Vanik Berberian, infatigable défenseur des maires ruraux
Vanik Berberian aimait à dire qu’il avait été élu maire « par accident » : en 1989, aucun candidat ne s’était déclaré pour succéder au maire sortant de sa commune de Gargilesse-Dampierre, dans l’Indre. Vanik Berberian s’est présenté, sans doute sans savoir alors qu’il deviendrait un jour le représentant national des maires ruraux et un interlocuteur direct du président de la République.
« Vivre en Ruralie »
Vanik Berberian est né à Paris le 20 septembre 1955. Son père, égyptien d’origine arménienne, lui a transmis un attachement profond pour l’Arménie, dont il a été un ardent défenseur pendant toute sa vie et où il se rendait plusieurs fois par an. Il a fait sa scolarité au collège arménien de Sèvres, avant de devenir éducateur spécialisé, puis agent de développement en milieu rural, et enfin d’obtenir, après une formation au Cnam, un diplôme d’économie en gestion des collectivités locales.
Vanik Berberian s’est installé dans le Berry au début des années 1980, choisissant « d’aller vivre en Ruralie », selon une expression qu’il affectionnait.
Devenu maire de Gargilesse-Dampierre en 1989, puis président des maires ruraux de l’Indre en 1995, il a été constamment réélu depuis – y compris en 2020, alors qu’il était déjà gravement malade, mais animé par la volonté de rester maire jusqu’au bout.
C’est en 2008 que Vanik Berberian a été élu à la présidence de l’AMRF, « qu’il a fait grandir pour en faire un réseau dynamique et majeur dans la vie des collectivités territoriales », comme l’écrivait hier, sur Facebook, celui qui a pris sa succession, Michel Fournier.
« Nous ne demandons pas l’aumône »
Vanik Berberian s’est engagé sur tous les sujets touchant à la ruralité, du développement du numérique à la présence des services publics, des transports aux questions de fiscalité. Chaleureux et énergique, peu adepte de la langue de bois, il pouvait aussi se montrer tranchant dès qu’il sentait un soupçon de « parisianisme » ou de condescendance pour la ruralité chez ses interlocuteurs. Vanik Berberian ne demandait pas « un soutien aux territoires ruraux, nous ne demandons pas l’aumône », expliquait-il à Maire info en 2017, mais simplement « d’avoir les moyens de nous développer au même titre que les autres ». Dans cet entretien, Vanik Berberian avait résumé son refus de voir les territoires ruraux considérés par l’État comme des zones sous-développées à « aider » par une formule lapidaire, mais exprimant parfaitement la vision qu’il a défendue toute sa vie : « Il faut arrêter de regarder les territoires ruraux avec les yeux de la coopération décentralisée. »
L’agenda rural
Le dernier grand combat de Vanik Berberian a été, dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes, de participer à la mise en œuvre de l’Agenda rural.
Alors que ce mouvement battait son plein, pendant l’hiver 2018-2019, et que les ronds-points étaient occupés par des milliers de manifestants, Vanik Berberian avait, avec d’autres maires de l’AMRF, lancé l’idée des « cahiers de doléance » ouverts en mairie. C’est entre autres le succès rencontré par cette initiative qui a conduit le président de la République à organiser le Grand débat national pour aller dialoguer directement avec les maires et les citoyens, notamment dans les territoires ruraux. L’une de ces rencontres – avec des maires de l’Indre – sera organisée, le 14 février 2019, dans la commune même de Gargilesse-Dampierre, ce qui représentait une forme d’hommage du chef de l’État à Vanik Berberian. Emmanuel Macron, quelques mois plus tard, avait lui-même décoré le président de l’AMRF de la Légion d’honneur.
C’est à la suite du Grand débat que l’exécutif a retenu l’idée de mettre au point un « agenda rural », confiant cette mission à une commission de cinq élus, dont Vanik Berberian pour l’AMRF, aux côtés de Cécile Gallien et Pierre Jarlier pour l’AMF. Si Vanik Berberian n’a pas pu aller au bout de cette mission, déjà affaibli par la maladie (il y sera par la suite remplacé par Dominique Dhumeaux, président des maires ruraux de la Sarthe), il est néanmoins considéré comme l’un des inspirateurs des 200 propositions rendues en juillet 2019 au gouvernement.
Deux mois plus tard, à Eppe-Sauvage, dans le Nord, lors du Congrès de l’AMRF, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait que le gouvernement retenait 176 des 200 propositions de la mission. Maire info avait alors rencontré Vanik Berberian : s’excusant d’être trop affaibli pour pouvoir répondre à nos questions, il nous avait dit vouloir « garder un peu d’énergie pour la tribune ». Et pendant son discours, en effet, le maire de Gargilesse-Dampierre avait retrouvé toute son énergie et son franc-parler pour fustiger devant le Premier ministre « 40 ans de jacobinisme intellectuel », pour enjoindre celui-ci à « sortir de l’esprit de la loi Notre, véritable catastrophe territoriale », et concluant : « Il ne faudra pas seulement des annonces, il faudra un calendrier et des moyens ! Le potentiel des territoires ruraux n’est plus à promouvoir, il est à libérer. »
Réactions
De nombreux élus ont salué, sur les réseaux sociaux, la mémoire de Vanik Berberian – sa « ténacité », sa « bienveillance », mais aussi l’humour de celui qui, après s’être fait poser un défibrillateur après un accident cardiaque, avait pris comme pseudonyme sur Twitter « @defibrilators ».
Dans un communiqué publié en fin de matinée, le président de la République a salué la mémoire d'un homme qui « avait fait de la défense de la ruralité son étendard », « un homme qui, tous les matins, prenait son café au bistrot du village, parce qu’il aimait cette convivialité et parce qu’il tenait à être un maire à ''portée d’engueulades'' ». A propos de l'épisode des Gilets jaunes, l'Élysée rappelle que « avec l’opération ''mairie ouverte'', il fut de ceux qui surent transformer la colère en une énergie capable de construire des solutions. A un moment où il n’aurait dû se soucier que de sa santé, il consacra toutes ses forces à son pays ».
Jean Castex salue, lui, un homme qui « aimait passionnément la France et ses territoires », et dont « le combat pour la ruralité et pour ses habitants restera un exemple et un modèle d’engagement ».
Le bureau de l’AMF a rendu hier « hommage à la mémoire de Vanik Berberian, acteur engagé et passionné au service des communes rurales. » François Baroin, président de l'AMF, fait part ce matin à Maire info de « sa profonde tristesse » à l'annonce du décès « d'un élu remarquable de sincérité, de passion et d’engagement. Énergique et courageux, sensible et intransigeant, il laisse une trace durable dans le réveil des consciences en faveur de notre ruralité, il laisse sa marque profonde à Gargilesse qu’il incarnait si bien. »
Michel Vergnier, trésorier de l’AMF, salue ce matin auprès de Maire info « un ami de combat ». Très ému, l’ancien maire de Guéret (Creuse) retient de Vanik Berberian « sa profonde sincérité ». « Vanik était régulièrement invité à participer aux réunions des instances de l’AMF, où il apportait sa vision, complémentaire. Je suis, tout comme François Baroin, de ceux qui pensent qu’il faut additionner les forces, que nos associations sont complémentaires et non rivales. Ce que nous partagions, profondément, c’est une volonté acharnée de défendre les communes, et en particulier les plus petites d’entre elles. Les combats qu’il menait, il y croyait, profondément. »
Franck Lemarc
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