Développer la « pratique avancée » pour lutter contre les déserts médicaux
Par Franck Lemarc
Cette proposition de loi du groupe Renaissance, qui a le plein soutien du gouvernement, a été déposée à l’automne dernier. Elle vise, a expliqué la députée du Loiret Stéphanie Rist, à trouver « des solutions à très court terme » pour assurer la permanence des soins, via « des protocoles de coopération et le développement de la pratique avancée ». Ce terme, rappelons-le, désigne le fait de permettre à des professionnels paramédicaux (infirmiers, kiné, sage-femmes, etc.), d’exercer des missions jusque-là réservées aux seuls médecins.
Pratique avancée
Le texte – adopté par l’Assemblée nationale en janvier – vise à permettre l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), dans le cadre d’un exercice coordonné (à l’exception des communautés professionnelles territoriales de santé), c’est-à-dire à faire en sorte que les patients puissent y accéder sans passer par la prescription d’un médecin. Les IPA « praticiens » (nouvelle caractérisation créée par la proposition de loi) « pourraient avoir pour mission d’intervenir en première ligne sur des pathologies courantes identifiées comme bénignes en soins primaires sur la population générale ».
Le texte crée le même dispositif pour les kinésithérapeutes, notamment afin « d’éviter certaines consultations médicales pour les troubles musculosquelettiques ou la petite traumatologie notamment pour les actes les plus fréquemment réalisés (lombalgie commune, entorse de la cheville, prothèse de hanche, épaule opérée) », et pour les orthophonistes. Il crée également la profession « d’assistant en médecine bucco-dentaire ».
« Responsabilité collective »
Lors de son examen à l’Assemblée nationale, le texte a fortement enflé, passant de 5 à 18 articles, du fait notamment de l’ajout de plusieurs dispositions par amendements gouvernementaux.
Le gouvernement a par exemple introduit dans le texte la notion de « responsabilité collective de la permanence des soins » : un nouvel article dispose que les établissements de santé ainsi que les médecins et professionnels paramédicaux « sont responsables collectivement de la permanence des soins ». Explications du gouvernement : « Cela permettra de garantir à nos concitoyens un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux en répartissant cet effort entre toutes les structures et tous les médecins d’un territoire. »
Autre ajout : toujours pour renforcer l’accès aux soins, le gouvernement a créé une notion de reconnaissance de « l’engagement territorial des médecins ». Il s’agit de définir « les modalités appropriées de reconnaissance et de valorisation de ces professionnels qui s’engagent en faveur de la coopération, l’accès aux soins de proximité, aux soins non programmés, avec des pratiques tarifaires maitrisées ».
Un autre amendement vise à élargir les possibilités d’accès à la profession de préparateur en pharmacie. « Ces nouveaux profils de préparateur en pharmacie d’officine, aux compétences d’éducateur en santé plus solides, permettront de prodiguer des conseils plus qualitatifs sur les prescriptions dispensées. »
Enfin, le gouvernement propose de reconnaître aux assistants de régulation médicale « la qualité de profession de santé », eu égard à « leur participation renforcée à l’organisation du système de soins ».
Les ajouts du Sénat
Arrivé au Sénat, en février, le texte a de nouveau été fortement remanié, en commission et en séance publique. Si les sénateurs ne se sont pas frontalement opposés au dispositif prévu, ils ont souhaité « l’encadrer », de façon à « conserver le rôle central du médecin dans la coordination et le suivi des soins ».
Le Sénat a supprimé la notion de « responsabilité collective de la permanence des soins », jugée « inutilement inquiétante » et surtout « dénuée d’effet ». Il a également supprimé la « valorisation de l’engagement territorial » des médecins, expliquant que « le périmètre des conventions médicales permet d'ores et déjà de rémunérer l'engagement des médecins en faveur de l'accès aux soins ».
A contrario, le Sénat a ajouté quelques dispositions nouvelles : par exemple, l’élargissement de l’autorisation pour les opticiens-lunettiers d’adapter la prescription d’un ophtalmologue ; ou encore la pérennisation de l’autorisation donnée aux pharmaciens d’administrer les vaccins contre la grippe, le covid-19 et la variole du singe.
Les sénateurs ont enfin introduit une nouvelle disposition, ayant aussitôt reçu le surnom de « taxe lapin ». Il s’agit d’indemniser les médecins faisant face à un rendez-vous non honoré (qui seraient au nombre de 28 millions par an). Le dispositif envisagé est que l’Assurance maladie paye tout ou partie des honoraires au médecin, et que cette somme soit mise à la charge des patients qui ne sont pas venus au rendez-vous, sous forme de « prélèvements sur les remboursements ultérieurs versés au patient au titre d’autres prestations ».
Les maires favorables au partage des tâches
Le texte du Sénat étant différent de celui voté par les députés, une commission mixte paritaire va être réunie pour tenter de parvenir à un compromis.
Ce texte, rappelons-le, en partie est à l’origine de la grève des médecins libéraux qui a eu lieu mardi dernier – en partie seulement, puisque la revendication de la consultation à 50 euros reste au menu des revendications de la grève. Mais les syndicats de médecins – et même, chose rare, l’Ordre des médecins – se prononcent unanimement contre un dispositif dont ils craignent qu’il aboutisse à « une désorganisation des soins et une médecine à deux vitesses ».
Les mesures envisagées dans la proposition de loi sont, en revanche, conformes aux souhaits des élus de la commission santé de l’AMF, qui estiment que le partage et la délégation des tâches est un moyen de pallier rapidement la pénurie de professionnels. L’AMF, par ailleurs, partageait l’idée du partage des obligations sur la permanence des soins, et regrettera sans doute la disparition de l’amendement introduit par le gouvernement.
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