Économie circulaire : au Sénat, la question de la consigne au centre des débats
Les débats en séance publique sur le projet de loi Économie circulaire ont débuté hier après-midi au Sénat. Comme on pouvait s’y attendre, la discussion générale a essentiellement porté sur la question de la consigne sur les bouteilles plastique, que le gouvernement veut promouvoir alors qu’une très large majorité des sénateurs et des acteurs de la filière, collectivités territoriales en tête, y est farouchement opposée.
Rappelons qu’en commission, les sénateurs ont supprimé le dispositif voulu par le gouvernement (lire Maire info du 19 septembre), le qualifiant de « non-sens écologique et environnemental ». Les sénateurs ont notamment souligné, outre le problème de la perte considérable de recettes que le dispositif provoquerait pour les collectivités, que le système de la consigne encouragerait l’usage des bouteilles plastique à usage unique et défavoriserait le réemploi. Ils ont fustigé un projet qui conduirait à créer « deux systèmes de collecte concurrents ».
Lors de leurs interventions en séance publique, hier, plusieurs sénateurs – de tous bords politiques – ont repris ces arguments, souvent avec véhémence. Joël Bigot (socialiste, Maine-et-Loire) a dénoncé un dispositif « écrit par et pour les industriels de la boisson », une « mesure inique qui consiste à privatiser une part du service public assuré par les collectivités locales ». Claude Kern (Union centriste, Bas-Rhin), a lui aussi parlé de « cadeau aux industriels ». « On impose aux collectivités territoriales un virage à 180°, et elles auront investi à perte ».
Amendement gouvernemental
La secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, a longuement présenté le texte qu’elle porte et tenté de défendre le dispositif de la consigne, en assurant que « rien ne se fera sans les collectivités », qui seront « associées à la gouvernance du système ». Elles auront « leur mot à dire sur l’emplacement des machines de déconsignation » et pourront même « acquérir des machines et être rémunérées pour le service ainsi rendu ». Brune Poirson maintient que le système n’aurait pas de retombées financières négatives pour les collectivités, et va plus loin : il aura même « un impact financier positif », notamment parce que « les bouteilles collectées par le bac jaune pourront être déconsignées en sortie de centre de tri », donc par les collectivités elles-mêmes. Ceci pourrait, selon la secrétaire d’État, représenter « entre 50 et 124 millions d’euros par an ». Un gain qui dépendrait essentiellement de l’efficacité de la collecte, et qui ne pourrait de plus être envisagé que si était mis en place un système de déconsignation au poids – la déconsignation « bouteille par bouteille » ne pouvant être envisagée lorsqu’il s’agira de plusieurs milliers d’unités.
Tous ces éléments évoqués par Brune Poirson figurent dans un amendement que le gouvernement a proposé au Sénat. Reste à savoir s'ils répondront aux inquiétudes des collectivités qui ont massivement investi dans la modernisation de leurs centres de tri et qui craignent que la consigne les prive d’une part considérable du volume de déchets et de se retrouver à gérer des installations surdimensionnées.
Déclarations polémiques
Plusieurs propos tenus hier par la ministre, au Sénat ou dans la presse, ne sont pas de nature à calmer les polémiques. Une brève passe d’armes a par exemple eu lieu hier entre Brune Poirson et Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat. En cause, une interview de la secrétaire d’État, le matin même, à Ouest France, au cours de laquelle celle-ci a déclaré qu’en modifiant le projet de loi sur le chapitre de la consigne, « les sénateurs n’ont pas pris les dispositions nécessaires pour préserver les intérêts des collectivités » – déclaration qu’Hervé Maurey a qualifiée « d’insultante ». Mais c’est surtout la phrase suivante, dans l’interview, qui a déclenché l’ire des sénateurs : évoquant toujours les travaux de la commission présidée par Hervé Maurey, Brune Poirson a déclaré : « Le lobby des gros recycleurs, qui gère la filière en toute opacité, a bien fait son travail ! ». Furieux, Hervé Maurey a apostrophé la ministre en séance publique : « Nous serions à la solde des lobbies ? C’est purement et simplement diffamatoire. Si on doit parler lobbies, parlons-en ! Quand on a demandé au gouvernement une étude sur la consigne, qu’est-ce qu’on a eu, à part une étude fournie par les producteurs de bouteilles ? Et pour ce qui est des demandes de lobbies, nous avons surtout reçu des messages de Coca-Cola nous expliquant combien votre dispositif était pertinent. » La secrétaire d’État a choisi de « ne pas répondre », plaidant « la naïveté de la sincérité ».
Enfin, une autre déclaration a fait beaucoup réagir hier les spécialistes de ce sujet. Devant les sénateurs, Brune Poirson a affirmé que les élus ne savent pas forcément « où finissent les plastiques qu’ils vendent ». « Savent-ils seulement qu’ils finissent encore trop souvent en Asie ? (…) Les maires peuvent-ils regarder droit dans les yeux leurs administrés en disant : ‘’Je sais parfaitement où vont vos déchets, je sais qu’ils ne vont pas en Asie’’ ? »
Il semble bien que la réponse soit oui. Depuis des années, il existe en effet un système de traçabilité qui permet de savoir précisément où vont les déchets d’emballage collectés. – et qui donne même lieu à un rapport, qui est confirmé par l’Ademe et transmis au ministère. La question de la secrétaire d’État soulève donc bien des interrogations : rappelons-le, les collectivités ne sont rémunérées que sur les emballages effectivement recyclés, après remise d’un certificat de recyclage par Citéo, qui doit contractuellement garantir que le recyclage a été fait en France ou en Europe. Si les déchets recyclés se retrouvaient effectivement « en Asie », cela signifierait-il que les services du minsitère auraient identifié une défaillance – voire des fraudes – dans le système des certificats ? La question mérite d'être posée.
Franck Lemarc
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