Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 11 octobre 2023
Outre-mer

Crise de l'eau en Guadeloupe : le gouvernement refuse les mesures d'urgence demandées par des députés

Alors que les maires des communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre ont dû se résoudre à fermer les écoles, le 9 octobre, en raison de la non-potabilité de l'eau, le député guadeloupéen Olivier Serva a réclamé au gouvernement, hier, des mesures similaires à celles prises à Mayotte. La réponse du gouvernement a été négative.

Par Franck Lemarc

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« À l’heure où je vous parle, ce sont plus de 100 000 usagers qui n’ont pas d’eau potable en Guadeloupe, monsieur le ministre délégué chargé des Outre-mer », a déclaré hier, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le député Liot Olivier Serva. Après le passage de la tempête Philippe, le 5 octobre, l’ARS a alerté sur la dégradation de la qualité de l’eau en Guadeloupe, faisant état d’une « suspicion de contamination microbiologique de l’eau des réservoirs ». Obligeant les maires des Abymes et de Pointe-à-Pitre, les deux communes les plus peuplées de l’île, à fermer l’ensemble des écoles et des crèches « jusqu’à nouvel ordre ». 

« On a créé un Titanic » 

Ce n’est que le énième épisode de la crise de l’eau en Guadeloupe, où depuis des années les usagers se débattent face aux pénuries d’eau récurrentes. De plus en plus d’habitants sont contraints d’avoir recours à des bouteilles d’eau minérale, du fait de la mauvaise qualité de l’eau du robinet ou, parfois, de son absence. Un certain nombre d’habitants sont dans l’incapacité financière d’acheter suffisamment de packs d’eau – alors même qu’ils continuent de payer des factures pour une eau courante qui l’est de moins en moins. D’autres ne peuvent s’approvisionner faute de voiture – au point que dans certaines communes, ce sont les mairies qui ont pris en charge la distribution de packs d’eau minérale. 

Selon les associations de défense des consommateurs, ce sont en effet 100 000 habitants sur 400 000 qui sont confrontés à cette pénurie d’eau. 

Si la très mauvaise qualité du réseau est souvent mise en cause, les élus pointent surtout du doigt la gestion déficiente du syndicat unique chargé, depuis 2021, de gérer l’eau sur l’île, le SMGEAG (Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de la Guadeloupe). Ce syndicat, créé par la loi du 29 avril 2021, est né de la fusion des anciens syndicats existants, et il exerce « en lieu et place des EPCI », les compétences eau et assainissement, service public de défense contre l’incendie et gestion des eaux pluviales urbaines. 

La création de ce syndicat unique avait suscité alors de grands espoirs. En 2022 encore, l’Observatoire de l’eau de Guadeloupe écrivait que « la création de ce syndicat devrait permettre de favoriser les économies d’échelle et les mutualisations, d’organiser la solidarité entre les territoires et de disposer d’une vision d’ensemble, préalable à la poursuite de la rénovation des infrastructures d’eau potable. » 

Deux ans après la création du SMGEAG, le constat d’échec est amer. Le maire des Abymes, Éric Jalton, s’exprimait ainsi sur Guadeloupe la 1ère , hier :  « Depuis que le transfert s’est fait (…), partout ça se passe mal. On a créé un Titanic, il a du mal à fonctionner et est même en train de couler. On ne nous a pas écoutés, on a fait une loi dessaisissant les collectivités de leurs compétences eau (et les confiant) à ce syndicat qui en a trop ! Il n’a pas suffisamment d’ingénierie pour faire face. (…) Je ne suis pas sûr que lors de cette fusion, on ait mis les bonnes personnes aux bonnes places. (…) Nous avons également un problème de moyens. Il faut que l’État participe bien au-delà des 10 millions qu’il nous a concédés ». 

Factures d’eau : le « niet »  du gouvernement

Face à l’urgence, le député Olivier Serva a demandé au gouvernement, hier, des mesures similaires à celles qui ont été prises à Mayotte. « Dois-je vous rappeler que la sécurité sanitaire des populations est de la responsabilité de l’État ? », a lancé le député. Il a demandé le déploiement effectif du plan Orsec Eau potable en Guadeloupe, avec « distribution massive de packs d’eau dans les zones touchées par la pénurie »  ; ainsi que le blocage du prix des bouteilles à « un euro le pack de 6 bouteilles de 1,5 litre ». Rappelons qu’une telle mesure de contrôle des prix par l’État est parfaitement possible en cas de crise : elle avait été appliquée par le gouvernement sur le prix des masques et du gel hydro-alcoolique pendant l’épidémie de covid-19 ; et encore, l’été dernier, pour bloquer le prix de l’eau à Mayotte.

Enfin, le député a demandé que l’État, comme il l’a également fait à Mayotte, « prenne en charge les factures d’eau des usagers jusqu’à la fin de l’année ». 

La réponse du ministre chargé des Outre-mer, Philippe Vigier, a été claire : c’est non. Estimant que « l’on ne peut pas comparer la situation de la Guadeloupe avec celle de Mayotte », le ministre n’a même pas répondu sur un éventuel blocage du prix de l’eau ou sur le plan Orsec. Concernant les « soucis de facture », selon son expression, Philippe Vigier a estimé que c’est au SMGEAG de les régler : « L’État a apporté 47 millions d’euros au titre du fonctionnement du SMEGEAG. (…) Je crois que le syndicat, avec les financements qu’il a reçus, peut contribuer à soulager les abonnés. »  Fermez le ban.

Pendant ce temps, à Mayotte, la situation continue de se dégrader. Hier, la préfecture a officialisé un nouveau durcissement des restrictions : à partir d’aujourd’hui, le « tour d’eau »  reste en vigueur (l’eau est coupée deux jours sur trois), mais la période de disponibilité est réduite à 18 heures, le 3e jour, au lieu de 24 heures, « afin de préserver les retenues d’eau ».

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