La question des gens du voyage pendant l'épidémie : quelques réponses aux questions que se posent les maires
S’il est, entre autres, une communauté pour laquelle l’épidémie de covid-19 est particulièrement dure, c’est celle des gens du voyage. D’abord tout simplement parce que le confinement dans des caravanes est éprouvant ; ensuite parce que la paralysie de la vie économique prive une grande partie de cette communauté de revenus. C’est pourquoi le gouvernement a appelé, dès la fin mars, les maires à se montrer à l’écoute et compréhensifs, notamment sur le recouvrement des redevances et des charges. Mais cela ne suffit pas à répondre à toutes les questions.
Face à la précarisation
Stéphane Lévêque, directeur de la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes et les gens du voyage) explique ce matin à Maire info que son organisation reçoit, « depuis le début de l’épidémie, énormément de questions de maires et de présidents d’intercommunalité ». Ces interrogations « ont évolué » : au départ, les questions portaient surtout sur la perception des redevances, l’instauration ou pas de la gratuité. « L’immense majorité des communes ont choisi non pas la gratuité, mais le report du paiement de la redevance. ». C’est, du reste, ce que préconise le gouvernement : dans un document diffusé par la Dihal (direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) dès le 27 mars, le gouvernement recommande avant tout de veiller à « maintenir le service public d’accueil sur les aires permanentes » et d’y « maintenir l’accès à l’alimentation continue en eau et en électricité sans obligation immédiate de paiement ». Il demande aux maires de « faciliter l’échelonnement ou le report du recouvrement de droit d’usage » et de « suspendre les expulsions liées à des non-paiements ».
En effet, comme l’explique Patrick Delebarre, maire de Bondues (Nord) et référent de l’AMF sur les gens du voyage, la question de la « précarisation » est bien « le principal sujet ». « Il y a de plus en plus de cas de familles qui n’arrivent plus à se payer de quoi manger, et de nombreux maires sont amenés à devoir organiser une aide alimentaire vis-à-vis de ces familles, raconte Patrick Delebarre, en s’appuyant sur les CCAS et les CCiAS. »
Comme l’explique Stéphane Lévêque à la Fnasat, « les activités des voyageurs s’exercent essentiellement sous le statut d’autoentrepreneur dans le commerce ou les services à la personne » (jardinage, élagage…). La fermeture des marchés et l’arrêt des services à la personne non-vitaux mettent un très grand nombre de voyageurs « face à une baisse catastrophique, voire un arrêt, de leurs revenus ». Beaucoup de communes aident comme elles peuvent avec de l’aide alimentaire et en suspendant, on l’a dit, le paiement des charges – mais des maires « se demandent déjà comment il sera possible de gérer l’après, c’est-à-dire le recouvrement de la dette ». L’autre problème crucial, selon le directeur de la Fnasat, est le paiement des échéances des crédits sur l’achat des caravanes. « Environ 12 000 personnes parmi les gens du voyage ont contracté un tel crédit, avec des mensualités, en moyenne, de 250 euros par mois. Il faut trouver une solution. Nous interrogeons la DGCCRF pour savoir s’il serait possible de geler le paiement des échéances pendant la crise – car au bout de deux mensualités non payées par un particulier, c’est l’interdit bancaire et l’inscription au fichier de la Banque de France… ».
Ne pas se déplacer
Dans ses recommandations, la Dihal commence par énoncer clairement que les déplacements des gens du voyage « n’entrent pas dans l’un des cas de dérogations » à l’interdiction de se déplacer. Ils doivent donc « rester confinés dans leur domicile (caravane) là où il est, (…) ne sont pas autorisés à changer d’aire de stationnement et doivent rester sur celle sur laquelle ils se trouvent. »
Ce qui est sans doute plus simple à écrire qu’à faire : les cas sont nombreux, dans le pays, de gens du voyage coincés sur une aire d’accueil trop petite pour pouvoir respecter les règles de distanciation sociale, avec dans ce cas, parfois, la tentation d’aller s’installer ailleurs, y compris de façon illégale.
« Il ne faut surtout pas généraliser », souligne Patrick Delebarre, le maire de Bondues. « Les situations sont extrêmement différentes d’un endroit à l’autre – même au sein de la métropole lilloise. Globalement, j’ai l’impression que le confinement est bien respecté car les gens du voyage, comme tous les autres habitants du pays, ont peur du virus. »
Mais les problèmes se multiplient – par exemple celui de la gestion des déchets. L’enlèvement de celles-ci, souligne le gouvernement, doit absolument rester assuré par les gestionnaires des aires. Mais, dans certaines régions, la fermeture des déchetteries amène des citoyens peu scrupuleux à déposer leurs déchets sur ou à proximité des aires d’accueil, « dont certaines se transforment ainsi en véritables dépotoirs », se désole Patrick Delebarre.
Le gouvernement demande par ailleurs à la fois aux gestionnaires et aux services de l’État d’appliquer les mêmes règles (alimentation en fluides, évacuation des déchets) sur les autres sites, hors des aires d’accueil permanentes : aires de grand passage, emplacements agréés et même « stationnements illicites » – sur lesquels les évacuations doivent être « suspendues ».
Isoler les cas suspects ou confirmés
Le gouvernement estime donc que les gens de voyage ne doivent « pas se déplacer ». Mais que faire lorsque des personnes sont infectées par le virus ou suspectées de l’être au sein des aires d’accueil ? Dans ce cas, explique Stéphane Lévêque, « les voyageurs sont souvent en demande de quitter les lieux par peur de la contagion ». C’est pour éviter ce risque de départs « éclatés » que la Dihal demande que les services de l’État repèrent des lieux, à proximité des aires, où pourraient être isolées (en « confinement médicalisé » ) des personnes infectées. En cas d’infection, il est en effet conseillé « d’isoler la famille du cas suspect du reste du groupe ». Les services de l’État, « en lien avec les collectivités et les ARS », doivent donc repérer des lieux susceptibles d’accueillir des personnes à isoler : « parkings d’établissements publics officiellement fermés, cours d’écoles, terrains mis à disposition voire réquisitionnés, etc. ». Ce dispositif a tout intérêt à être mis en place, et à être connu, estime la Fnasat : « C’est rassurant pour les voyageurs, pour la population, et pour les communes. »
Stéphane Lévêque note aussi que plusieurs maires se demandent si les déplacements de gens du voyage, à titre individuel, sont autorisés vers une parcelle privée qu’ils possèderaient, « parfois pas très loin d’une aire d’accueil », pour s’y installer en toute sécurité. Si l’on s’en tient à la lettre du document de la Dihal, la réponse est non. « Mais je ne peux que conseiller aux maires confrontés à ce problème de prendre attache avec les services du préfet, pour voir si des solutions peuvent être trouvées au cas par cas, de façon encadrée. »
La question des grands passages
Reste la question des grands passages – les traditionnels déplacements d’un grand nombre de caravanes qui débute à la mi-mai, c’est-à-dire après la date prévue du début du déconfinement (le 11 mai). Comment le gouvernement va-t-il gérer cette perspective ? Patrick Delebarre aimerait bien avoir la réponse à cette question, et remarque surtout que pour l’instant, « l’État n’a rien dit sur ce sujet, alors que les maires ne savent pas quoi faire. On voudrait bien que l’État nous donne, rapidement, une ligne de conduite. »
À la Fnasat, Stéphane Lévêque confirme que le gouvernement semble « ne pas avoir de doctrine sur le sujet » pour l’instant. « Nous relayons les interrogations des maires. Je pense néanmoins que les organisateurs des rassemblements, qui sont des associations nationales, font preuve d’un grand sens de la responsabilité depuis le début de la crise. À mon avis, si les rassemblements se font, ils seront fortement décalés dans le temps. Les associations doivent transmettre un planning au ministère de l’Intérieur… Je pense que le calendrier sera refait et discuté en amont avec les services du ministère. »
Reste qu’une prise de parole de l’État, sur ce sujet et alors que les échéances approchent, serait bienvenue.
Franck Lemarc
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