Maire-info
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Édition du mercredi 12 février 2025
Délinquance

Justice des mineurs : vifs débats en perspective à l'Assemblée nationale sur le texte de Gabriel Attal 

Une proposition de loi portée par l'ancien Premier ministre Gabriel Attal, visant à « restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents », arrive en débat aujourd'hui en séance publique à l'Assemblée nationale. Il a entretemps été en grande partie vidé de sa substance en commission de lois. Explications.  

Par Franck Lemarc

La proposition de loi des députés macronistes a été déposé en octobre 2024, un an et demi après les émeutes qui ont secoué le pays en 2023 à la suite de la mort du jeune Nahel, à Nanterre. Dans l’exposé des motifs du texte, ses auteurs expliquent : « Les violences de juillet 2024 [sic] ont profondément marqué notre pays. Parmi les émeutiers, des jeunes, parfois, très jeunes qui semblaient avoir déjà coupé les ponts avec notre société et ses valeurs de respect. Cela nous rappelle à ce sentiment qu’une partie de nos adolescents glisse, lentement, vers une forme d’isolement, d’individualisme, et parfois même vers le pire : vers une forme de violence déchaînée, décomplexée, sans règle. »  On se rappelle de la formule martiale employée quelques mois après les émeutes par Gabriel Attal, lors de sa déclaration de politique générale, pour s’adresser aux jeunes casseurs : « Tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu défies l'autorité, on t'apprend à la respecter. » 

Revoir « l’excuse de minorité » 

Ce texte vise donc à « provoquer un sursaut d’autorité », en « adaptant »  les sanctions pour les mineurs de moins de 16 ans, et surtout en « responsabilisant davantage les parents de jeunes délinquants ». « Tous les acteurs de terrain vous le diront, au premier rang desquels les maires de nos communes qui y sont confrontés : il y a (…) des parents qui n’assument pas leurs responsabilités, qui laissent prospérer la spirale de la violence. » 

Le texte initial (5 articles), proposait donc des évolutions sur ces deux terrains à la fois, avec un accent particulier mis sur la « responsabilisation »  – d’aucuns diront la punition – des parents : redéfinition du « délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales », création d’une circonstance aggravante de ce délit lorsque le mineur commet une infraction, création d’une amende civile pour les parents qui ne se rendent pas « aux audiences et auditions d’assistance éducative ». L’article 3 prévoyait d’étendre « la responsabilité solidaire de plein droit des parents pour les dommages causés par leurs enfants », en prévoyant que les deux parents sont concernés même s’ils sont séparés et que l’enfant n’habite plus chez l’un d’eux. 

Le texte prévoie également une procédure de comparution immédiate pour les mineurs, actuellement impossible. Enfin, l’article 5 « revoit les modalités d’atténuation de la peine pour les mineurs ». Rappelons que le droit prévoit aujourd’hui que pour un mineur, la peine encourue en cas de délit ou de crime est automatiquement inférieure de moitié à celle prévue par le Code pénal pour un même crime commis par un majeur – c’est ce que l’on appelle « l’excuse de minorité ». La proposition de loi prévoit, pour les jeunes de 16 à 18 ans, des possibilités de dérogation à ce principe. Elle inverse même la règle lorsqu’un crime ou un délit avec violence a été commis en récidive : dans ce cas, le texte propose que l’atténuation de la peine ne s’applique pas, sauf si le tribunal en décide autrement « par une décision spécialement motivée ». 

Vifs débats en commission

Dès sa parution, ce texte a profondément divisé, avec, d’un côté, les partisans de davantage de sévérité pour les délinquants mineurs et, de l’autre, ceux qui estiment que la justice des mineurs doit éduquer avant de punir. Témoins de ces dissensions : la Défenseure des droits, par exemple, qui a écrit à propos de cette proposition de loi qu’elle « remettrait en cause certains principes fondamentaux et amènerait la France à rompre avec ses engagements internationaux [en matière de] droits de l’enfant ». En face, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, appelant à « tourner le dos à une culture de l’excuse qui a plongé une partie de notre jeunesse dans un profond sentiment d’impunité ». Gérald Darmanin, désormais ministre de la Justice, se dit également favorable à la comparution immédiate des mineurs et à des aménagements de l’excuse de minorité. 

Ces profondes dissensions se sont exprimées lors de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a examiné ce texte le 27 novembre dernier, et a fini par supprimer un bon nombre de ses mesures les plus emblématiques.

La commission a longuement débattu des différents articles de ce texte et de leur portée juridique. Par exemple sur le fait de faire porter aux parents une part de la responsabilité des délits commis par leurs enfants – certes déjà présente dans la loi –, les membres de la commission ont relevé le caractère extrêmement sensible de ces dispositions au regard du principe de « personnalité de la peine » : on ne peut condamner une personne pour un fait qu'elle n'a pas elle-même commis. La commission a maintenu, avec un certain nombre de modifications, les deux premiers articles du texte, notamment l’amende civile pour les parents qui ne se présentent pas aux convocations ; mais elle a supprimé l’article 3 qui créait la responsabilité solidaire des deux parents. 

« Justice expéditive » 

De même, la commission a rejeté l’article 4 (possibilité de comparution immédiate pour les mineurs) et l’article 5, permettant de déroger aux règles d’atténuation des peines pour les mineurs de plus de 16 ans. L’article 4, qualifié par les députés qui y étaient opposés de disposition « infâme », a été très vivement critiqué : ses adversaires y ont vu une « justice expéditive », rappelant que les comparutions immédiates « donnent lieu dans 70 % des cas à des peines d’emprisonnement ». « Enfermer plus vite, voilà la seule réponse proposée par l’ex-ministre de l’Éducation nationale », a lancé un député à l'attention de Gabriel Attal. 

En revanche, la commission a ajouté des articles supplémentaires au texte. Notamment un article 7, qui rend obligatoire la remise d’un « rapport éducatif devant le juge des libertés et de la détention en cas de procédure d’audience unique », et un article 8, qui permettrait de « mieux encadrer la possibilité de transformer l’audience de culpabilité en audience unique ».

L’examen de ce texte, à partir d’aujourd’hui, promet donc des débats particulièrement âpres. Les articles retoqués en commission seront représentés en séance par Gabriel Attal, avec le soutien du gouvernement. Contrairement à ce qui s’est passé en commission des lois, ils pourraient cette fois être adoptés, en additionnant les voix des macronistes, des Républicains et du RN, tous favorables à ce durcissement de la justice des mineurs.

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