Débat houleux à l'Assemblée nationale sur la tarification sociale des repas étudiants
Par Franck Lemarc
Tweet trompeur, hier, de la députée LFI Clémentine Autain : « Victoire ! Le repas à 1 euro a été adopté contre l’avis du gouvernement. À trois voix, nous l’avons emporté. Joie ! » Le tweet étant accompagné d’une photo montrant le résultat du scrutin, avec « 164 voix pour » et « 157 voix contre ».
Sauf qu’en réalité, le texte a été rejeté. Explications.
Tarif universel
C’est la députée socialiste de la Seine-Saint-Denis Fatiha Keloua Hachi qui a présenté ce texte, proposant de revenir à une mesure qui avait été prise au plus fort de la crise épidémique : la fixation d’un prix de 1 euro pour tous les repas, midi et soir, dans les restaurants des Crous (restaurants universitaires), au lieu des 3,30 euros qu’ils coûtent aujourd’hui. Dans l’hémicycle, hier, la députée a défendu avec force sa proposition, fustigeant « les files d’attentes devant les banques alimentaires », le développement de l’aide alimentaire d’urgence pour les étudiants. « 18 % des étudiants ne mangent pas à leur faim. (…) Comment, dans une société comme la nôtre, attachée aux valeurs de solidarité, pouvons-nous accepter que près d’un étudiant sur cinq ne puisse répondre à ses besoins alimentaires fondamentaux ? ».
En commission, avant le débat en séance publique, la proposition de loi a été modifiée en profondeur – « vidée de sa substance », estime la députée –, puisque la majorité a transformé la mesure universelle voulue par Fatiha Keloua Hachi en une mesure réservée aux seuls étudiants « boursiers et précaires ».
La gauche, en séance publique, a présenté un amendement pour rétablir la version initiale du texte et appliquer le tarif à un euro à tous les étudiants, arguant notamment que les étudiants « précaires » auraient le plus grand mal à faire reconnaître cette précarité auprès des Crous et, en conséquence, risquaient de ne pas bénéficier de la mesure.
Visions opposées de « l’injustice »
C’est cette question qui a suscité un débat de fond entre les députés, malgré les invectives et le caractère particulièrement violent des échanges : est-il « juste » que les tarifs sociaux ou très sociaux s’appliquent à tous, ou au contraire que les plus aisés payent plus pour financer les tarifs sociaux des plus pauvres ?
Si certains arguments ne sont guère convaincants – comme celui des députés persuadés que « les enfants de milliardaires » allaient bénéficier de repas à un euro, à qui il a été rétorqué avec bon sens que les enfants de milliardaires ne mangent pas au Crous –, d’autres sont plus intéressants. Un député a rappelé à ses collègues qu’à l’époque où ils étaient maires, ils étaient confrontés au même débat, sur le tarif des cantines, bien des élus choisissant, pour des raisons « d’équité », la tarification progressive plutôt que la gratuité pour tous. « Un tarif unique à la cantine constitue une réelle injustice sociale et marque le refus d’une municipalité d’établir une tarification sociale », a par exemple plaidé la députée Renaissance Anne Brugnera. « J’entends qu’il y aurait une injustice à ouvrir à tous les étudiants, sans condition de ressources, ce droit au repas à 1 euro, a répondu le socialiste Boris Vallaud. Mais (…) j’estime qu’il vaut mieux une petite injustice qu’un grand désordre. Je préfère des droits pour tous aux allocations pour certains ! ».
D’autres députés ont défendu l’idée qu’une telle baisse des tarifs revenait à faire croire que l’alimentation, « et donc le travail de nos agriculteurs », n’a pas de valeur. Le député LR du Rhône Alexandre Portier, particulièrement opposé à cette mesure qu’il a qualifiée « d’injuste, infantilisante et particulièrement démagogique », a souligné qu’elle ne concernerait que les étudiants des grandes villes, le Crous n’étant pas présent dans les villes moyennes accueillant des sites universitaires. « Concrètement, ce sont donc près de 500 000 étudiants qui se retrouveraient laissés sur le carreau par votre mesure, car situés dans les zones blanches de la restauration universitaire. » Le député a toutefois fait la quasi-unanimité contre lui en proposant par amendement que « tout étudiant qui souhaite bénéficier de ce repas à 1 euro s’engage en contrepartie deux heures par semaine au service d’une collectivité locale ».
Au final, la proposition de loi dans son ensemble a été rejetée, de justesse. Bizarrerie du travail parlementaire, l’amendement de la gauche rétablissant le texte initial (universalité du repas à 1 euro) a été adopté à trois voix près – d’où le tweet triomphant de Clémentine Autain. Mais un peu plus tard, lorsque l’ensemble du texte a été mis au voix, il a été rejeté à une voix près (184 contre, 183 pour).
Les députés se sont accordés, toutefois, à reconnaître qu’un travail indispensable est à mener pour améliorer le système des bourses étudiantes, aujourd’hui « obsolète » et « inadapté ».
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