Corse : décès d'Yvan Colonna, sur fond de discussions sur l'autonomie
Par Franck Lemarc
Alors que la visite du ministre de l’Intérieur avait semblé calmer les tensions en Corse, la mort d’Yvan Colonna, hier soir, laisse craindre une nouvelle flambée de violences. Les appels au calme se multiplient, tandis que la question de « l’autonomie » ouverte par l’exécutif reste toujours relativement floue.
La nouvelle est tombée dans la soirée du lundi 21 mars : Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Érignac en 1998, est décédé des suites de son agression par un détenu radicalisé de la prison d’Arles. Depuis cette tentative de meurtre, il y a trois semaines, le militant nationaliste était dans le coma dans un hôpital de Marseille.
Cette agression avait provoqué une flambée de colère dans l’île, culminant le dimanche 13 mars lors d’une manifestation pendant laquelle 102 personnes ont été blessées, dont 77 parmi les forces de l’ordre, selon le procureur de Bastia.
« Chercher les responsabilités »
La nouvelle du décès d’Yvan Colonna n’a pas donné lieu à des tensions dans la nuit de lundi à mardi. Mais ce matin, des appels à manifester ont été lancés notamment vers les lycéens, qui ont été très actifs lors des émeutes de la semaine dernière. La famille et les avocats d’Yvan Colonna ont appelé à « respecter le deuil » et appelé au « recueillement », ces derniers indiquant qu’après cette période de deuil ils « reprendraient les actions judiciaires engagées », pour tenter, d’une part, de faire la lumière sur les conditions qui ont rendu possible l’agression en prison d’Yvan Colonna et, d’autre part, de comprendre « l'interdiction qui a été faite à Yvan Colonna de purger la peine près de son foyer contrairement à ce que prévoit la loi ».
Du côté de la majorité, on ne cherche d’ailleurs pas à minimiser la gravité des faits. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a promis ce matin sur Europe 1 que l’État allait « chercher les responsabilités » des « dysfonctionnements très graves » qui ont conduit à l’agression d’Yvan Colonna. Quant au député macroniste de l’Eure Bruno Questel, il a déclaré sur France info que « personne ne mérite de mourir dans ces conditions ». « Un homme a été assassiné en milieu carcéral alors qu'il était placé sous statut DPS [détenu particulièrement surveillé], qu'il devait être surveillé et protégé », s’est indigné le député. Il a, comme d’autres personnalités politiques, appelé au « calme » – Valérie Pécresse a, par exemple, appelé ce matin à ne pas « embraser la Corse ».
« Lignes rouges »
La visite de trois jours du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait pourtant semblé apaiser les tensions. En particulier parce que le ministre – en accord avec le chef de l’État – s’est dit prêt à discuter de « l’autonomie » de l’île. Mais la réalité institutionnelle qui se cache derrière ce mot reste, à cette heure, très floue.
Le ministre a rencontré à plusieurs reprises les élus de l’île pendant son déplacement, leur indiquant n’être venu « ni avec le chéquier ni avec la matraque, mais pour écouter, dialoguer et tenter de trouver une solution au problème corse », selon le témoignage de plusieurs d’entre eux. Gérald Darmanin a proposé aux élus de se retrouver à Paris pour entamer un cycle de discussions sur l’autonomie « dans les quinze jours, trois semaines qui arrivent », avec pour objectif – dans le cas où Emmanuel Macron est réélu à la présidence de la République – d’aboutir à un premier projet d’accord dès la fin de l’année 2022.
Mais que recouvre, exactement, ce terme « d’autonomie » dans l’esprit de l’exécutif ? Seule certitude : on parle bien d’autonomie et non d’indépendance. Gérald Darmanin, dans une interview donnée à RTL hier, a indiqué qu’il s’agissait là d’une « ligne rouge » : « La Corse restera dans la République ». Deuxième « ligne rouge » : il n’y aura pas « deux catégories de citoyens sur le territoire français ». Une manière de refuser clairement la reconnaissance du « peuple corse » voulue par les nationalistes de l’île. Pour le reste, la discussion est « ouverte » : « Il y a des statuts dans la République où l'autonomie est grande, a développé le ministre de l’Intérieur, il faut désormais travailler, il faut entrer dans le détail et ne pas simplement avoir une vision romantique de l’autonomie ».
Réactions des élus
Du côté des élus nationalistes ou autonomistes corses, les réactions sont nuancées. Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, a demandé que la reconnaissance du peuple corse soit au centre des discussions au moins autant que l’autonomie et appelé à « inventer des chemins constitutionnels » pour rendre cette reconnaissance possible. Il a demandé « un document écrit » confirmant les engagements du ministre de l’Intérieur – ce qu’il n’a pas obtenu – et surtout que le candidat Emmanuel Macron confirme officiellement que s’il est élu, il « appliquera » ces engagements.
Pierre Savelli, le maire de Bastia, s’est plutôt réjoui des engagements du ministre, estimant que « la majorité des Corses n'aspire pas à l'indépendance, elle aspire à l'autonomie. » Et de développer : « Ce statut d'autonomie lui permettrait de répondre de façon précise à toutes les problématiques qui découlent de ses spécificités et auxquelles les lois applicables sur le territoire ne peuvent pas répondre aujourd'hui. »
Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio, se dit « pour l’autonomie et contre l’indépendance » et propose, une fois le projet ficelé, de le soumettre à référendum. Jean-Christophe Angelini, maire de Porto-Vecchio, s’est dit déçu par le flou des intentions gouvernementales : « Que représente l’autonomie pour le gouvernement et pour M. Darmanin ? [La réponse] a manqué cruellement ».
« Responsabiliser les élus locaux »
Dans une tribune publiée hier dans Le Figaro, le député du Morbihan Paul Molac (Liberté et territoires), salue la volonté de l’exécutif d’aller vers une « autonomie », revendication « légitimée de manière constante à toutes les élections locales [en Corse] depuis 2015 ». L’autonomie est, pour Paul Molac, « une réponse à l'échec du centralisme français » et « une manière de responsabiliser davantage les élus locaux » : « Avec l'autonomie locale, il s'agit ni plus ni moins que de rapprocher la décision du citoyen en rendant les élus locaux davantage responsables devant leurs électeurs et ne plus avoir à s'en remettre à une haute administration de l'État sourde aux difficultés du peuple », conclut le député breton, qui plaide pour que cette ouverture vers l’autonomie ne soit pas réservée qu’à la Corse : « D'autres territoires mériteraient également de se voir octroyer un statut différencié au regard de leurs spécificités territoriales et des pesanteurs administratives. »
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