Dans un contexte d'abstention massive, maintien des Républicains et du PS, plusieurs grandes villes remportées par les Verts
Au-delà de ce qui apparaît comme l’information la plus spectaculaire de ce second tour – la victoire des Verts dans plus d’une demi-douzaine de grandes villes –, il est difficile de dégager des enseignements clairs de ce scrutin : alors que gauche et droite revendiquent, chacun à leur manière, une forme de victoire, c’est avant tout l’abstention qui a marqué des points. Le parti présidentiel, quant à lui, subit une lourde défaite.
L’abstention grande gagnante
Si, à l’heure où nous écrivons, les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur ne sont pas encore consolidés, toutes les estimations montrent que l’abstention aura atteint, hier, environ 60 %. Le chiffre est cruel : c’est l’inverse de ce qui s’est passé en 2014, élection lors de laquelle ce chiffre de 60 % était celui… de la participation. La participation, hier, a été plus faible encore qu’au premier tour du 15 mars (44,6 %), en pleine montée de l’épidémie.
Pour mesurer l’ampleur du phénomène abstentionniste, un bon indicateur est de regarder les résultats en pourcentage des inscrits et non des exprimés. Cela relativise les résultats des candidats même les plus confortablement élus. Le socialiste Stéphane Le Foll, très large vainqueur au Mans avec 63 % des exprimés, ne recueille ainsi que moins de 16 % des inscrits. Le Républicain Christian Estrosi, à Nice, l’emporte certes avec 59,3 % des votants, mais seulement 15,8 % des inscrits.
Fatalement, pour les candidats élus moins largement, le constat est encore plus net : Martine Aubry, dont la liste a remporté d’extrême justesse le second tour à Lille, a recueilli 12,3 % des voix des inscrits (40 % des exprimés). Même les victoires politiquement importantes des écologistes dans plusieurs grandes villes doivent être relativisées : Jeanne Barseghian remporte Strasbourg avec 15 % des voix des inscrits, Pierre Hurmic, Bordeaux, avec 17,5 % de ceux-ci.
Certes, comme l’a déclaré le Premier ministre Édouard Philippe, à l’annonce de sa nette victoire au Havre, « le choix de ceux qui vont conduire les affaires de la commune revient à ceux qui se déplacent ». Néanmoins, ce très fort taux d’abstention, rarissime dans le cadre des élections municipales, n’est sans doute pas uniquement dû à la peur du covid-19 et interroge sur la défiance d’un nombre de plus en plus important de Français vis-à-vis de la politique et des élus.
Bonne opération pour les Verts
Les Verts – en général alliés à d’autres partis de gauche – ont réalisé une bonne opération politique hier en confirmant leurs résultats du premier tour. Alors qu’ils ne dirigeaient qu’une seule grande ville lors du précédent mandat (Grenoble), ils en ont raflé hier au moins sept : Besançon, Strasbourg, Grenoble, Lyon, Bordeaux, Tours, et Poitiers. Des candidats écologistes encore très peu connus du grand public vont devenir maires de grandes villes – certains pour leur premier mandat. C’est le cas de Grégory Doucet à Lyon, Jeanne Barseghian à Strasbourg ou encore Pierre Humric, qui a ravi Bordeaux aux Républicains après un règne incontesté de 73 ans.
Europe-Écologie-Les Verts a également pris – d’extrême justesse – Annecy au président de l’AdCF, Jean-Luc Rigault.
Le parti écologiste a été à deux doigts de prendre Lille, ne perdant finalement la ville que par un écart de moins de 300 voix. À Marseille, la situation est encore incertaine : si la liste d’union écologiste/gauche est en tête, tout se jouera vendredi, lors du premier conseil municipal qui fera office de « troisième tour ».
C’est néanmoins une évolution importante dans le paysage politique du pays, où les écologistes semblent en mesure de prendre plus de poids que jamais à gauche.
Les Républicains revendiquent la victoire
Les Républicains revendiquaient, hier, la victoire dans ce second tour avec, affirmait le président du parti Christian Jacob, « plus de 50 % des villes de plus de 9 000 habitants ». Bien qu’ayant perdu quelques fiefs (notamment Bordeaux et Nancy), les Républicains restent solidement implantés dans un bon nombre de villes grandes et moyennes : c’est le cas notamment de Toulouse, Nice, Mulhouse, Saint-Étienne, Limoges, Orléans, Aix-en-Provence, Belfort… Les Républicains récupèrent Metz, perdue en 2014, et s’imposent dans de nouvelles communes dont certaines étaient des bastions historiques de la gauche, dont Gardanne, La Seyne-sur-Mer, Briançon, Auxerre ou Lorient.
Le PS maintient ses positions
Le Parti socialiste a, lui aussi, son lot de conquêtes et de défaites : Olivier Faure, le patron du parti, tentait hier de relativiser la « vague verte » en mettant en avant que celle-ci avait été, dans la plupart des cas, le fruit d’alliances avec son parti, et se félicitait d’avoir conservé de très importantes métropoles. Au premier rang desquelles Paris, où Anne Hidalgo a très largement remporté le second tour. Les socialistes confirment leur implantation dans l’ouest, en conservant facilement Nantes, Brest, Rennes et Le Mans. Lille, Clermont-Ferrand, Bourges, Dijon, Avignon, Rouen restent également socialistes. Malgré la perte inattendue de Lorient, les socialistes bretons peuvent se consoler avec la prise de Saint-Brieuc, Quimper et Morlaix. Deux nouvelles grandes villes ont été remportées hier par le PS : Montpellier et Nancy.
Débâcle pour LaREM
Le seul parti dont on puisse dire qu’il a connu une défaite claire lors de ce scrutin est celui d’Emmanuel Macron. Les victoires d’Édouard Philippe au Havre (ou de Gérald Darmanin au premier tour à Tourcoing), ainsi que la prise de quelques villes moyennes (Forbach, Dourdan, Houilles) ne peuvent cacher ce que la porte-parole du gouvernement elle-même, Sibeth Ndiaye, a qualifié hier de résultats « extrêmement décevants ». Agnès Buzyn a été lourdement battue à Paris – la liste LaREM n’aura que 6 sièges sur 163 au Conseil de Paris. Plusieurs maires sortants adhérents de LaREM ou soutenus par le parti ont été battus, notamment Gérard Collomb à Lyon, Éric Alauzay à Besançon. À Bordeaux ou Annecy, le parti présidentiel avait également apporté son soutien au candidat battu.
Soutien du gouvernement qui, lui, a été largement réélu : François Bayrou, à Pau, qui a recueilli plus de 55 % des voix.
Nouvelles défaites pour le « communisme municipal »
Le PCF a perdu plusieurs de ses fiefs historiques hier, en province (notamment à Gardanne et Saint-Pierre-des-Corps) mais surtout dans ce qu’on appelait autrefois la « ceinture rouge » autour de Paris, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. Des bastions tenus par le PCF parfois depuis l’après-guerre, voire avant, sont tombés hier. C’est le cas de Saint-Denis, d’Aubervilliers, de Champigny-sur-Marne, de Choisy-le-Roi. Le PCF a en revanche regagné Bobigny, Villejuif et Corbeil-Essonnes.
Pas de raz-de-marée Rassemblement national
Le parti de Marine Le Pen peut certes se réjouir de la prise de Perpignan par Louis Alliot – première ville de plus de 100 000 habitants remportée depuis Toulon en 1995. Deux autres villes nouvelles ont été emportées par le RN hier (Moissac et Bruay-la-Buissière). Mais en revanche, le parti a perdu deux communes conquises en 2014 (Le Luc et Mantes-la-Ville) et, surtout, a été battu (de justesse) dans le 7e secteur de Marseille. Le RN, qui avait présenté moins de listes qu’en 2014, n’est pas parvenu à confirmer localement ses scores très élevés aux élections nationales.
Cours normal
En attendant les résultats consolidés qui seront livrés dans la journée par le ministère de l’Intérieur, on ne peut maintenant que se réjouir du fait que la vie démocratique municipale puisse maintenant reprendre son cours normal – avec les 5 000 derniers conseils municipaux qui vont s’installer entre vendredi et dimanche prochain, avant les conseils communautaires, entre le 10 et le 17 juillet.
Prochaine étape : les élections sénatoriales, à l’automne. Les résultats d’hier laissent à penser que l’équilibre des forces au Sénat ne sera pas bouleversé et que Les Républicains y garderont la majorité.
On attend toujours la publication, fort tardive, du décret fixant la date du conseil municipal où devront être désignés les grands électeurs. Cette date devrait se situer aux alentours du 10 juillet, mais il est désormais urgent de la connaître avec certitude.
Franck Lemarc
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