Trois décrets et une circulaire pour acter un renforcement important des pouvoirs des préfets
Par Franck Lemarc
Alors même que François Bayrou n’est plus Premier ministre depuis le 9 septembre, les services du gouvernement ont fait le choix de publier tout de même sur Légifrance, le 12, une circulaire signée de sa main consacrée à la « réforme de l'action territoriale de l'État et la relance de la déconcentration » . Preuve que, malgré le changement de gouvernement en cours, cette politique ne sera pas remise en cause.
« L'État doit parler d'une seule voix »
Fin juillet en effet, le gouvernement a publié trois décrets à ce sujet : le premier traitant des pouvoirs du préfet en général, le deuxième étendant les pouvoirs de dérogation des préfets, et le troisième concernant spécifiquement les rapports entre préfets et autorités académiques.
Dans la circulaire publiée en fin de semaine dernière, l’ex-Premier ministre détaille le contenu de ces décrets : pour que l’action de l’État soit « plus lisible, plus efficace et plus proche des territoires », le niveau départemental doit devenir « l’échelon de référence pour la mise en œuvre des politiques publiques ». Ce qui passe, poursuit François Bayrou, par un renforcement « de l’autorité, des pouvoirs et des moyens » des préfets.
Conséquence concrète : le préfet va désormais devenir, réellement, le « délégué territorial » des opérateurs de l’État dans son département. « Réellement », parce que cette disposition était déjà prévue depuis dix ans, mais n’est jamais vraiment entrée en vigueur – en tout cas pas partout. Les opérateurs de l’État dont le préfet devient « délégué territorial » sont listés en annexe de la circulaire, ils sont nombreux et très impliqués dans les actions des collectivités locales : ANCT, Ademe, Anah, Anru, dès maintenant ; et prochainement, après publication d’un décret « en préparation » , Agence nationale du sport, OFB et parcs nationaux. Enfin, le gouvernement souhaite l’adoption d’une disposition législative pour faire également du préfet le délégué territorial des Agences de l’eau, de l’Office national des forêts ou encore du Cerema.
Concrètement, cela signifie que ce seront désormais les préfets qui prendront localement la parole au nom de ces opérateurs (« l’État doit parler d’une seule voix » , précise l’ancien Premier ministre). Ce qui va plutôt dans le sens des propositions de l'AMF, depuis longtemps, qui souhaite que les élus aient un interlocuteur unique quand ils sont en relation avec l'État.
Les préfets seront « consultés avant toute décision d’intervention financière significative auprès d’un acteur local ». Autrement dit, avant que l’Ademe ou l’Anah puisse verser une aide financière à une commune, par exemple, il faudra désormais le quitus du préfet. Point important : la circulaire précise que les préfets peuvent désormais « demander un réexamen des décisions prises par l’opérateur, avec effet suspensif de la décision concernée jusqu’au réexamen » . Mal appliquée, cette nouvelle disposition pourrait donc, par hypothèse, conduire à la suspension de certains projets des collectivités financés par des opérateurs de l’État.
Carte scolaire
Les décrets fixent également un nouveau rôle aux préfets en matière « d’implantation des services publics » . Ils devront à présent être systématiquement consultés sur tout projet d'évolution des services de l'Etat ouverts au public ayant une incidence sur la répartition territoriale de ces services. En particulier, les préfets devront désormais « rendre un avis sur la carte scolaire du premier degré ».
On peut se demander comment cette décision va s’articuler avec l’accord signé en avril dernier entre l’AMF et le ministère de l’Éducation nationale (lire Maire info du 6 mai) qui prévoyait que l’évolution de la carte scolaire se déciderait en concertation entre les maires et les services académiques. Pour autant, l’observatoire des dynamiques rurales, instance départementale de dialogue sur la carte scolaire créée en 2023 et qui a vocation à concerner dorénavant tous les départements comme le prévoit le protocole d’accord, est déjà co-présidé par le préfet et le directeur académique.
On peut néanmoins espérer que le préfet pourra être une aide, au côté des maires, dans la négociation avec les services académiques.
Pouvoir de dérogation et appels à projets
Les décrets de juillet élargissent également les pouvoirs de dérogation alloués aux préfets. Jusqu’à présent, les domaines dans lesquels ces derniers pouvaient utiliser leur pouvoir de dérogation était fixés par une liste limitative. Cette liste est supprimée, ce qui signifie que « le pouvoir de dérogation est étendu à toutes les matières relevant de la compétence (des préfets) ».
Autre disposition intéressant les élus locaux : l’État souhaite limiter les appels à projets nationaux et les « territorialiser » . Si certains projets « d’envergure nationale » pourront, exceptionnellement, faire l’objet d’appels à projets nationaux, la tendance sera plutôt de lancer des appels à projets à l’échelle du département, afin « de les rendre plus accessibles aux collectivités et entreprises locales ».
François Bayrou évoque également la question des dotations d’investissement (type DETR ou Dsil), également à la main des préfets. Afin d’en « simplifier l’accès pour les collectivités territoriales », il répète souhaiter que les différentes subventions soient fusionnées en « une dotation d’investissement unique » . Une mission d’évaluation de ce projet a été confiée à l’Inspection générale des finances et celle de l’administration. Il reste à voir si cette idée sera, elle, reprise par le futur gouvernement Lecornu.
Plus généralement, comment cette réforme d’envergure du pouvoir des préfets s’articulera-t-elle avec le projet de « grand acte de décentralisation » évoqué par le nouveau Premier ministre ces derniers jours (lire Maire info d’hier). Certes, Sébastien Lecornu a évoqué l’idée selon laquelle « les administrations doivent être sous l’autorité directe soit des ministres, soit des préfets, soit d’un élu local ». On voit bien, avec les décrets de juillet, ce qu’il en est de l’autorité des préfets – renforcée. Qu’en sera-t-il demain, de celle des maires ?
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