Culture : des signaux inquiétants envoyés aux festivals, malgré un public au rendez-vous
Par Lucile Bonnin
Le Baromètre des festivals du ministère de la Culture montre que sur l’année 2024, 46 % des festivals répondants à l’enquête déclarent un déficit tandis que seulement trois festivals sur dix sont à l’équilibre et un sur quatre enregistre des recettes supérieures à ses dépenses.
C’est dans ce contexte qu’une table ronde – organisée par la commission de la culture du Sénat – s’est tenue hier matin sur la situation des festivals en France, après la concertation nationale qui a eu lieu de janvier à juin dernier et la saison estivale 2025.
Pour le secteur des festivals et du spectacle vivant, « la concertation lancée il y a un an et les propositions de la ministre faites en juillet ne sont pas à la hauteur des enjeux », estime Stéphane Krasniewski, président du Syndicat des musiques actuelles (SMA).
Aurélie Foucher, directrice déléguée de Scène Ensemble (organisation professionnelle des arts de la représentation) alerte sur un « risque de rupture humaine, économique et artistique » qui mènerait de surcroît à un « risque de déséquilibre entre les territoires » de l’offre culturelle selon Stéphane Krasniewski.
Succès sur scène, menaces en coulisses
« Année après année, les saisons se succèdent et mettent en exergue les mêmes difficultés » , résume Malika Seguineau, directrice générale d'Ekhoscènes, syndicat national du spectacle vivant privé, qui dénonce avant tout « une fragilisation globale des modèles économiques des festivals largement partagée ». 85 % des adhérents du syndicat national du spectacle vivant privé déclarent devoir faire face à des difficultés financières alors que le public est plus que jamais au rendez-vous. Alexandra Bobes, directrice de France Festivals, réseau d'une centaine de festivals, confirme ce succès : « Nous enregistrons en 2025 une moyenne proche de 90 % de taux de remplissage avec des progressions spectaculaires avec 25 % de public en plus pour certains festivals ».
L’inflation joue un rôle dans cette crise économique. « Faire une édition de festival c’est sortir une ville de terre chaque année » selon Malika Seguineau alors que tous les coûts sont en forte hausse, notamment le cachet des artistes, les installations de sécurité, la logistique, etc. Ekhoscènes observe une augmentation des coûts liés à l’organisation d’un festival de 30 à 40 % tandis que les prix des billets n’ont augmenté que de 4 à 5 %. Le SMA indique que deux tiers des festivals enregistre un taux de remplissage supérieur à 90 % et ce malgré un déficit qui a augmenté de 26 points par rapport à l’année dernière. « L’effet ciseaux s’amplifie », déclare Stéphane Krasniewski.
Dans la perspective de la prochaine loi de finances 2026, les acteurs appellent notamment à déplafonner la taxe sur la billetterie affectée au Centre national de la musique (CNM), dont le plafond est aujourd'hui fixé à 50 millions d'euros.
L’État ne facilite pas non plus le quotidien des professionnels du spectacle en imposant des obligations réglementaires lourdes à porter comme celles sur le son qui exposent ces événements à des annulations. Les aléas climatiques sont aussi une menace pour ces festivals qui ont de plus en plus de difficultés à s’assurer. Des problématiques qui ne diffèrent pas vraiment de celles rencontrées par les collectivités, finalement…
Scène Ensemble indique aussi être régulièrement saisi pour des accompagnements sur des ruptures conventionnelles ou licenciements économiques. « Les festivals tiennent mais au prix de cette érosion et on arrive au point de rupture », signale Aurélie Fouché, comme Alexandra Bobes, qui regrette que la soutenabilité des festivals se fasse au « prix d’un effort humain pas soutenable à long terme ».
Renforcer le dialogue avec les collectivités
Dans un contexte de disette budgétaire, les aides publiques se font plus minces et notamment celles des collectivités. Selon Stéphane Krasniewski, c’est une « coupe massive de 67 millions d’euros de la part des collectivités locales sur la culture » qui est à déplorer cette année.
L’inquiétude sur la baisse des subventions entre 2024 et 2025 concerne surtout les régions et les Délégations régionales académiques à l’éducation artistique et culturelle (Draeac) rattachées aux directions académiques. Les festivals de photographie par exemple ont été particulièrement ébranlés alors qu’ils ont « un ancrage territorial fort en zone rural » et qu’ils sont un « medium pertinent pour l’éducation artistique et culturelle (EAC) » , comme l’explique Sylvie Hugues, présidente du réseau LUX, réseau professionnel de festivals de photographies. Un festival a par exemple été annulé alors que la subvention de la région Pays-de-la-Loire est passée de 12 000 euros à zéro, pour un budget total de 50 000 euros. La sénatrice Annick Billon donne un autre exemple avec l’annulation du festival des Arts par nature, à Vix (Vendée), après que la subvention de la région, dont la part était de 30 %, a été brutalement supprimée.
La sénatrice observe aussi un effet de désengagement en domino : « Lorsqu’une collectivité se retire, les autres aussi ». Elle alerte sur le risque à long terme de suppression de festivals dans les territoires ruraux.
Comme l’indique la sénatrice Karine Daniel, le renforcement du dialogue avec les collectivités territoriales pourrait être à l’ordre du jour d’un prochain Conseil national des territoires pour la culture. Les professionnels s’accordent sur la nécessité de réarticuler un cadre d’action partagé pour les festivals avec les collectivités territoriales, à l’heure où « certaines régions quittent les Comités régionaux des professions du spectacle (Coreps) » et où les moyens des collectivités ne cessent de diminuer.
Liberté de création
Autre problématique soulevée lors de la table ronde : la liberté de programmation de certains festivals est de plus en plus mise à mal – ce qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec les difficultés économiques qu'ils connaissent. « C’est un sujet qui nous préoccupe, indique Malika Seguineau. Certaines tournées théâtrales sont compliquées en région et certaines programmations ne sont plus acceptées. » Le syndicat a d’ailleurs lancé un comité de pilotage dédié avec des élus. Il a largement été fait allusion à l’épisode de cet été, lorsque la région Ile-de-France a annoncé retirer son aide financière au festival Rock en Seine, celui-ci ne souhaitant pas déprogrammer le groupe Kneecap en raison de son soutien appuyé à la Palestine.
Le sujet a cependant été pris en compte cette année par le gouvernement. La ministre démissionnaire de la Culture, Rachida Dati, a lancé un plan en faveur de la liberté de création artistique « face à la montée des cas d’atteintes » et pour « lutter contre toute forme de censure » et a nommé une haute fonctionnaire pour la liberté de création pour une durée de deux ans.
Autant de sujets d’inquiétudes qui seront abordés lors du forum « Culture et sports : simples variables d’ajustement ou outils de cohésion sociale ? » qui se tiendra le mardi 18 novembre dans le cadre du 107è congrès des maires.
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