il donne « l’opportunité de renforcer la programmation des investissements, notamment en vue de réduire les fuites, et pour répondre aux nombreux enjeux quantitatifs et qualitatifs qui pèsent sur la ressource en eau. » 

Comme toujours dans ce type de débat, tout est question de présentation des chiffres. La façon dont Intercommunalités de France présente les choses vise à démontrer que la gestion intercommunale de l’eau est plus efficace que la gestion « isolée ». À première vue, cela paraît évident : sur 198 « points noirs », 151 sont en gestion communale (76 %) et seulement 22 en gestion intercommunale (11 %), la messe semble dite. 

Sauf que si l’on rapporte ces chiffres à l’ensemble des services, les choses sont un peu différentes. Selon les propres chiffres d’IdF, 5 667 communes exercent elles-mêmes la compétence eau. 151 ont donc un rendement inférieur à 50 %, soit 2,6 % d’entre elles. À l’inverse, 607 intercommunalités exercent la compétence eau potable. Si l’on en croit la carte fournie par IdF, 22 de ces intercommunalités sont des « points noirs » , soit… 3,6 % d’entre elles. On pourrait donc tirer de ce calcul la conclusion exactement inverse de celle d’IdF, à savoir que la gestion intercommunale n’est pas plus gage d’efficacité qu’une gestion isolée en matière de lutte contre les fuites !

En réalité, ce calcul fait précisément apparaître que les deux chiffres sont assez similaires (2,6 % vs 3,6 %), et qu’un très mauvais rendement n’a donc pas de lien direct avec le mode de gestion, communal ou intercommunal. C'est d'ailleurs ce que confirme le rapport Sispea 2023, qui souligne que « les causes des fuites sont variées et nombreuses »  et qu'il n'y a « ailleurs pas de corrélation simple entre le taux de renouvellement (des réseaux) et la taille du service. Les très petits services (moins de 1 000 habitants) présentent néanmoins des taux de renouvellement moyens supérieurs à toutes les autres catégories. Le renouvellement se fait en effet dans certains cas de façon opportuniste, en lien avec d'autres travaux de voirie ou de réseaux divers et peut concerner un linéaire non négligeable, rapporté à un linéaire total de réseau, parfois modeste ». 

Le rapport Sispea rappelle également que la présentation de chiffres sous forme de taux de rendement est également trompeuse, car « les volumes perdus par fuites dans les grands services représentent de très grandes quantités par rapport à ceux perdus dans les petits services » . Une présentation en volume semblerait donc plus pertinente en la matière.

« Problématiques spécifiques » 

Même s'il ne cite pas l’étude d’Intercommunalités de France, qui pointait du doigt les communes de montagne, le communiqué de l’Anem publié le 22 mars semble une réponse directe à celle-ci : « Laissons aux communes de montagne la possibilité de conserver leurs compétences eau et assainissement ». 

Rappelant elle aussi l’obligation qui sera faite de transférer les deux compétences au 1er janvier 2026, l’Anem plaide – comme l’AMF – pour un assouplissement de cette obligation : elle ne se dit « pas opposée en soi au transfert de ces compétences », mais à la notion de transfert « obligatoire ». Pour l’association en effet, « imposer de façon systématique et arbitraire un transfert de compétences aux intercommunalités représente trois risques majeurs »  : le premier est « d’éloigner le service des usagers » , le deuxième, « d’augmenter le prix du service de l’eau », et le troisième, « de réduire la connaissance des réseaux d’eau et la prise en compte des enjeux spécifiques de l’eau dans les territoires de montagne ». Les élus de l’Anem rappellent que de nombreux maires de montagne « souhaitent conserver la maîtrise »  de ces compétences, « qu’ils gèrent en proximité, à la satisfaction des usagers, qu’il s’agisse du prix modéré ou de la qualité du service ». À l’appui de cette affirmation, ils publient un recueil de témoignages d’élus de montagne, qui met en lumière que « loin de justifier leur opposition au transfert obligatoire au seul motif de conserver au niveau communal une compétence supplémentaire, les motivations des élus reposent sur des arguments de fond » . Ils posent en particulier la question de la gouvernance des intercommunalités « où les communes de montagne ne sont pas majoritaires et où les spécificités de leurs problématiques ne sont pas prises en compte et parfois même mal comprises. » 

Texte sénatorial oublié

Rappelons que pour l’instant, le gouvernement se montre toujours inflexible sur le transfert obligatoire au 1er janvier 2026. Un peu d’espoir, pour l’AMF et les autres associations défendant la liberté de choix, est venu du Sénat l’an dernier avec l’adoption d’un texte permettant d’assouplir un peu le dispositif, adopté le 16 mars 2023. Ce texte visait à maintenir l’eau et l’assainissement dans les compétences optionnelles des communautés de communes. 

Ce texte a été transmis à l’Assemblée nationale, qui l’a examiné en commission des lois fin 2023 – laquelle commission des lois l’a très largement vidé de sa substance. Avant de l’oublier, puisque la proposition de loi n’a, depuis, jamais été mise à l’ordre du jour en séance publique. 

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