Préparation de l'Aïd el-Kébir : ce que les maires doivent savoir
Par Franck Lemarc
La fête de l’Aïd el-Kébir (« la grande fête » ) ou Aïd al-Adha (« fête du sacrifice » ) a lieu chaque année à une date variable fixée par les autorités religieuses en fonction des phases de la lune. Cette année, elle aura probablement lieu le jeudi 29 juin, plus ou moins un jour – la date précise sera connue vers le 20 juin.
Cette fête, souligne le ministère de l’Intérieur dans une instruction parue dans son Bulletin officiel est l’occasion d’une « forte demande d’abattage » de moutons et de chèvres, « ce qui nécessite un accompagnement fort des pouvoirs publics » : il s’agit en effet de « garantir le libre exercice du culte tout en veillant à l’application des règles de santé publique, de protection animale et de respect de l’environnement ». Les préfets sont donc appelés à prendre attache avec les maires, les opérateurs de la filière agro-alimentaire et les responsables locaux du culte musulman.
En France, au moment de l’Aïd el-Kébir, ce sont environ 100 000 moutons qui sont abattus sur une période de trois jours.
Fourrières
Les préfets devront notamment publier des arrêtés « réaffirmant la réglementation nationale » en matière de détention, d’identification et de notification des mouvements des animaux, et éventuellement créer des « fourrières pour ovins » temporaires, en cas de constat de la détention illégale d’animaux « par une personne non déclarée ».
Sur la question de l’abattage, les préfets devront chercher à optimiser l’utilisation des installations des abattoirs existants, quitte à organiser un « flux » interdépartemental. Si nécessaire, ils pourront autoriser « l’aménagement d’abattoirs temporaires agréés ». Toutes les mesures utiles doivent être prises pour lutter contre l’abattage clandestin, et les infractions devront être signalées au procureur de la République.
Rappelons que la réglementation interdit formellement les abattages dans d’autres lieux que les abattoirs agréés, qu’ils soient pérennes ou temporaires. Ces abattoirs temporaires peuvent être installés dans des bâtiments en dur ou dans des structures temporaires (chapiteaux, tentes…), et sont considérés comme des ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement). L’abattage d’un animal en-dehors de ces installations, y compris dans une ferme, est passible de 6 mois d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (article L. 237-2 du Code rural et de la pêche maritime).
Préparation en amont
C’est notamment sur la question de l’installation des abattoirs temporaires que le maire va avoir à intervenir, en particulier si ceux-ci sont installés sur un terrain mis à disposition par la commune (parking, stade…). Dans un très utile « guide pratique » consacré à l’organisation de cette fête et publié par les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture en 2016, il est expliqué qu’il peut être nécessaire d’organiser « plus d’une vingtaine de réunions » pour mener à bien un tel projet. Les porteurs de projets ont de nombreux dossiers à présenter (agrément sanitaire, dossier d’autorisation à déroger à l’obligation d’étourdissement, dossier ICPE…). La mairie aura, notamment, à gérer la circulation des véhicules, la présence de la police municipale le cas échéant, celle des pompiers. Elle pourra également – ce qui n’a rien d’une obligation – prêter et installer du matériel communal (barrières, bennes à ordures, cuves de déversement…).
Principe de laïcité : la jurisprudence du Conseil d'État
Si la commune engage des dépenses pour aider à la préparation de cette fête, il se pose naturellement la question du respect du principe de laïcité. En aménageant, éventuellement à ses frais, un espace d’abattage temporaire pour l’Aïd el-Kébir, une commune contrevient-elle aux dispositions de la loi de 1905 ?
La réponse est non, selon une jurisprudence célèbre, l’arrêt du Conseil d’État du 9 juin 2011. Cet arrêt a été la conclusion d’une longue bataille juridique démarrée en 2003, entre la communauté urbaine du Mans (Sarthe) et un contribuable local. Celui-ci avait attaqué devant le tribunal administratif la décision du Mans Métropole d’aménager, pour la somme de 380 000 euros, un abattoir temporaire destiné à l’Aïd el-Kébir. Le tribunal administratif avait donné raison à ce contribuable en 2006, estimant que cette somme était « constitutive d’une dépense relative à l’exercice d’un culte », et donc contraire aux principes de la loi de 1905. La Cour administrative d’appel de Nantes, un an plus tard, confirmait ce jugement. La communauté urbaine avait alors contesté cette décision en cassation devant le Conseil d’État qui, lui, a rendu en 2011 une décision toute différente.
Le Conseil d’État a en effet jugé qu’une collectivité locale peut « construire ou acquérir un équipement afin de permettre l’exercice de pratiques à caractère rituel », si deux conditions cumulatives sont respectées : premièrement, l’existence d’un intérêt public local, en l’espèce la salubrité et la santé publiques ; deuxièmement, le fait que le droit d’utiliser ces installations « soit concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ».
L’implication des communes
Les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture indiquent que les communes sont invitées à participer aux « comités de pilotage locaux » organisés par les préfectures. Les communes peuvent s’impliquer dans l’organisation de la fête « au titre du pouvoir de police du maire qui consiste, en particulier, à garantir la salubrité et la tranquillité publiques ». Elles peuvent apporter « un soutien administratif et technique au montage des projets » d’abattoirs temporaires, prêter des locaux ou du matériel, et auront évidemment un rôle à jouer dans le traitement des déchets.
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