L'État et les élus corses aboutissent à un accord pouvant conduire à l'autonomie de la Corse
Par Franck Lemarc
Les délais ont été respectés. Le président de la République souhaitait que le « processus de Beauvau », lancé le 16 mars 2022, aboutisse avant la fin mars. Presque deux ans jour pour jour après le lancement du processus, les discussions ont abouti à un accord, après une ultime négociation qui a duré une partie de la nuit, au ministère de l’Intérieur.
Le « processus de Beauvau »
En mars 2022, Gérald Darmanin engageait avec les élus corses « un processus de discussions », dont le périmètre « couvrira l’ensemble des problématiques corses, sans exclusive, parmi lesquelles figure l’évolution institutionnelle vers un statut d’autonomie qui reste à préciser ». Ce processus avait été lancé au lendemain des violentes manifestations en Corse faisant suite à l’assassinat en prison d’Yvan Colonna, le meurtrier du préfet Érignac (lire Maire info du 16 mars 2022).
Ce processus s’est mis en place : installation d’un « comité stratégique » en juillet 2022, incluant des représentants de l’Assemblée de Corse, des parlementaires et les deux présidents des associations départementales de maires de Corse. Une première réunion a lieu le 16 septembre, avant une longue interruption due au refus de l’État de placer en libération conditionnelle les membres du « commando Érignac », complices d’Yvan Colonna, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.
La situation se débloquera début 2023, avec la mise en liberté conditionnelle des deux prisonniers en février et mars. Le processus de Beauvau reprend le 24 février 2023, avec la reprise des réunions.
C’est la dernière réunion de ce processus qui s’est tenue hier et qui a, semble-t-il, abouti à un accord que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier « d’historique » : le gouvernement, qui s’était dit en 2022 « prêt à aller jusqu’à l’autonomie », a tenu parole.
« Un pouvoir normatif propre »
L’accord trouvé cette nuit entre le ministre de l’Intérieur et les élus corses respecte « les lignes rouges fixées par le président de la République », a expliqué Gérald Darmanin – et celles fixées par le Conseil constitutionnel lui-même : il n’est pas fait mention dans l’accord de l’expression « peuple corse ». On se souvient qu’en 1991, les Sages avaient censuré un projet de statut de la Corse parce qu’il mentionnait le « peuple corse » : « La mention faite par le législateur du ‘’peuple corse, composante du peuple français’’ est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
Le texte sur lequel un consensus a été trouvé hier mentionne en conséquence, pour la Corse, « des intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ».
Surtout, le texte prévoit « la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République ».
Quels contours prendra cette « autonomie » ? Gérald Darmanin a développé : « Un pouvoir d’adaptation des normes législatives et réglementaires nationales. » Autrement, dit, l’Assemblée de Corse pourra « adapter les normes nationales, dans des conditions qui seront prévues par une loi organique. » Au-delà de ce pouvoir d’adaptation, le texte prévoit « un pouvoir normatif propre, qu’il soit législatif ou réglementaire » : l’Assemblée de Corse, dans un certain nombre de champs de compétence qui seront listés dans une future loi organique, pourra fixer ses propres règles, « indépendamment des règles nationales ». Le ministre a cité, à titre d’exemple, « l’urbanisme ou le foncier ». Naturellement, ces « règles propres » devront être conformes à la Constitution française : « La collectivité de Corse, par exemple, ne pourrait pas exclure du droit de propriété un certain nombre de personnes, puisque ce serait contraire à la Constitution ». Il est donc prévu que, comme pour les lois nationales, celles qui seront décidées par l’Assemblée de Corse seraient soumises à un double contrôle : celui du Conseil d’État, en amont, et du Conseil constitutionnel, en aval.
Gérald Darmanin a insisté : « Il n’y a pas de séparation de la Corse avec la République ». En particulier, les notions de « statut de résident » ou de « co-officialité de la langue corse » sont absentes de l’accord.
Enfin, il a été décidé que les électeurs corses seront consultés par référendum sur ce projet de statut.
Et maintenant ?
La fin du « processus de Beauvau » – qui est maintenant « clos », a bien précisé le ministre – marque le début d’un autre : celui qui doit aboutir, d’une part, à une révision constitutionnelle, puis à l’adoption d’une loi organique.
Première étape : le texte adopté hier lors de la réunion va être soumis à l’approbation de l’Assemblée de Corse. Si celle-ci l’approuve, il reviendra au chef de l’État de lancer la réforme constitutionnelle, c’est-à-dire de proposer un projet de loi qui devra être adopté dans les mêmes termes par les deux chambres puis par le Congrès, à la majorité des trois cinquièmes. Viendra ensuite le temps de la loi organique, qui définira en particulier les compétences sur lesquelles la collectivité de Corse sera autorisée à légiférer en propre.
Le gouvernement n’a pas, pour l’instant, précisé à quel moment les électeurs corses seront consultés ni sur quoi : sur le projet de réforme constitutionnelle, avant présentation de celui-ci au Parlement ? Sur la loi organique également ? Ce point n’est pas éclairci pour l’instant.
Reste à savoir si ce projet passera sans encombres ces différentes étapes – au sein de l’Assemblée de Corse, d’abord, au Parlement ensuite. Gérald Darmanin a précisé la nuit dernière que le texte, s’il faisait l’objet d’un « consensus large », ne fait pas pour autant « l’unanimité » au sein de la délégation qui s’est réunie hier place Beauvau, et que des « réserves » ont été exprimées « en particulier par le sénateur Panunzi. Ce sénateur LR (Corse-du-Sud) se dit en effet « farouchement opposé au pouvoir législatif » qui serait donné à la collectivité de Corse. Il est sur la même ligne que les chefs de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, et le président du Sénat lui-même, Gérard Larcher, qui estiment que « la loi reste et doit rester au Parlement ».
De même, Jean-Martin Mondoloni, élu municipal à Bastia et membre de l’Assemblée de Corse, où il dirige l’opposition aux indépendantistes, a toujours combattu l’octroi d’un pouvoir législatif. Dans un entretien au site Corse Net infos, fin février, il se disait encore « partisan d’une autonomie raisonnable », c’est-à-dire d’un pouvoir d’adaptation « plus opérationnel ». Mais pas d’un pouvoir législatif, « aussi encadré soit-il ». L’élu, tout en maintenant ses réserves, dit toutefois ce matin ne pas souhaiter être « le bourreau du processus ».
La première étape du nouveau processus est donc désormais entre les mains des élus de Corse, qui devrait trouver un compromis entre indépendantistes et autonomistes « raisonnables », pour reprendre l’expression de Jean-Martin Mondoloni. En cas d’accord, viendra ensuite le temps du débat parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui promet d’être houleux au vu de l’opposition de la droite à une autonomie « législative » de la Corse.
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