Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 15 octobre 2025
Crise politique

Sébastien Lecornu recule sur les retraites et gagne un probable sursis

Le Premier ministre, en cédant à la principale revendication du Parti socialiste sur les retraites, va probablement échapper à la censure, ce qui permettrait au débat budgétaire de se dérouler presque dans les temps. Il a à nouveau promis une loi de décentralisation pour décembre. 

Par Franck Lemarc

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© Assemblée nationale

Soucieux de conforter son image « d’humilité », Sébastien Lecornu a commencé son très attendu discours de politique générale en reconnaissant une erreur : celle de n’avoir pas compris, jusqu’à la semaine dernière, qu’il était nécessaire de « tenir le gouvernement le plus éloigné possible des divergences (…) qui s’expriment à travers les partis politiques ». Pour réparer cette erreur, il a donc nommé un gouvernement dont les membres sont « déconnectés »  des ambitions électorales. Témoin de cette évolution, Gérald Darmanin, qui a annoncé hier qu’il renonçait à briguer, en mars, le mandat de maire de Tourcoing. 

Une fois le gouvernement nommé, il restait au Premier ministre à passer l’étape des premières motions de censure aussitôt déposées contre lui par LFI et le Rassemblement national. Le Parti socialiste avait prévenu : sans une annonce claire sur « la suspension complète et immédiate »  de la réforme des retraites (lire Maire info d’hier) il censurerait lui aussi, ce qui aurait eu pour conséquence automatique la chute du gouvernement et une dissolution : le président de la République l’avait d’ores et déjà annoncé, en Conseil des ministres, hier matin, en affirmant que les motions de censure déposées étaient en réalité « des motions de dissolution ». 

« Nous débattrons, vous voterez » 

Sébastien Lecornu a détaillé les « ruptures »  qu’il entend mener. D’abord, en donnant toute sa place au Parlement, et en réitérant sa promesse de ne pas recourir à l’article 49-3. « Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. (…) Sans 49-3, sans majorité absolue, le Parlement aura le dernier mot. (…) En renonçant au 49.3, il n’y a plus de prétexte pour une censure préalable. » 

Cet argument n’a pas convaincu tous les députés, dont un certain nombre craignent qu’il s’agisse d’une promesse de Gascon. Si, en effet, les débats s’enlisent et n’aboutissent pas à un vote au bout de 70 jours, la Constitution prévoit, à l’article 47, que le gouvernement fasse passer le projet de budget par ordonnance – et le faire sur la base du texte initial, donc non modifié par les débats parlementaires. Sans que l’on puisse accuser le Premier ministre d’avoir déjà cette idée en tête, cette option reste néanmoins sur la table, celui-ci n’ayant évoqué que l’article 49-3 mais pas l’article 47.

Il s’est toutefois dit ouvert au débat et a admis lui-même que le projet de loi de finances qu’il a présenté est « perfectible ». Mais les grandes lignes sont celles qu’il a tracées dès sa nomination début septembre : « Continuer à dépenser moins (…), lutter contre les fraudes, qu’elles soient fiscales ou sociales ». Le Premier ministre estime que « l’on peut faire beaucoup sur les dépenses de l’État », mais a aussitôt ajouté : « Mais les deux blocs massifs restent les dépenses sociales et des collectivités locales. »  D’où l’on comprend finalement que, comme ses prédécesseurs, Sébastien Lecornu va accuser les collectivités d’être trop dépensières. Le projet de budget présenté comprend, d’ailleurs, les mêmes ponctions sur le budget des collectivités que celui de François Bayrou (lire article ci-contre). Quant aux dépenses sociales, le moteur de la baisse sera, comme prévu par François Bayou, une « année blanche », c’est-à-dire un gel des prestations sociales et des pensions.

L’autre axe majeur du projet de loi de finances est un savant dosage de hausses et de baisses d’impôts – avec notamment une baisse de la CVAE, un gel du barème de l’impôt sur le revenu, la reconduction d’un impôt sur les bénéfices des très grandes entreprises. Le Premier ministre a également promis de se montrer ouvert aux propositions concernant « le pouvoir d’achat des travailleurs »  (c’était une autre exigence du Parti socialiste). Ces propositions seront débattues et là encore, a-t-il lancé aux députés, « vous voterez ». 

Suspension « complète » 

Est venu ensuite le point le plus attendu du discours. « Le gouvernement est-il prêt à un nouveau débat sur l’avenir de notre système de retraites ? La réponse est oui. »  Bien que Sébastien Lecornu juge que ce débat devra surtout se tenir à l’occasion de l’élection présidentielle, il a reconnu qu’il est « demandé dès maintenant par des forces politiques et syndicales légitimes ». Il va donc « proposer dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites, jusqu’à l’élection présidentielle ». Le Premier ministre a clairement indiqué que cette suspension serait bien « complète », comme l’exigeait le PS, puisque les deux volets de la réforme seront concernés : « Aucun relèvement de l’âge n’interviendra à partir de maintenant jusqu’à janvier 2028. (Et) la durée d’assurance (…) restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028. »  Applaudissements sur les bancs du PS, qui a obtenu, en menaçant de forcer le chef de l’État à une dissolution, une concession jusque-là considérée comme absolument inimaginable par le camp macroniste. 

Précisant que « suspendre pour suspendre »  ne sert à rien, et qu’il reste à « améliorer »  la réforme de 2023, Sébastien Lecornu propose d’organiser une nouvelle « conférence sur le travail et les retraites »  avec les partenaires sociaux. « Si la Conférence conclut, le gouvernement transposera l’accord dans la loi », a ajouté le Premier ministre – ce qui n’est pas si simple, puisque cette « transposition »  ne sera pas, in fine, du ressort du gouvernement. 

Décentralisation, statut de l’élu, polices municipales

Parmi les autres textes urgents que le Parlement va devoir examiner, le Premier ministre a naturellement évoqué celui sur la Nouvelle-Calédonie – un projet de loi constitutionnelle a été présenté hier en Conseil des ministres (lire article ci-contre). Deux autres textes concernant certaines collectivités sont « prêts »  – l’un sur le statut de la Corse et l’autre contre la vie chère dans les Outre-mer –, et « il ne faut pas attendre »  pour les adopter, a demandé le Premier ministre. 

Il a également confirmé qu’un projet de loi de décentralisation, visant à « renforcer le pouvoir local », sera présenté en décembre. Et de répéter son mantra, qui, en l’occurrence, ne diffère guère de celui des principales associations d’élus : « Il ne faut pas décentraliser des compétences. Il faut décentraliser des responsabilités, avec des moyens budgétaires et fiscaux et des libertés, y compris normatives. »  Il espère – ce qui paraît tout de même quelque peu utopique – voir ce texte adopté « avant les municipales ». 

Autres « urgences », autres propositions de loi « prêtes » : le statut de l’élu et l’extension des prérogatives des polices municipales. Le premier de ces deux textes n’attend plus que d’être adopté par le Sénat – de préférence conforme, afin d’aboutir très vite à une adoption définitive. Le second n’a pas encore débuté son examen par le Parlement. 

Sébastien Lecornu l’assume : ce discours ne trace pas « un programme à long terme ». Son équipe constitue « un gouvernement de mission », dont l’objectif est « de redonner son sens à la politique ». « La vraie démocratie permet à celles et ceux qui ne sont pas d’accord de travailler ensemble », a-t-il conclu. « C’est ce qui se passe (…) dans la majorité des conseils municipaux de France. Osons, il suffit de faire un pas. » 

« Frondeurs » ?

À la suite de ce discours, le Parti socialiste a confirmé que « en l’état », il ne censurerait pas le gouvernement – contrairement au RN, à la France insoumise, aux communistes et aux écologistes. Le groupe indépendant Liot a annoncé que « la majorité »  de ses membres ne votera pas la censure – tandis que Laurent Wauquiez, chef de file des députés LR, a exigé qu’aucun membre de son groupe ne vote celle-ci. 

Est-ce à dire que le gouvernement est sauvé, de façon certaine ? Non. Le risque d’une censure est certes très largement écarté, mais pas complètement impossible. Tout dépendra de savoir s’il se trouvera quelques dizaines de « frondeurs »  au sein du Parti socialiste – dont l’aile gauche, ainsi que le mouvement de jeunesse, appellent les députés de leur parti à censurer malgré la consigne. Et au sein des LR, au sein duquel des voix s’élèvent également pour braver la consigne données par Laurent Wauquiez. C’est le cas par exemple de François-Xavier Bellamy – un très proche de Bruno Retailleau – , qui a indiqué hier que s’il était député, il « voterai(t) pour la censure ». Quant à David Lisnard, il a publié hier un communiqué intitulé, sans la moindre ambiguïté : « Il faut censurer ». Fustigeant la décision de reculer sur la réforme des retraites, le président de Nouvelle Énergie estime qu’il serait « inacceptable que Les Républicains valident et entérinent cette lâcheté politique, qui serait une trahison ». Reste à savoir s’il se trouvera des députés pour les suivre.

Réponse demain jeudi, dans la matinée : les motions de censure seront examinées à partir de 9 heures. Dans cette période inédite faite de surprises et de coups de théâtre permanents, il serait imprudent de se livrer à des prévisions trop affirmatives. Mais on peut tout de même dire que la probabilité de survie du gouvernement Lecornu 2 s’est, hier, considérablement renforcée.

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