Drogues : dix-huit mois après, quel bilan pour le Plan national de lutte contre les stupéfiants ?
Elle occupe chaque mois une place de choix dans la présentation de son action à la tête du ministère de l’Intérieur. Comme Nicolas Sarkozy, l’un de ses mentors, en son temps, Gérald Darmanin a fait de la lutte contre les trafics de stupéfiants une de ses « priorités ». Celle-ci est menée, depuis la présentation en septembre 2019 du Plan national de lutte contre les stupéfiants, par l’Office anti-stupéfiant (OFAST).
L’OFAST est « complètement installé »
Rattaché au ministère de l’Intérieur, il est « désormais complètement installé, a précisé Gérald Darmanin, hier au sortir du Conseil des ministres. 160 agents constituent l’échelon central de cet office composé de policiers, de gendarmes et de douaniers. Son action est relayée par treize antennes et onze détachements, dont six nouvelles antennes créées au Havre, à Montpellier, à Perpignan, à Mulhouse, à Nantes et à Grenoble et deux nouveaux détachements créés à La Réunion et à Tahiti en 2021 ».
Cette nouvelle organisation, mise sur pied au cours de ces dix-huit derniers mois, aurait produit des « résultats ». Gérald Darmanin a souligné « le succès de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) en matière de stupéfiants », dont certaines voix avaient dénoncé le caractère « contre-productif en termes de santé publique » . L'AMF et le Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU) les rejoignent : « Même si le volet répressif est important, il montre ses limites ». Ils regrettent que le Comité interministériel de la ville, réuni le 29 janvier à Grigny (Essonne) « se concentre uniquement sur cet aspect et n’ouvre pas suffisamment le débat. ».
En attendant, l'amende forfaitaire délictuelle, déployée depuis le 1er septembre 2020, « est un outil simple et efficace de sanction de l’usage de stupéfiants (amende forfaitaire de 200 €, délit inscrit au casier judiciaire). 27 295 AFD ont été délivrées en 2020 (elles s’ajoutent aux 153 988 faits d’usages constatés par d’autres moyens), 45 459 au 5 mars 2021 ».
Près de 4 000 points de deal identifiés, 301 « déstabilisés »
Toute cette semaine, Gérald Darmanin a défendu cette politique de répression. « La loi de la République sera toujours plus forte que celle des dealers », a-t-il réagi dimanche au lendemain d’une nuit de violence à Bron (Rhône), dans l’agglomération lyonnaise. « Nous ne pouvons pas laisser les trafiquants empoisonner et ternir l'image de certains quartiers. Depuis deux mois, 640 interpellations découlent de notre lutte contre le trafic de stupéfiants. Le travail des forces de l’ordre dérange les trafics, et nous allons continuer », promettait-il encore, à l’Assemblée nationale, quarante-huit heures plus tard.
Rebelote, hier, lors de la communication faite à l'issue du Conseil des ministres. Le locataire de la place Beauvau a souligné le « succès » de l’opération de déstabilisation des points de deal (*) « Point break », menée en janvier 2021. « 301 points ont fait l’objet d’une opération de déstabilisation (98 dans le seul département des Bouches-du-Rhône) permettant le placement de 647 personnes en garde à vue et l’écrou de 164 personnes », s’est enorgueilli le ministre. Au total, depuis le début de leur recensement par les 103 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS), 3 952 points de deal ont été identifiés en France à ce jour. Un chiffre qui pourrait encore « progresser grâce à la possibilité offerte depuis le 3 mars à nos concitoyens de signaler ces points sur moncommissariat.fr et magendarmerie.fr », a-t-il rappelé.
La légalisation du cannabis pas d’actualité malgré l’évolution des mentalités
Depuis sa nomination au début de l’été dernier, l’ancien maire de Tourcoing (Nord) multiplie les déclarations volontaristes, les annonces sur les saisies (96 tonnes de cannabis, 13 tonnes de cocaïne, 1,1 tonne d’héroïne, 1,2 million de comprimés d’ecstasy et 700 kg d’amphétamines ont été saisis en 2020) et les « coups de communication », dixit Éric Piolle. On se souvient, en effet, de sa passe d’armes, fin août 2020, avec le maire écologiste de Grenoble, qu’il accusait « d’angélisme » après une opération de police menée dans le quartier Mistral. Ou de l’expression qu’il a utilisée, dans L’Union, pour qualifier le cannabis. « Je ne peux pas, en tant que ministre de l’Intérieur, en tant qu’homme politique, dire à des parents qui se battent pour que leurs enfants sortent de l’addiction à la drogue, que l’on va légaliser cette merde. Et je dis bien "cette merde" ». Une fin de non-recevoir adressée au maire de Reims (Marne), Arnaud Robinet, qui avait proposé une « réflexion sérieuse » autour de sa « légalisation ».
Sur le sujet, les mentalités ont pourtant évolué : selon la grande consultation citoyenne, menée en parallèle aux travaux de la mission parlementaire sur les usages du cannabis et soutenue par la Fédération Addiction, « 80,8 % des répondants se disent d’accord avec une autorisation de la consommation et de la production dans un cadre régi par la loi, 13,8 % se déclarent favorables à une dépénalisation. A l’inverse, seuls 4,6 % sont pour un renforcement des sanctions et seulement 0,8 % pour le maintien du cadre légal en vigueur ».
Si la légalisation du cannabis n'est pas d'actualité, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé qu'il présiderait au printemps 2021 un comité interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants « afin de faire le point sur la mise en œuvre du plan interministériel et d’engager de nouvelles actions ». « D’autres pistes doivent être explorées afin de trouver le dispositif le mieux adapté aux besoins en matière de santé et sécurité, plaident l'AMF et le FFSU. Ainsi, le démantèlement des points de deals ne sera efficace que s’ils s’accompagnent de mesures sociales adaptées et d’une politique de rénovation urbaine dynamique ».
Ludovic Galtier
(*) Est considéré comme un point de deal, tout lieu de vente de produits stupéfiants installé sur la voie publique avec une présence de dealers quotidienne.
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