Houleux débat à l'Assemblée nationale sur les commerces « non essentiels »
La question de l’ouverture des commerces a été au cœur de la séance de questions au gouvernement hier, avec de nombreuses questions sur le sujet et des réponses du gouvernement en appelant à la responsabilité des maires.
Malgré la modification du décret du 29 octobre et l’interdiction faite aux grandes surfaces de vendre des produits également vendus dans les petits commerces fermés, une demi-douzaine de députés a décidé, hier, d’interpeller le gouvernement sur la question de la fermeture des commerces non essentiels ou plus spécifiquement sur celle des librairies.
Cela a été le cas de Charles de Courson (Libertés et territoires, Marne), qui a dénoncé la « rupture d’égalité » entre petits commerces et grandes surfaces, et demandé au gouvernement d’instaurer « un impôt exceptionnel sur les grandes entreprises du e-commerce » et, d’autre part, de permettre aux petits commerçants fermés de « recevoir leur clientèle sur rendez-vous ». Christine Pires Beaune (PS, Puy-de-Dôme), a relayé « l’incompréhension et la colère des maires », dont certains ont pris des arrêtés pour autoriser l’ouverture des commerces non essentiels. « Ce n’est évidemment pas la bonne solution, et nous n’appelons pas à la désobéissance », a souligné la députée. Mais elle a enjoint le gouvernement à « revoir (sa) copie » et à « autoriser les commerces des centres-bourgs et centres-villes à ouvrir avec des protocoles sanitaires renforcés ».
Géraldine Bannier (Modem, Mayenne), bien qu’appartenant à la majorité, s’est étonnée que la nouvelle mesure du gouvernement – fermeture entre autres des rayons livres dans les grandes surfaces – conduise à ce qu’il ne soit plus possible d’acheter des livres « que sur les plates-formes bien connues ». « Quid, donc, des mesures qui pourraient être à nouveau mises en œuvre, mais aussi de la réduction annoncée des tarifs postaux, qui permettra à chaque lecteur de se faire livrer à moindre coût cet objet indispensable qu’est le livre, y compris par les librairies de proximité ? » Valérie Bazin-Malgras (LR, Aube) a aussi accusé le gouvernement, à mots moins couverts, de « dérouler le tapis rouge à Amazon ». « Pourquoi serait-on plus vulnérable dans une librairie que dans un métro bondé ? Admettez votre erreur et permettez aux commerces de proximité de rouvrir ! »
Quant à Jean-Marie Sermier (LR, Jura), il s’est indigné des propos tenus par le directeur général de l’agence régionale de santé Bourgogne-Franche-Comté qui, dans un communiqué publié samedi, a évoqué à propos des arrêtés pris par les maires « des arrêtés manifestement clientélistes ». « Il est insupportable que des hauts fonctionnaires insultent les élus locaux », a tonné Jean-Marie Sermier, qui a exigé du gouvernement qu’il « condamne » ces propos.
Jean-Christophe Lagarde (UDI, Seine-Saint-Denis), enfin, a à son tour demandé au gouvernement de permettre « au couple maire-préfet d’aménager ces décisions en fonction du territoire ».
Le gouvernement promet des mesures nouvelles
Plusieurs ministres ont pris la parole pour répondre. Sur la question des arrêtés pris par les maires, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire – qui avait eu le week-end dernier des propos peu amènes à ce sujet – a tenu à « saluer l’esprit de responsabilité dont fait preuve l’Association des maires de France. (…) Plutôt que d’appeler les élus locaux à prendre des arrêtés illégaux, François Baroin et André Laignel ont formulé des propositions et suggéré, comme vous, des avancées pour le commerce de proximité. C’est comme cela que nous arriverons, ensemble, à conjuguer la lutte contre la circulation du virus et la réouverture des commerces de proximité, à laquelle, croyez-moi, nous aspirons tous. »
Sur le même sujet, le Premier ministre, Jean Castex, a sèchement répondu à Jean-Christophe Lagarde : « Je ne comprends pas que vous vous adressiez aux maires de votre formation politique (en) leur suggérant vivement de prendre des arrêtés pour s’opposer aux décisions de l’état d’urgence sanitaire. Quand la République est confrontée à la plus grave crise sanitaire qu’elle ait subie depuis des décennies, on n’appelle pas les maires, serviteurs de la République, à en violer les lois ! Ils ne s’y sont pas trompés : seuls 71 des 36 000 maires ont pris un tel arrêté ; hier, 16 l’avaient retiré et 55, maintenu. Vous avez raison : les maires sont des gens responsables ! »
Sur le fond, Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, ont indiqué que le gouvernement travaillait avec La Poste à un « dispositif » pour traiter la question des frais postaux pour les libraires indépendants, qui sera effectif « dans les jours qui viennent » : les tarifs postaux pour les librairies indépendantes seront « divisés par trois, peut-être plus », a précisé la ministre de la Culture.
Par ailleurs, « d’ici la fin de la semaine ou le début de la semaine prochaine », des protocoles sanitaires renforcés seront mis en place à destination de tous les commerces de proximité. Le 12 novembre, comme prévu, le gouvernement fera le point et verra « quels commerces peuvent rouvrir et dans quelles conditions ». En attendant, le gouvernement « ne ménagera aucun effort financier pour permettre aux commerces de proximité de passer cette période difficile ».
Première décision d’un tribunal
Enfin, signalons qu’un premier tribunal administratif a suspendu un arrêté pris par un maire à ce sujet – celui du maire de Colmar. Saisi par le préfet du Haut-Rhin, le juge des référés a ordonné la suspension immédiate de cet arrêté qui autorisait la rouverture des commerces non alimentaires de détail à partir d’aujourd’hui.
De façon attendue, le juge a rappelé que, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, des pouvoirs de police spéciale sont dévolus au gouvernement – et à lui seul – pour prendre les mesures nécessaires « pour mettre fin à une catastrophe sanitaire ». Les pouvoirs de police du maire lui permettent, éventuellement, de durcir ces mesures si les circonstances locales l’exigent, mais en aucun cas de les « rendre moins rigoureuses ».
L’arrêté pris par le maire de Colmar, détaille le juge, va à l’encontre de l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 – en l’assouplissant – ce qui le rend de fait illégal. D’autre part, cet arrêté aurait pour effet « d’étendre les motifs permettant au public de quitter leur domicile ». À ce titre, il est susceptible « de compromettre la cohérence, l’efficacité et la lisibilité (des mesures) prises par les autorités compétentes de l’État ».
Le tribunal ne se prononce pas sur l’effectivité de la situation de concurrence déloyale mise en avant par le maire. Mais il juge, en tout état de cause, que même si elle existait, cette situation « ne saurait, par elle-même, justifier de l’assouplissement des mesures prises par le Premier ministre ».
F.L.
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