Le numérique : un levier pour revivifier la démocratie locale
Par Lucile Bonnin
C’est dans le cadre d’une mission d’information conduite par la présidente de la délégation, Françoise Gatel, avec le sénateur de la Manche, Jean-Michel Houllegatte, que les sénateurs ont décidé d’accorder une place aux « technologies citoyennes » dans le débat.
Ces dernières, aussi appelées Civic-tech, consistent en la mise en place d’outils numériques pour favoriser les espaces d’interactions en ligne entre les citoyens et la collectivité. Objectif : replacer au cœur du débat public le citoyen et lui donner envie d’agir dans la sphère démocratique locale.
Pour en connaître davantage sur les techniques existantes et sur les potentiels impacts que peut apporter le numérique, Katharina Zuegel, co-directrice du groupe de réflexion « Décider ensemble », a été auditionnée hier. Cette structure experte a, par exemple, mis en place un baromètre de la démocratie locale numérique, mesurant l’impact des outils en ligne sur les dernières élections municipales notamment.
Consultation et co-construction
Consultation en ligne, conseils municipaux en visioconférence, création de comptes sur les réseaux sociaux pour la collectivité… Les initiatives en matière de technologies citoyennes ne manquent pas. Le groupe de réflexion observe qu’actuellement, la Civic-tech est surtout déployée dans les plus grandes communes.
Et ce phénomène va s’accroître. Selon le baromètre, 87 % des sondés (collectivités territoriales) disposent d’une plateforme numérique, d’une application d’idéation (logiciel de collecte d’idées) ou d’un outil de sondage. 78 % souhaitent déployer des nouveaux outils numériques à la suite des élections municipales de 2020.
Les exemples d’outils et les cas concrets ne manquent pas. Les sites pour les budgets participatifs comme celui de la Ville de Paris, les plateformes pour des consultations comme celle de Mulhouse qui pousse à faire émerger des idées pour améliorer les conditions de vie ou celle déployée à Nanterre sur la question spécifique du plan vélo, des outils de concertation comme à Angers qui invite les citoyens à penser l’aménagement du jardin public… Chaque territoire a sa spécificité qu’il faut prendre en compte lors de la mise en place de ces nouveautés.
Pas un remède miracle
La démocratie numérique, Katharina Zuegel le reconnaît, peut apporter beaucoup. Pour le citoyen d’abord c’est une manière de s’éduquer à la citoyenneté, d’avoir une meilleure compréhension du fonctionnement d’une collectivité, d’avoir plus confiance en l’action publique car le numérique permet une transparence, et de pouvoir donner son avis.
Pour la collectivité, les bienfaits sont tout aussi précieux : ces outils peuvent permettre de surmonter des conflits, faciliter l’appropriation, d’agir sur le lien social, de moderniser la collectivité, d’améliorer son image auprès des citoyens…
Mais la co-directrice du groupe explique qu’il y a des idées reçues autour de ce sujet.
« Les collectivités pensent toucher une plus grande diversité d’habitants mais ce n’est pas le cas car le public qui participe en numérique s’intéresse souvent déjà à la politique. On touche souvent quand même un public d’actifs. On ne touche pas non plus forcément davantage la jeunesse. » Elle termine en expliquant que le chemin reste long notamment pour impliquer davantage la jeunesse dans la démocratie locale : « Il faut d’abord faire sentir que la parole des jeunes est légitime puis savoir comment les intéresser à la vie politique ». Les plateformes, aussi ludiques puissent-elles être, ne sont pas suffisantes.
Penser hybride
D’ailleurs, l’experte en convient avec les sénateurs : le numérique ne remplacera jamais le débat démocratique réel. Rémy Pointereau, premier vice-président chargé de la simplification des normes de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, rappelle qu’il existe « des craintes par rapport au numérique [du côté des élus]. Cela éloigne les citoyens des élus et cela ne peut pas remplacer les vraies réunions. »
Aussi le groupe de travail préconise-t-il aux collectivités locales un modèle hybride. « Le numérique n’est qu’un outil qui peut venir en complément de la vie démocratique locale existante, insiste Katharina Zuegel. Il touche un public restreint de participants et ne crée pas le même lien social. La démocratie locale ne dépend pas uniquement d’une seule démarche mais de toute une politique de participation. »
Exemples de ces démarches hybrides entre « numérique et présentiel » : à Nanterre (92), une plateforme sur les processus participatifs a été déployée en même temps qu’un lieu citoyen, ouvert en plein centre-ville, sous le nom de l’Agora. À Bordeaux (33), un contrat démocratique est en construction avec une plateforme numérique pour recueillir des idées. « Cette démarche a été doublée par une tournée d’un parlement mobile dans les quartiers et des ateliers de co-construction pour rédiger les contrats démocratiques. »
C’est tout un ensemble qui doit donc être pensé par la collectivité pour faire usage au mieux du numérique. Jean-Michel Houllegatte observe de son côté une « appétence pour participer à la vie locale et une volonté des élus de mettre en place des structures et outils pour la participation. Des maires adjoints sont de plus en plus en charge de la citoyenneté par exemple. »
Une inquiétude sur la co-construction
Si du côté du groupe de réflexion, pouvoir faire participer les citoyens directement à la construction de projets politiques est une avancée incontestable, les sénateurs émettent une réserve. C’est notamment le cas du sénateur Rémy Pointereau, ancien maire de Lazenay (Cher) : « Pour aller jusqu’à la co-construction c’est difficile. Je rappelle qu’on est élus au suffrage universel et on a un programme que l’on essaye d’appliquer. Mais s’il faut toujours aller vers une co-décision, cela risque de nous paralyser. »
Le sénateur de l’Aisne, Antoine Levèvre, partage ces doutes. « Quand bien même cette participation est la plus large possible, il y a des projets qui n’auraient jamais vu le jour en particulier dans les communes qui se sont engagées dans les nouveaux moyens de transports comme les trams par exemple. Les citoyens reconnaissent pourtant aujourd’hui que c’est un bien pour la collectivité. »
La fracture numérique laissée de côté
Pascal Martin, sénateur de la Seine-Maritime, remet au cœur du débat le problème de la fracture numérique territoriale et générationnelle. Il craint que ces outils ne renforcent « la division de la population », ou que certains « se sentent frustrés de ne pas avoir accès à cela. C’est une grande limite de cette participation numérique. »
Un problème structurel et incontournable qui exclut toute idée de faire du numérique le seul biais pour accéder et participer à la démocratie locale. Cependant, Jean-Michel Houllegatte rappelle le déploiement, dans le cadre de France Services, de 4 000 conseillers numériques dans les territoires qui pourraient - c’est une suggestion - avoir un rôle de médiateur sur la concertation numérique et la co-construction.
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