Pass culture : un bilan décevant, une réforme à venir
Par Lucile Bonnin
Il y a plus d’un an, la Cour des comptes jugeait « encourageantes » les premières statistiques sur l'utilisation du Pass Culture et dressait dans un rapport sur la mise en place de ce dernier, un bilan enthousiaste, confirmant que le dispositif avait bien « vocation à représenter un levier majeur d’accès à la culture » (lire Maire info du 21 juillet 2023).
Des mois plus tard, le regard que les magistrats portent sur le Pass culture n’est plus du tout le même. Dans un rapport publié hier, ils étrillent le Pass culture et présentent un premier bilan décevant de ce dernier.
Rappelons que le Pass culture, expérimenté à partir de 2019, a été généralisé entre 2021 et 2022 à tous les jeunes entre 15 et 18 ans. Il est constitué de deux parties, un crédit individuel et un crédit collectif utilisable sous la responsabilité d’un enseignant. La part individuelle s’élève, au total, à 380 euros par jeune (20 euros à 15 ans, 30 à 16 ans et 17 ans, 300 euros à 18 ans), et peut être librement dépensée par les jeunes pour effectuer n’importe quelle dépense culturelle (livres, spectacles, cinéma, festivals, musées, jeux vidéo…).
Le rapport de la Cour des comptes porte « essentiellement sur la part dite "individuelle" du Pass Culture » et « établit un premier bilan des résultats, eu égard aux objectifs larges et ambitieux qui furent formulés au lancement de ce dispositif ».
Le Pass culture a raté sa cible
Si la Cour des comptes reconnaît que sur le plan quantitatif le Pass culture est une réussite avec « 84 % des jeunes de 18 ans révolus qui utilisent le Pass culture, à fin août 2024 » et « 4,2 millions de jeunes qui se sont inscrits sur l’application Pass culture depuis 2019 » , l’ambition de départ s’est perdue.
En effet, l’objectif majeur de cette politique voulue par le président Macron est de permettre aux jeunes éloignés à la culture d’y accéder plus facilement. Or le bilan montre que « 16 % des bénéficiaires potentiels, correspondant aux publics les moins familiers des pratiques culturelles, n’ont pas adhéré au dispositif » et que « parmi les jeunes issus des classes populaires, c’est-à-dire dont les parents sont peu ou pas diplômés et exercent une profession d’ouvrier ou d’employé, seuls 68 % ont activé leur Pass ». Ainsi, « l’objectif d’inscrire un nombre maximum de jeunes a prévalu sur l’objectif de démocratisation de l’accès à l’offre culturelle » , taclent les magistrats de la rue Cambon.
Des offres proposées inégales et hors sujet
Les offres culturelles comprises dans le dispositif montrent aussi une gestion lacunaire de cette politique publique avec beaucoup trop d’offres, qui n’ont pas été suffisamment sélectionnées. Il y en a actuellement 36 000, ce qui mène inévitablement à des dérives. Un exemple surprenant est relevé par la Cour : le dispositif a financé 16 millions d’euros d’activités d’escape games. De l’autre côté, « le Pass culture sert beaucoup aux jeunes pour réserver des places de cinéma et de concerts. En revanche, les autres formes de spectacle vivant (théâtre, danse, cirque, etc.) peinent à atteindre de nouveaux publics. »
L’achat de livres représente entre 42 % et 55 % des montants dépensés chaque trimestre. Si ce résultat peut être considéré comme une victoire, on peut supposer également qu’il est le résultat d’inégalités territoriales en termes d’accès à la culture. Un jeune habitant dans une zone rurale aura de facto beaucoup plus de difficultés à dépenser la somme de son Pass culture dans des spectacles ou dans des concerts que de la dépenser dans des livres.
Les magistrats saluent cependant l’implication des collectivités territoriales au sein du pass Culture : « plus de 2 200 d’entre elles sont inscrites sur le dispositif ». Les magistrats rappellent à cette occasion qu’elles peuvent « s’enregistrer en tant qu’offreurs culturels, afin de valoriser les offres culturelles gratuites, proposées par exemple par une médiathèque, un musée ou un tiers lieu qu’elles gèrent. » « Le rôle des collectivités territoriales, à différents échelons, est à développer pour structurer les offres, mettre en réseau les acteurs locaux et coordonner des actions de médiation locales » , recommande enfin la Cour.
Un gouffre financier
Les crédits budgétaires alloués par l’État pour la part individuelle du Pass ont, selon ce premier bilan, augmenté de 92 millions d’euros en 2021 (exécuté) à 244 millions d’euros en 2024 (prévisions d’exécution). « Cette croissance des dépenses a été mal anticipée, les crédits du ministère de la Culture pour financer la part individuelle ayant été systématiquement sous-dotés », observent les magistrats.
La Cour appelle à ce que des arbitrages soient pris « pour mettre un terme à la croissance non maîtrisée des crédits budgétaires du Pass culture » qui intervient dans un contexte budgétaire particulièrement tendu. Le gouvernement pourrait choisir de réduire le montant du crédit alloué aux jeunes âgés de 18 ans ou encore mettre l’accès à ce Pass culture sous condition de ressources et cibler les bénéficiaires selon des critères sociaux (boursiers) ou territoriaux (quartiers de la politique de la ville, milieu rural).
Un Pass à réformer d’urgence
Dans une tribune publiée en octobre dernier, Rachida Dati, ministre démissionnaire de la Culture, annonçait vouloir réformer ce fameux Pass (lire Maire info du 15 octobre). Elle voulait d’abord « donner davantage aux jeunes de condition modeste » et rompre avec la totale liberté donnée aux jeunes de dépenser les sommes versées : « Je veux qu’au sein du crédit ouvert pour chaque jeune une part soit désormais réservée au spectacle vivant. »
Si ces propositions vont dans le sens des observations soulevées par la Cour, on ne sait pas à l’heure actuelle si elles seront reprises par le nouveau gouvernement. Le rapport de la Cour des comptes met cependant incontestablement en lumière le fait que le modèle actuel est difficilement soutenable dans un contexte budgétaire tendu et n'atteint pas les objectifs fixés par le gouvernement.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
À Mayotte, la course contre la montre
Aucun déblocage de la situation politique à l'horizon
Les actions de médiation numérique se mènent de plus en plus à l'échelle infra-départementale
En 2025, l'Insee s'attend à un « coup de frein » sur les dépenses publiques Â