Maire-info
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Édition du jeudi 14 novembre 2024
Santé publique

Déserts médicaux : le Sénat appelle à prendre des « mesures d'urgence »

Alors que la désertification s'aggrave fortement en France, la Commission de l'aménagement et du développement durable du Sénat poursuit ses travaux sur le sujet afin d'apporter des réponses concrètes pour faire face à une « décennie noire » annoncée pour l'accès aux soins.

Par Lucile Bonnin

Le constat est plus qu’inquiétant. En 2022, la France comptait environ 102 000 médecins généralistes en activité. Deux ans plus tard, ce chiffre est tombé à 99 500 praticiens. Cette diminution de 2,5 % en deux ans est particulièrement préoccupante dans les zones sous-dotées où l’accès aux soins primaires est déjà limité (lire Maire info du 14 mai).

Et la situation ne devrait pas aller en s’arrangeant. « Jusqu’en 2028, le nombre de médecins généralistes continuera à décroître et devrait atteindre environ 92 500 praticiens, exacerbant les tensions sur l’offre de soins. » 

Tous ces chiffres ont été relevés par le sénateur de l’Allier Bruno Rojouan, dans son rapport d’information sur les déserts médicaux présenté à la presse hier. Ce dernier porte 38 propositions pour lutter contre les déserts médicaux et a été adopté « à une large majorité »  par la commission de l’aménagement du territoire du Sénat. 

Des inégalités territoriales qui se creusent 

« Ce phénomène frappe inégalement notre territoire, accentuant les difficultés d’accès aux soins pour de nombreux Français, habitant notamment dans les territoires ruraux » , rappelle le rapporteur. Aujourd’hui, quatorze départements présentent des fragilités significatives, ils cumulent, pour l’accès à trois spécialités au moins, des délais médians deux fois supérieurs aux chiffres obtenus à l’échelle nationale, voire davantage. « Une telle situation est propice au développement des comportements de "renoncement aux soins", véritablement fléau pour la santé publique » , relève Bruno Rojouan.

Pour remédier à ces disparités territoriales, le serpent de mer de la liberté d’installation des médecins refait surface. En la matière, le sénateur propose de « réguler l’installation des médecins dans les zones les mieux dotées » : « Toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées pourrait être conditionnée à un exercice partiel dans une zone sous-dotée. L’installation dans les zones où la démographie médicale est encore satisfaisante serait ainsi conditionnée à l’engagement d’effectuer des consultations dans un cabinet secondaire dans une zone sous-dotée. » 

Pour mettre en place une telle obligation, le rapporteur préconise que ses modalités pratiques soient « dans un premier temps être confiées à la profession elle-même » . Il précise : « En cas d’inertie de la part de cette dernière, le législateur pourrait cependant s’y substituer pour définir lui-même ce cadre, sur le modèle du système allemand d’autogestion. »  Chez nos voisins, l’étude des besoins de santé des territoires menée par la profession permet de fixer le nombre de praticiens recherché par zone. Là-bas, « les médecins ne peuvent obtenir un agrément de l’assurance-maladie publique que s’ils s’installent dans une zone où le nombre de professionnels de santé est insuffisant. » 

Sensible aux propositions du rapport, l’AMF plaide également que soit adopté un ensemble de mesures visant à dégager du temps médical disponible grâce au soutien à l’exercice collectif, à un appui pour les tâches administratives et à la délégation de tâches.

Hasard de calendrier, il faut souligner qu’en même temps, une proposition de loi transpartisane sera présentée à l'Assemblée Nationale la semaine prochaine pour réguler l’installation des médecins. Hervé Saulignac, député PS de l'Ardèche, indiquait ce matin sur France Bleu qu’il est désormais nécessaire d’obliger les médecins à s'installer dans des zones qui sont sous-dotées.

Des mesures « inopérantes » 

Cette urgence à agir vient aussi du fait que les diverses solutions mises en place ces dernières années par les différents gouvernements pour tenter de répondre aux difficultés actuelles ne sont pas suffisamment efficaces. 

Deux constats ont été dressés dans ce rapport. D’abord, « malgré l’adoption d’une multiplicité de mesures via des véhicules divers, les gouvernements ne sont pas encore parvenus à apporter de réponse cohérente et globale aux difficultés d’accès aux soins » . Ensuite, « la publication au compte-gouttes des textes d’application des lois votées affaiblit la portée des mesures adoptées par le Parlement et en ralentit le déploiement opérationnel ». 

Globalement, le sénateur regrette « une logique des petits pas insuffisante »  alors que pour les zones sous-dotées, « une thérapie de choc est nécessaire » . Concrètement, « la majorité des professions de santé bénéficient d’incitations financières visant à rendre plus attractif l’exercice dans les zones les moins bien dotées. Ces dispositifs souvent aux effets minimes et, en tout état de cause, mal évalués peinent à être efficaces : les motifs financiers jouent en effet un rôle secondaire dans le choix d’un soignant d’exercer dans un territoire. »  D’autres mesures n’ont pas rencontré le succès escompté : « les mesures de coordination des acteurs de santé dans les territoires ont des résultats encourageants, mais contrastés », « l’installation des sage-femmes est soumise à un dispositif de régulation qui a permis de corriger de nombreuses disparités, mais qui ne prend pas assez en compte les spécificités de la profession »  ; les aides au recrutement des assistants médicaux qui ne peuvent pas être octroyées pour les Maisons de santé pluriprofessionnelle… Le rapporteur appelle à un changement de paradigme sur de nombreux facteurs déterminants dans la lutte contre les déserts médicaux. 

Des recommandations qui concernent les collectivités 

Le rapporteur estime également que la formation des médecins, des chirurgiens-dentistes et des pharmaciens « est encore centrée autour des centres hospitalo-universitaires des grandes métropoles ». Il recommande d’adapter « les modalités de stage des étudiants en santé pour qu’ils soient effectués fréquemment et sur toute la durée des études en médecine de ville, de façon privilégiée dans les zones sous-dotées », de « définir un cadre spécifique permettant aux maisons de santé pluriprofessionnelles d’être reconnues comme lieu de stage pour les étudiants »  et de « revaloriser les indemnités de déplacement et de logement des étudiants en santé en stage dans les zones sous-denses éloignées de leur lieu de formation. »  Il faut « favoriser l’accueil des étudiants en santé dans tous les territoires, en concertation avec les collectivités territoriales » , peut-on lire dans le rapport. L’AMF partage ce constat. Elle plaide pour que soient déployées des actions ciblées à destination des étudiants en médecine en favorisant la mise en place d’internats territoriaux et en développant les formations de maître de stage des universités pour organiser, dans de bonnes conditions, l’accueil des étudiants en médecine et des internes pour leur stage, en particulier dans les zones sous-dotées en offre de soins.

Au cours de la mission, des professionnels de santé « ont fait part des complications pratiques liées à leurs déplacements, notamment du fait du trafic routier et des difficultés de stationnement ». « Les collectivités territoriales pourraient être sensibilisées par l’intermédiaire de leurs associations nationales sur ce sujet afin qu’elles puissent proposer aux professionnels de santé des solutions concrètes et adaptées aux spécificités de leur territoire sur ce sujet ». 

Par ailleurs, le Sénat est favorable à ce que le déploiement des guichets uniques départementaux d’accompagnement à l’installation des professionnels de santé s’accélère et que l’implication des collectivités territoriales dans leur fonctionnement soit systématique. 

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