Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du lundi 27 mai 2024
Décentralisation

Le Sénat propose de réviser la Constitution pour faciliter la « différenciation »

Un rapport sénatorial revient une fois encore sur la question de la « différenciation », c'est-à-dire de la possibilité d'adapter les normes en fonction de certaines spécificités locales. Pour les rapporteurs, cette possibilité ne pourra réellement être appliquée qu'après une modification de la Constitution. 

Par Franck Lemarc

La loi 3DS du 21 février 2022 avait, entre autres, pour objectif de permettre davantage de différenciation, c’est-à-dire « d’adaptation des normes et des compétences à la diversité des territoires ». Deux ans plus tard, la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat publie un rapport pour faire le point sur l’application de cette loi, d’une part, et dessiner des perspectives pour l’avenir, d’autre part. 

Maigre bilan de la loi 3DS

Les sénateurs Françoise Gatel et Max Brisson, signataires du rapport, rappellent qu’il n’a pas fallu attendre la loi 3DS pour que des possibilités de différenciation soient permises dans la loi : les lois Littoral (1986) ou Montagne (1985) avaient déjà permis des dérogations au droit commun dans certains territoires spécifiques. Toute la question, dans ce débat, est de trouver un équilibre entre le principe constitutionnel d’égalité et l’existence de conditions objectives différentes d’un territoire à l’autre rendant problématique une application uniforme de la loi. De fait, la différenciation existe à tous les étages de la loi – ne serait-ce qu’avec les seuils de population. Pour ne prendre qu’un exemple, le fait que le mode d’élection d’un conseil municipal ne soit pas le même dans une commune de plus de 1000 habitants et de moins de 1000 habitants est, précisément, une forme de « différenciation ». 

Mais le débat va, aujourd’hui, plus loin, puisque la question est de savoir si une différenciation peut s’exercer dans l’exercice des compétences. La loi 3DS, à l’article 2, a permis aux régions et aux départements de « présenter des propositions tendant à modifier ou adapter des dispositions législatives ou réglementaires »  concernant leurs compétences, leur organisation ou leur fonctionnement. Ces demandes doivent être transmises au Premier ministre et, lorsqu’elles concernent des dispositions législatives, aux présidents des deux chambres. 

Ces dispositions n’ont pas – c’est le moins que l’on puisse dire – rencontré un succès fulgurant. Plus de deux ans après la loi 3DS, indique la mission, seules trois demandes sont remontées au Premier ministre, venant des régions Occitanie et Île-de-France et du département de la Lozère. La région Occitanie, par exemple, a demandé à pouvoir élaborer « un plan régional de santé »  ; le département de la Lozère a, entre autres, demandé le transfert à son profit de la maîtrise d’ouvrage des retenues de stockage d’eau. 

Les rapporteurs notent que, parfois plus de 18 mois après leur demande, les collectivités concernées n’ont pas reçu la moindre réponse du Premier ministre. 

La rareté de ces demandes et le manque de réponse de l’État central conduisent les rapporteurs à formuler plusieurs propositions, au premier rang desquelles la nécessité pour l’État de mieux faire connaître ces dispositions – largement méconnues – aux élus. Ils suggèrent notamment l’élaboration d’un guide à destination des élus, et la mise en place d’une procédure au travers de laquelle l’État pourrait réellement accompagner les collectivité et leur faciliter la tâche. Par ailleurs, les rapporteurs demandent que l’État réponde « obligatoirement »  à ces demandes « dans un délai de six mois »  maximum et de façon motivée. 

Si toutes ces conditions étaient remplies, jugent les rapporteurs, il pourrait être envisageable d’étendre ces dispositions aux communes. 

Réforme constitutionnelle 

Reste que le bilan de l’application de la loi 3DS, en la matière, est jugé « décevant »  par les sénateurs, qui ne s’en étonnent pas : « Comme l'avait alors souligné la commission des lois du Sénat, faute d'avoir mené à bien une révision constitutionnelle nécessaire et consensuelle dans son principe, le projet du gouvernement pêche par son manque d'ambition » . Françoise Gatel et Max Brisson remettent donc sur le métier l’idée d’une révision constitutionnelle permettant « d’autoriser les collectivités territoriales de même catégorie d’exercer des compétences différentes » . Ils recommandent, une nouvelle fois, de réviser l’article 72 de la Constitution dans ce sens, mais « sans créer un droit d’exception qui viendrait mettre à mal les principes d’unité et d’indivisibilité »  de la République. 

L’idée serait de pouvoir dépasser une difficulté majeure : aujourd’hui, comme l’a tranché le Conseil constitutionnel, une différenciation sur les compétences n’est possible qu’à partir du moment où le législateur « justifie que la (collectivité) concernée sur trouve dans une différence objective de situation par rapport aux autres » . Or, notent les sénateurs, cette notion de « différence objective de situation »  est floue et « introuvable »  en droit. En faisant évoluer l’article 72 de la Constitution, il deviendrait possible à une collectivité de déroger de droit, « pour un objet limité »  et de façon pérenne. 

Par ailleurs, les rapporteurs prônent pour un renforcement du « pouvoir réglementaire local »  : le Sénat plaide depuis longtemps pour que, dans les matières relevant de leurs compétences, les collectivités puissent disposer d’un pouvoir réglementaire en lieu et place du Premier ministre – qui ne serait chargé de l’application des lois « que s’il y a été expressément habilité par la loi ». 

Ces dispositions sont d’ailleurs prévues dans une proposition de loi constitutionnelle, déposée au Sénat le 22 mars dernier et co-signée par les sénateurs Darnaud, Buffet, Gatel et Husson. La première partie de ce texte contient des propositions de réécriture de l’article 72 de la Constitution, sur l’exercice des compétences. La seconde partie vise à inscrire dans la Constitution l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, comme le réclame de longue date l’AMF. 

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