Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 11 mai 2020
Coronavirus

La loi prolongeant l'état d'urgence sanitaire adoptée, mais pas encore promulguée

La loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire a été adoptée en commission mixte paritaire (CMP), samedi 9 mai. Il était évidemment prévu que cette loi soit promulguée au moment du déconfinement, puisqu’elle contient un certain nombre de mesures réglementant celui-ci. Mais la saisine du Conseil constitutionnel a retardé les choses, et la loi ne sera pas promulguée avant demain, au minimum. 
La commission mixte paritaire a fait son travail de recherche de compromis : le texte qui a finalement été adopté comprend à la fois quelques articles entièrement récrits pour satisfaire à la fois les députés et les sénateurs, et un certain nombre de suppressions d’articles ajoutés au cours de la navette.

Responsabilité pénale
C’est en particulier l’article 1 et son article sur la responsabilité pénale des décideurs publics ou privés pendant le déconfinement qui a fait l’objet d’importants débats. La version retenue par l’Assemblée nationale, avant passage en CMP, ne pouvait en effet satisfaire les sénateurs, avec sa seule mention à l’obligation faite au juge de « tenir compte de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits ». 
Le texte adopté en CMP est bien plus précis : il dispose que l’article 121-3 du Code pénal (faute non intentionnelle) est applicable « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ». 
Philippe Bas, président de la commission des lois au Sénat, s’est exprimé à ce sujet lors du vote définitif de la loi, samedi : « Pendant la période du covid-19, le maire a moins de pouvoir qu'en temps ordinaire »  – ce qu’a rappelé notamment le Conseil d’État en statuant sur l’arrêté du maire de Sceaux, Philippe Laurent, relatif au port du masque. « Moins de pouvoirs, moins de responsabilités !, a poursuivi Philippe Bas. Il était nécessaire que cela fût clairement dit, pour les maires, mais aussi les employeurs, qui devront prendre des milliers de décisions par jour, pour mettre en œuvre le déconfinement. Il était normal que chacun sache quelle est l'étendue de ses responsabilités. »  Jean-Pierre Sueur, du groupe socialiste, est allé dans le même sens : « La formulation trouvée en CMP insiste sur les responsabilités de chacun et précise que dès lors que les maires appliquent une décision de l'État, ils agissent en tant qu'agents de l'État et ne peuvent pas être poursuivis à ce titre. » 
Au passage, Philippe Bas a pointé l’espèce d’hystérie collective qui s’est emparée des réseaux sociaux à propos de cette affaire : « On a parlé d'amnistie, voire d'autoamnistie. C'est hors de propos ! Aucun juriste (…) ne peut parler d'amnistie hors du cas d'une personne déclarée coupable, protégée d'une condamnation en vertu d'une disposition législative. Je vous défie de trouver quoi que ce soit qui pût y ressembler, dans le texte adopté par le Sénat, dans celui de l'Assemblée nationale, et a fortiori dans les conclusions de la CMP. » 
Sur son blog, l’avocat spécialiste du droit des collectivités Éric Landot notait, ce matin, la même chose : « Il ne s’agit pas d’un autoamnistie, loin, très loin s’en faut ! La modestie même des éléments de la nouvelle loi suffit à rendre ridicule ce nouveau prurit du clic. »  L’avocat estime que le texte adopté ne change finalement pas grand-chose au droit, si ce n’est qu’on « rappelle au juge son mode d’emploi », ce qui ne lui paraît pas inutile : « Le juge pénal doit faire une analyse in concreto » , c’est-à-dire « en appréciant les moyens dont on disposait et la nature de ses missions ou fonctions ». 

Les autres dispositions
Parmi les évolutions du texte adopté, on notera la disparition de plusieurs articles ajoutés pendant la navette. L’un d’entre eux, ajouté au Sénat, imposait que l’établissement des cartes de classification des départements (rouges et verts) se fasse sur la base d’un dialogue avec les élus locaux. Il a été supprimé par les députés et cette suppression a été confirmée par la CMP. Un autre article issu du Sénat a été supprimé : il exonérait de frais bancaires, pendant la durée de l’état d’urgence les personnes les plus précaires. 
Un nouvel article ajouté par les députés, à l’initiative du groupe LaREM, a lui, en revanche, été maintenu : il permet de prolonger la trêve hivernale pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, donc jusqu’au 10 juillet. Pendant toute cette période, les expulsions locatives vont donc rester interdites, ainsi que les coupures pour non-paiement d’électricité ou de gaz.
Pour le reste, la loi – telle qu’elle est écrite en tout cas avant le passage entre les mains du Conseil constitutionnel –, outre qu’elle prolonge l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet, organise le placement à l’isolement des malades du covid-19 et réglemente les conditions de création du système d’information permettant de lutter contre l’épidémie. Il s’agira, notamment, de tracer les contacts de toute personne infectée par la maladie, en s’appuyant sur des brigades ad hoc. Pourront participer à cette recherche et à cette collecte d’information, notamment, les personnels des « communautés professionnelles territoriales de santé (et des) établissements de santé, sociaux et médico-sociaux. » 
D’ores et déjà, l’AMF s’interroge, comme l’a écrit son président François Baroin au gouvernement, sur le rôle que le gouvernement entend vouloir donner aux CCAS dans ce processus. Maire info reviendra dans une prochaine édition sur ces interrogations. 
Enfin, la loi autorise le gouvernement à prendre des mesures de restriction de la circulation des personnes. C’est dans ce cadre que le gouvernement pourra légalement interdire les déplacements de plus de 100 km hors de son département. La loi n’étant pas publiée, une telle mesure n’est pas applicable aujourd’hui ce qui veut dire que, stricto sensu, rien n’interdit ce lundi une personne à se déplacer sans attestation d’un bout à l’autre du pays. Le président de la République et le Premier ministre eux-mêmes, dans un communiqué publié la nuit dernière à une heure du matin, reconnaissent ce petit trou dans la raquette, expliquant que cette disposition doit attendre le quitus du Conseil constitutionnel pour prendre effet, ce qui, espèrent-ils, sera fait « le 11 mai au soir ». En attendant, ils en appellent « au sens de la responsabilité des Français »  pour la respecter d’ici là.

Franck Lemarc

Accéder au texte adopté par le Parlement.

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