Il est désormais obligatoire d'informer les familles avant une crémation, en cas de reprise de sépulture en terrain commun
Par Franck Lemarc
Le Code général des collectivités territoriales fixe des règles claires sur la reprise de sépulture : dans un certain nombre de cas, le maire a la possibilité de reprendre une sépulture par arrêté. Ce peut être le cas à l’échéance d’une concession temporaire par exemple, ou bien lorsqu’une concession, même perpétuelle, est « à l’état d’abandon ». Ou encore, pour une sépulture en terrain commun, à l’issue d’un délai de cinq ans. Une fois la sépulture reprise par la commune, il devient possible d’y établir une nouvelle sépulture. Cette reprise a pour conséquence l’enlèvement des objets, signes et monuments funéraires, ainsi que l’exhumation du corps du défunt.
Que deviennent alors les restes du défunt ? C’est l’article L2223-4 du CGCT qui fixe les règles : le maire doit affecter dans le cimetière, par arrêté, « un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés ». Mais – et c’est sur ce point que le Conseil constitutionnel a été saisi – , il peut également « faire procéder à la crémation des restes exhumés en l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt ».
Contrairement aux terrains concédés, la reprise d’un terrain commun et le traitement des restes exhumés ne sont subordonnés qu’à un simple arrêté du maire. Il n’y a aucune obligation pour les communes d’informer les proches du défunt inhumé en terrain commun de l’expiration de son droit à sépulture à l’issue du délai de rotation, et du fait qu’en cas de reprise de la sépulture, l’exhumation est susceptible d’aboutir à la crémation des restes du défunt
Les proches, n’étant pas informés de l’intention du maire, sont donc dans l’incapacité de signaler l’éventuelle opposition du défunt à la crémation.
L’objet du litige
À l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité qui a été posée aux Sages, on trouve un litige entre un particulier et la mairie de Paris.
La mère du plaignant est décédée en 2012 et a été inhumée en terrain commun dans un cimetière appartenant à la Ville de Paris. Cinq ans plus tard, comme la loi l’autorise, la sépulture a été reprise. Le corps a donc été exhumé, puis incinéré et les cendres ont été dispersées, et ce sans demander l’approbation du fils de la personne décédée. Celui-ci a donc estimé que lui-même et sa mère avaient subi un préjudice moral et a exigé une réparation – ce que le tribunal administratif de Paris a validé en condamnant la mairie de Paris à lui verser 5 000 euros.
La mairie de Paris a fait appel de cette décision. La cour administrative d’appel de Paris lui a donné raison, en 2023, estimant que la reprise de la sépulture au bout de cinq années tout comme la crémation des restes est autorisée par la loi, et surtout que « aucune disposition législative ou règlementaire ne lui impose d'en informer au préalable la famille ». La première décision du tribunal administratif a donc été annulée.
L’affaire est remontée jusqu’au Conseil d’État, qui a fini par demander au Conseil constitutionnel son avis sur la constitutionnalité de l’article L2223-4 du CGCT et l’absence d’obligation d’information préalable, au regard, notamment, de la liberté de conscience des personnes et du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Dispositions inconstitutionnelles
Les Sages ont finalement donné raison au plaignant, en estimant que les mots « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » ne sont pas conformes à la Constitution.
Les Sages rappellent que selon le préambule de la Constitution de 1946, « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », et que « le respect dû à la dignité de la personne humaine ne cesse pas avec la mort », comme il est dit à l’article 16-1-1 du Code civil (« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence » ).
Le CGCT, dans sa rédaction actuelle, ne prévoit pas dans le cas évoqué « d’obligation pour le maire d’informer les tiers susceptibles de faire connaitre leur opposition à la crémation ». En conséquence, « les dispositions contestées ne permettent pas de garantir que la volonté attestée ou connue du défunt est effectivement prise en compte avant qu’il soit procédé à la crémation de ses restes. Elles méconnaissent ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. »
La formule « en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt » est donc « contraire à la Constitution ». En conséquence, elle va être abrogée – mais pas tout de suite.
En effet, si ces mots sont retirés de l’article L2223-4 du CGCT, il ne restera plus que : « Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés », sans autre précision. Ce qui aurait l’effet exactement contraire à celui recherché : la loi autoriserait alors le maire à procéder à la crémation des restes exhumés même en cas d’opposition du défunt ! Pour éviter cette possible dérive, le Conseil constitutionnel a décidé que l’abrogation de la formule contestée n’aurait lieu que le 31 décembre 2025, afin de donner au législateur le temps de rédiger autrement la loi.
D’ici là, il enjoint les maires à « informer par tout moyen utile les tiers susceptibles de faire connaître la volonté du défunt du fait qu’il envisage de faire procéder à la crémation des restes exhumés à la suite de la reprise d’une sépulture en terrain commun ». Notons d’ailleurs que l’AMF, sur ce sujet, recommande aux maires de ne pas procéder à la crémation sauf s’ils sont sûrs de la décision du défunt sur ce point.
Enfin – et heureusement pour les communes concernées –, le Conseil constitutionnel rappelle qu’une telle décision ne peut être rétroactive : les mesures prises par des maires avant la publication de cette décision (soit avant le 1er novembre 2024) « ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
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