Crise de l'énergie : Bruno Le Maire envisage de conditionner l'aide aux collectivités à leur rigueur budgétaireÂ
Par Aurélien Wälti
« Nous sommes prêts à aider toutes [les collectivités] qui ont bien géré » leurs finances et « qui font face à des difficultés majeures ». Des collectivités qui n’auraient « aucune raison de payer la crise énergétique actuelle ». C’est le « cadre » que semble vouloir fixer le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, et qu'il a présenté lors de son audition, hier, par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Sortis par la porte, les contrats de Cahors reviendraient-il par la fenêtre dans le contexte inflationniste ? Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, avait pourtant assuré, au début de l’été, qu’on n'y reprendrait plus le gouvernement, celui-ci ayant renoncé à « faire dans ce quinquennat la même chose que ce [qu’il avait] fait dans le précédent » .
Les collectivités « responsables » et les autres
Assurant ne « pas du tout mésestimer leurs difficultés », le ministre a rappelé que les collectivités connaissaient des « situations extrêmement disparates » et que, de ce fait, « on ne peut pas [les] traiter toutes […] de la même façon ».
« Vous avez des collectivités qui s'en sortent bien, certaines qui ont des recettes fiscales de DMTO qui sont fortes, d'autres qui sont en grande difficulté », a-t-il expliqué. « Vous avez aussi des collectivités bien gérées, et d'autres qui sont moins bien gérées. Quand je vois des collectivités qui ont embauché massivement et qui viennent ensuite demander à l'État, parce qu'elles ne peuvent pas faire face à des factures énergétiques, de payer à la place des collectivités, ça peut poser une difficulté », a prévenu Bruno Le Maire, à quelques jours du lancement du marathon budgétaire à l’Assemblée.
Une distinction entre celles qui auraient été « bien gérées au cours des années passées », et celles qui auraient été « mal gérées » (« qui ont engagé des dépenses de fontionnement très lourdes » ) qui lui permettrait donc de conditionner le soutien de l’État aux collectivités « qui en ont le plus besoin et qui ont fait preuve du sens des responsabilités », bien loin de la demande de l’AMF de mettre en place un tarif réglementé pour l’ensemble d'entre elles. Car, selon lui, « il est bon, vis-à-vis du contribuable, de s’assurer de la responsabilité et du sens des responsabilités des collectivités locales ». Les premiers intéressés apprécieront…
Interrogé sur ce sujet, ce matin, en conférence de presse, le président de l'AMF David Lisnard s'est montré particulièrement irrité par ce qu'il a appelé « du paternalisme d'État ». « Qui est l'État pour nous donner des leçons de bonne gestion, quand on voit où en est le déficit de l'État ? Et lorsque les communes embauchent un policier municipal, une Atsem, un AESH, est-ce donc de la ''mauvaise gestion'' ? Nous n'en pouvons plus de ce paternalisme ! » .
Bruno Le Maire a d'ailleurs certifié, hier, que les collectivités locales seraient d’ores et déjà « protégées », puisque « 30 000 d'entre elles ont accès à un tarif régulé [seules les communes ayant 10 agents ou moins et des recettes de fonctionnement inférieures à 2 millions d'euros sont concernées, NDLR] et les autres bénéficient d'un [fonds d'un] demi-milliard d'euros qui a été voté par le Parlement cet été [et qui] concerne plus de 18 000 communes… »
Une enveloppe d'un demi-milliard jugée pourtant « nettement insuffisant[e] » par le député d’Indre-et-Loire Charles Fournier au regard de « la situation que peuvent vivre les collectivités ». L’élu écologiste a ainsi fait valoir une situation « plus qu’alarmante », du fait de « l’inflation des prix de l’énergie, des prix alimentaires, mais aussi l’augmentation de l’indice des fonctionnaires », citant en exemple la ville de Tours, où « l’on va passer d’une facture énergétique de 4 millions d’euros en 2019 à plus de 10 millions en 2023. C’est une explosion ! ».
Résultat, « les collectivités se retrouvent dans une situation qui rend impossible la plupart des investissements, elles voient leurs dépenses de fonctionnement exploser », s’est-il inquiété, tout comme d’autres députés qui ont rappelé les premières fermetures de gymnases, de piscines, de patinoires…
Tarifs : hausse « limitée à 15 % » pour les plus petites communes
À l’occasion de son audition, le ministre de l’Économie a également confirmé la prolongation du bouclier énergétique en 2023. « Mais comme les prix augmentent […] nous avons décidé d’avoir, au 1er janvier, une augmentation de 15 % des prix de l’électricité et de 15 % des prix du gaz… », a déclaré Bruno Le Maire, reprenant les annonces d’Élisabeth Borne, qui s'est exprimée, hier, lors de sa première conférence de presse depuis sa nomination à Matignon.
Celle-ci a ainsi confirmé que la hausse des tarifs de gaz et d'électricité serait limitée à 15 % en 2023 « pour tous les ménages, les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les plus petites communes ». Des hausses qui seront donc supérieures à cette année, celle des tarifs d'électricité pour les particuliers ayant été bloquée par le gouvernement à 4 %, et les tarifs du gaz gelés au niveau d'octobre 2021.
« Ces augmentations vont conduire à une hausse moyenne des factures de l’ordre de 25 euros par mois pour les ménages qui se chauffent au gaz [et] de 20 euros par mois pour les ménages qui se chauffent à l'électricité », a précisé la cheffe du gouvernement. Un « accompagnement spécifique » sera en outre mis en place pour « aider les plus modestes », avec des « chèques énergie exceptionnels » de 100 ou 200 euros qui seront « versés d'ici la fin de l'année » à destination de 12 millions de foyers.
« Prudence » avec les nouveaux contrats d’achat d'énergie
Si la Première ministre a fait part de ses craintes en cas d'« hiver particulièrement froid cumulé à des difficultés d'approvisionnement », elle a insisté sur le fait que « dans les scénarios les plus probables, si chacun prend ses responsabilités et fait preuve de la sobriété nécessaire, il n'y aura pas de coupure ».
Reste que, selon le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (RTE), un « risque de coupure ne peut pas être totalement exclu », mais « il pourrait être évité en baissant la consommation nationale de 1 à 5 % dans la majorité des cas, et jusqu'à 15 % dans les situations météorologiques les plus extrêmes ».
« État, collectivités, entreprises, particuliers : tout le monde a son rôle à jouer, selon ses moyens et ses capacités », selon Élisabeth Borne. Il s'agit de baisser ou reporter la consommation de chauffage, d'éclairage ou de cuisson, notamment lors des pics de consommation, entre 8 heures et 13 heures et entre 18 heures et 20 heures. « En aucun cas la France ne court un risque de perte de contrôle totale du système électrique », a toutefois rassuré RTE.
La Première ministre a, en outre, mis en garde les collectivités : « Compte tenu de ces perspectives de baisse des prix du gaz et de l’électricité, j’adresse une recommandation aux entreprises et aux collectivités : soyez prudentes quand vous vous engagez sur de nouveaux contrats d’achat d'énergie, surtout s’ils portent sur plusieurs années. Les prix aujourd’hui sont anormalement élevés ».
« Il est essentiel qu’il y ait des discussions avec le fournisseur d’énergie, que le montant des garanties soit moins élevé qu’il ne l’est actuellement et que le médiateur de l’énergie intervienne lorsque les discussions ne peuvent pas aboutir », a indiqué de son côté le ministre de l'Economie, qui demande aux fournisseurs d’énergie « de faire preuve de modération dans les tarifs ».
Compensation de la CVAE : conserver « un lien avec l’activité économique »
Autre sujet de préoccupation du moment pour les élus locaux : les modalités de compensation de la baisse annoncée de 4 millions d’euros de la CVAE en 2023 (et sa suppression totale en 2024).
Interrogé lors de son audition sur cette réforme, Bruno Le Maire a expliqué vouloir conserver « un lien entre l’activité économique et la rémunération des collectivités ». « C’est l’objectif. […] Les collectivités n’y perdront pas, mais il faut qu’elles soient incitées à accueillir des activités industrielles sur leur territoire… », a-t-il ajouté, renvoyant la question à la discussion budgétaire.
« C’est sain », s’est réjoui le député du Morbihan Paul Molac (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), un brin dubitatif : « Mais alors pourquoi modifier la CVAE, dans ce cas ? ».
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