Difficultés de s'assurer pour les collectivités : lancement d'une mission pour trouver des solutions « pérennes »
Par Franck Lemarc
Hier encore, lors des questions au gouvernement au Sénat, le sujet a été abordé : « Une nouvelle difficulté surgit [pour les maires] : s'assurer. Les cotisations flambent. En Meurthe-et-Moselle, un maire reçoit une lettre de résiliation. Dans le Nord, un autre peine à obtenir réparation des années après une catastrophe naturelle. Après les émeutes, le maire d'Arcueil voit sa franchise passer à 2 millions d'euros. Or les risques se multiplient – émeutes, inondations, entre autres. Les compagnies, de moins en moins nombreuses, leur font faux bond. Des communes se retrouvent sans assurance et ne peuvent plus prétendre au régime de catastrophe naturelle. » C’est ainsi que sénateur LR de la Somme, Laurent Somon, a apostrophé la ministre chargée des Collectivités territoriales, Dominique Faure. La ministre n’a pas nié le problème : « Vous avez raison : de nombreuses collectivités rencontrent des difficultés à s'assurer. C'est un problème, car toutes n'ont pas les moyens de s'auto-assurer. » Elle a néanmoins plutôt pris parti pour les assureurs, mentionnant le coût des émeutes pour la Smacl (« 46 millions d’euros » ) : « Les assureurs ont leur propre modèle économique, on ne peut leur reprocher de résilier. »
Résiliations pour hausse de la sinistralité
Le problème est loin d’être nouveau, même s’il s’aggrave. Déjà en 2019, une sénatrice de la Haute-Savoie interrogeait le gouvernement sur ce sujet : « De nombreuses communes (passent) des marchés publics pour la conclusion de contrats d'assurance couvrant leurs risques et sinistres. (…) Or lorsque la sinistralité est élevée, certaines compagnies font application des dispositions du Code des assurances pour résilier le contrat. »
Le droit les y autorise : contrairement aux autres marchés publics, les marchés d’assurance peuvent faire l’objet d’une résiliation en cours d’exécution. L’article 113-4 du Code des assurances dispose en effet qu’« en cas d'aggravation du risque en cours de contrat, telle que, si les circonstances nouvelles avaient été déclarées lors de la conclusion ou du renouvellement du contrat, l'assureur n'aurait pas contracté ou ne l'aurait fait que moyennant une prime plus élevée, l'assureur a la faculté soit de dénoncer le contrat, soit de proposer un nouveau montant de prime. »
Face à cette situation, le gouvernement conseillait, en 2019, d’anticiper : « Une grande précision dans la définition préalable de son besoin par le pouvoir adjudicateur constitue l'un des meilleurs moyens de se prémunir contre le jeu de ces dispositions. Les communes ont ainsi tout intérêt, lors de cette phase, à établir un état de sinistralité recensant de manière exhaustive les risques auxquels elles sont exposées et précisant leur évolution, puis à sélectionner ceux pour lesquels une assurance apparaît nécessaire. »
Cela n’est déjà pas si simple, car de nombreuses communes ne disposent pas des moyens juridiques pour le faire. Dans ce cas, le gouvernement suggère de mutualiser entre communes (groupement de commandes) ou à l’échelle de l’EPCI, via la procédure dite de « services communs ».
Mais au-delà, il n’est pas possible de tout prévoir : la sinistralité peut augmenter du fait d’événements aussi imprévisibles que la crise des Gilets jaunes, ou encore des catastrophes naturelles qui se produisent dans des régions qui n’y étaient pas soumises jusque-là. Le problème reste donc non seulement entier, mais s’aggrave.
Mission de service public
Face aux remontées très nombreuses que l’AMF a reçues sur ce sujet, ces derniers mois, le comité directeur de l’AMF a chargé le président de l’association, David Lisnard, d’en référer au gouvernement. C’est à la suite de ce contact avec Bruno Le Maire que les ministères concernés (celui de l’Économie et celui de la Cohésion des territoires) ont décidé de lancer une mission sur l’assurabilité des collectivités territoriales. Cette mission, officiellement lancée hier, a été confié, sur proposition de l'AMF, au maire de Vesoul, Alain Chrétien, co-président de la commission Développement économique, commerce et tourisme de l’association ; et à Jean-Yves Dagès, ancien président de la fédération nationale Groupama et membre du Cese.
« L’objectif de cette mission, c’est d’abord d’établir un diagnostic commun pour circonscrire la problématique », explique ce matin Alain Chrétien à Maire info, « puis de proposer des mesures pour mettre un terme à ces pratiques ». Pour le maire de Vesoul, il y a bien « une montée en tension » sur la question des assurances, qui se fait particulièrement sentir depuis les émeutes de fin juin, mais est plus ancienne : les tensions sociales (Gilets jaunes, manifestations contre la réforme des retraites) et le réchauffement climatique sont autant de causes d’une augmentation de la sinistralité qui poussent certains assureurs ou bien à se retirer du jeu, ou bien à faire monter en flèche leurs tarifs ou le montant des franchises. Alain Chrétien lui-même s’est vu tout récemment notifier, unilatéralement et sans explication, que le contrat d’assurance des véhicules de sa commune serait résilié au 1er janvier 2024 ! « J’ai suffisamment protesté pour qu’ils m’accordent un délai de 6 mois supplémentaires, mais après ? »
Tout le problème est qu’en matière d’assurance, les règles sont les mêmes pour les collectivités locales et pour les autres assurés. « Sauf que les collectivités ne sont pas tout à fait des assurés comme les autres, plaide le maire de Vesoul. Elles doivent assurer une mission de service public. Si par exemple nous ne pouvons pas assurer nos véhicules, nous sommes dans l’impossibilité d’assurer cette mission. »
Après une phase de recensement des problèmes et de dialogue – notamment avec le médiateur de l’assurance –, la mission va réfléchir à des solutions. Celles-ci pourraient aller jusqu’à des changements dans la loi. « Faut-il créer des contrats d’assurance d’intérêt général, qui seraient dérogatoires du droit commun ?, s’interroge Alain Chrétien. Voire créer un assureur spécifique pour les collectivités qui serait adossé à l’État ? » Toutes les questions vont être posées par la mission, qui a quelques mois pour rendre ses travaux. Combien ? La réponse n’est pas extrêmement claire : au Sénat hier, la ministre Dominique Faure a parlé de « février », tandis que le communiqué de Bercy publié hier mentionne « avril ». Quoi qu’il en soit, la mission est déjà au travail : Alain Chrétien s’entretiendra dès cet après-midi avec le médiateur de l’assurance, Arnaud Chneiweiss.
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