Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du jeudi 2 octobre 2025
Décentralisation

Futur projet de loi de décentralisation : l'AMF pose ses conditions

L'AMF adresse aujourd'hui un courrier au Premier ministre pour lui faire part de ses propositions dans le cadre du nouvel « acte de décentralisation » que promet ce dernier. L'association fait de l'arrêt de « toutes les ponctions sur les budgets locaux » un préalable à toute réforme sérieuse.

Par Franck Lemarc

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© AMF

Signé des deux principaux responsables de l’AMF, David Lisnard et André Laignel, ce courrier a été envoyé ce matin à Matignon, et Maire info a pu le consulter. 

« Acte de décentralisation » 

Pour mémoire, dans la semaine du 15 septembre, le Premier ministre fraîchement nommé avait plusieurs fois fait état de sa volonté de présenter rapidement au Parlement un projet de loi de décentralisation. Cette volonté a été répétée et précisée dans un courrier envoyé à tous les maires (lire Maire info du 18 septembre), puis, le lendemain, dans un autre courrier adressé aux présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat, des régions et des départements. 

Sébastien Lecornu semble décidé à faire appliquer le fameux principe de subsidiarité cher aux associations d’élus, puisque le principe de sa réforme serait de « mieux définir les champs de compétence propre pour chaque décideur public »  et d’introduire un principe simple et clair :

« L'État central (doit être) sous l'autorité du gouvernement, l'État local sous l'autorité des préfets et les collectivités territoriales sous l'autorité des élus » . Sébastien Lecornu a demandé aux associations d’élus de lui faire des propositions d’ici au 31 octobre.

L’AMF, dès les lendemains de ce courrier, avait dit sa « disponibilité »  pour travailler avec le Premier ministre sur ce sujet, tout en introduisant un sérieux bémol : pour l’AMF, cet « acte de décentralisation », qualifié « d’hypothétique »  – au regard de l’instabilité politique et de la durée de vie potentiellement très courte du gouvernement Lecornu – ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Autrement dit, avant de parler décentralisation, l’AMF souhaite qu’il soit mis fin aux « ponctions sur les budgets locaux »  et que le gouvernement s’attaque au chantier des normes « qui alourdissent les contraintes et les charges des collectivités ». 

« Liberté d’agir »  et libre administration

Ce sont, sans surprise, ces positions qui sont développées dans la lettre adressée ce matin par l’AMF au Premier ministre : si l’association est pleinement favorable à « un nouvel acte de décentralisation », qu’elle « propose depuis longtemps », elle estime que l’enjeu est moins « le transfert de compétences nouvelles »  que des mesures permettant de renforcer « la liberté et le pouvoir d’agir des maires » , que « quinze ans de recentralisation »  ont mis à mal.  Ce chiffre de « quinze ans »  n’est évidemment pas choisi au hasard par l’AMF, puisque l’on se souvient que c’est en 2010 qu’a été supprimée la taxe professionnelle – premier acte d’une longue série de rabotages de l’autonomie fiscale des maires, via le remplacement des impôts locaux par des « fonds de compensation »  ou des fractions de TVA. 

L’AMF constate par ailleurs que les lois qui se sont succédé depuis une dizaine d’années (Notre, Maptam et 3DS) n’ont « pas permis de libérer l’action des collectivités »  mais, à l’inverse, ont amené « de nouvelles strates et de nouvelles contraintes ». 

L’association estime donc que tout travail sur la décentralisation doit débuter par l’affirmation – et surtout la concrétisation – d’un certain nombre de principes permettant aux élus locaux de conserver leur liberté d’action. Le premier de ces principes est la « subsidiarité »  : « Toutes les politiques publiques devraient relever des collectivités » , en dehors des compétences strictement régaliennes. « Corollaire »  de ce principe : le respect de la clause de compétence générale des communes, dont l’AMF demande depuis longtemps qu’elle soit inscrite dans la Constitution.

L’association répète une fois encore que les piliers de la décentralisation doivent être la libre administration des collectivités ainsi que « l’autonomie financière et fiscale » , autant de principes qui sont aujourd’hui « en charpie », comme a souvent l’occasion de le dire André Laignel. L’association demande donc que les contours de la « libre administration »  soient enfin précisément définis dans une loi organique, ce qui n’a jamais été fait depuis 1958. Et que les collectivités puissent à nouveau disposer de « ressources financières propres » , à rebours de la « recentralisation financière »  en cours, qui atteint aujourd’hui « des sommets inégalés ». 

Enfin, l’AMF demande, une fois de plus, l’instauration d’un « véritable pouvoir réglementaire local »  – c’est-à-dire que les lois se contentent de fixer des « grands principes »  et que les collectivités puissent ensuite décider de la meilleure manière de les appliquer en fonction des spécificités locales. Et le contrôle des normes, qui « ne cessent de croître » . L’association demande que le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), qui n’a aujourd’hui qu’un rôle strictement consultatif, soit doté « d’un réel pouvoir de contrôle de la production de normes ». 

En attendant la présentation, le débat et l’adoption de cette future loi de décentralisation voulue par le Premier ministre, qui mettra au moins des mois, à supposer qu’elle voie le jour, l’AMF propose à Sébastien Lecornu de prendre des décisions immédiates : l’instauration d’un « moratoire sur toutes les contraintes nouvelles non financées »  et « la suppression des normes les plus pénalisantes et coûteuses » . Elle suggère également au Premier ministre de « faire cesser toute ponction sur les budgets locaux dès la prochaine loi de finances ». 

Régions de France d’accord pour un « effort »  des collectivités

Dans un courrier adressé, là encore, à Sébastien Lecornu, et rendu public hier, l’association Régions de France elle est aussi donné les premières orientations de sa « contribution »  au projet de loi de décentralisation promis par le Premier ministre. 

Dans ce courrier, signé par Carole Delga et Renaud Muselier (présidente et président délégué de RdF), le ton comme les intentions diffèrent sensiblement de ceux de l’AMF. Si les régions partagent avec l’AMF l’ambition de voir renforcés la « subsidiarité »  et la « confiance dans les territoires » , elles souhaitent discuter directement des transferts de compétence, se préparant à des « propositions précises »  sur ce sujet – mais sans poser de préalables sur les « grands principes »  portés par l’AMF. 

Si Régions de France demande une « clarification des compétences » , c’est avant tout pour « mettre fin aux doublons coûteux » , en étudiant la possibilité de « supprimer des agences et instances d’État ». Logiquement, Régions de France demande au Premier ministre de confirmer que le pilotage des fonds européens restera à la main des régions, ce qui semble clairement remis en question dans la préparation du budget européen pour 2028-2034 (lire Maire info du 18 juillet).

Les régions demandent par ailleurs « un renforcement des possibilités d’expérimentations et de différenciations » 

Mais c’est sans doute sur le terrain des finances que les positions de l’AMF et de Régions de France diffèrent le plus. Quand l’AMF demande l’arrêt immédiat de toutes les « ponctions » , Régions de France, en revanche, se dit ouverte à un « effort », « dans un esprit de responsabilité ». Parlant, de façon surprenante, au nom de toutes les strates, RdF estime qu’un effort de « 2 milliards d’euros »  serait « supportable pour les collectivités territoriales » . Un quitus donné, d’avance, à une nouvelle ponction qui ne sera sans doute du goût ni des communes, ni des départements.
 

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