Antoine Homé, maire de Wittenheim : « Quatre semaines de cauchemar »
Dans la voix d’Antoine Homé, maire de Wittenheim, il y a de l’émotion, de la tension, de la fatigue. Mais aussi beaucoup de détermination. Cette commune minière de près de 15 000 habitants, toute proche de Mulhouse, est « en plein cœur » de l’épicentre de l’épidémie de covid-19, et c’est toute l’agglomération mulhousienne qui vit depuis un mois au rythme de l’urgence sanitaire.
« Tous les jours, dans le journal L’Alsace, il y a six ou sept pages d’avis de décès. » Voir ces listes s’égrener dans la presse locale, entendre chaque soir « les cloches sonner dans les églises de la ville », sont autant de marqueurs concrets de l’impact extrêmement lourd de l’épidémie dans cette commune d’Alsace. « Ici, tout le monde se connaît, raconte le maire. Vous connaissez les gens, vous connaissez les familles. Vous croisez une personne en pleine forme, et trois jours plus tard vous apprenez qu’elle est décédée, emportée. ». Signer les actes de décès, « les cartes de condoléance », voir aussi les collègues élus frappés – tout cela est « extrêmement dur ». « La fonction d’élu génère un risque bien supérieur à d’autres, explique Antoine Homé, parce que nous sommes sur le terrain, depuis le début, auprès des gens. Mon adjointe à la solidarité a été hospitalisée, l’adjoint aux aînés a été transféré en Allemagne, à Karlsruhe, on a eu extrêmement peur pour lui. » À l’échelle de toute l’agglomération, les élus ont été pareillement frappés : le président Fabian Jordan, maire de Berrwiller et célèbre inventeur de la « journée citoyenne », a été « très malade » ; le maire de Saint-Louis, Jean-Marie Zoellé, est en réanimation – il a été évacué dans une autre région.
Réorganiser les services
Tout a commencé en Alsace plus tôt que dans le reste du pays, à la suite du rassemblement évangéliste de près de 2 000 personnes à Mulhouse, du 17 au 24 février. « À partir de là, cela a été foudroyant, raconte Antoine Homé, quelque chose d’extraordinairement brutal. J’ai une certaine expérience, j’ai vécu comme maire la canicule de 2003. Ça n’a rien à voir. » Il a fallu, très vite, faire face à l’arrêt soudain de toute l’activité, à la saturation des hôpitaux de toute la région, à l’augmentation rapide du nombre de décès : le site de l’Insee indique ce matin que dans le Haut-Rhin, la mortalité entre le 1er et le 23 mars est en hausse de 84 % par rapport à la même période en 2019. Sur sa commune, Antoine Homé estime que la mortalité est « au moins trois fois supérieure à ce qu’elle est d’habitude ».
« Il a tout d’abord fallu réorganiser le service public, raconte le maire. Tout en ne permettant pas l’accueil physique à la mairie, nous avons fait en sorte d’assurer un service continu via un accueil téléphonique. Les cadres viennent travailler par roulement, et nous privilégions autant que possible le contact par mail ou par téléphone. » Les services les plus sollicités sont « la sécurité, la solidarité, l’état civil bien sûr ». Antoine Homé salue « le courage remarquable » des agents, qui assurent leurs missions sans faillir. « Nous avons pu constituer quelques stocks de masques pour protéger les agents les plus exposés, en particulier les policiers municipaux. Les agents continuent de travailler en se protégeant autant que possible. »
Élus et agents engagés
La commune compte quelque 3 000 habitants de plus de 70 ans. « Nous avions constitué une liste d’aînés, avec leurs coordonnées, après la canicule de 2003. J’ai constitué une équipe de volontaires – élus et agents municipaux –, 70 personnes au total, pour que tous soient appelés au téléphone. Cela permet de constater que peu de gens sont complètement isolés, la solidarité familiale joue réellement. Les agents autant que les élus sont très engagés dans cette action – y compris les nouveaux élus du scrutin du 15 mars, qui se sont immédiatement présentés pour aider. »
Un point positif dans cette sombre ambiance : le maire ne constate pas de problèmes de sécurité ni de remontées de violences familiales qui s’accroîtraient. « C’est assez calme, les gens restent chez eux, le confinement est très bien respecté. Il y a toujours une petite minorité de gens inconscients, mais globalement, la gravité de la situation est tellement évidente que cela rend les gens conscients. »
La ville s’est organisée avec la commune voisine de Kingersheim pour accueillir les enfants du personnel soignant – « une maternelle et une école élémentaire sont utilisées pour cela ». Mais « le vrai défi », selon le maire, c’est l’Ehpad. « Nous avons déjà 12 décès sur les 69 résidents, le personnel est débordé. J’ai réussi à obtenir une infirmière supplémentaire, en lien avec le préfet, mais ça a été un dur combat. Cela montre encore une fois l’importance que représentent les services de l’État de proximité, préfets et sous-préfets. C’est à travers ce type de crise que l’on voit plus que jamais à quel point il faut que les administrations restent proches des communes ! ».
Solidarité et service public
Au cours de ces « quatre semaines de cauchemar », Antoine Homé a aussi fait le constat d’une « immense solidarité entre les gens ». « 97 % des personnes se montrent solidaires, raisonnables. Des liens se recréent. Il y a aussi une très grande solidarité entre les maires. » Mais même si l'élu « a l’impression que les choses commencent très lentement à se calmer », il sait que la crise n’est pas finie : « Il y aura encore des morts, et personne n’est à l’abri parce que le virus se niche partout. »
La seule option, c’est donc « de continuer à se battre. Être courageux. Prévenir aussi les autres : je dis à mes collègues maires, dans tout le pays, là où l’épidémie n’a pas la même ampleur : ‘’Dites-vous bien que cette épidémie, c’est tout ce qui a été dit, et même pire !’’. »
Comment résister au découragement et à la démoralisation, dans une telle situation ? Pour le maire de Wittenheim, c’est le fait d’être en permanence dans l’action qui permet de tenir. « Agir, cela donne de la force. C’est très dur, nous avons encore beaucoup d’obstacles devant nous, mais nous avons un rôle essentiel à jouer. Les mairies, dans cette crise, jouent un rôle considérable – tout comme les pompiers. C’est cela, le service public. C’est là que l’on voit à quoi ça sert, et pourquoi il est si important de le préserver. »
Franck Lemarc
Suivez Maire info sur twitter : @Maireinfo2
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