Extension du pass sanitaire : « L'ampleur de l'atteinte aux droits et libertés fondamentales » inquiète la Défenseure des droits
Par A.W.
Atteinte aux libertés, risques de discrimination, atteintes aux droits des enfants... Dans un avis transmis au Parlement et rendu public hier, la Défenseure des droits, Claire Hédon, « s’interroge tant sur la méthode que sur la proportionnalité de la plupart des dispositions et restrictions présentes » dans le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, adopté lundi en Conseil des ministres.
Examiné depuis hier par les députés, ce texte vise à la fois à prolonger le régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire, de rendre la vaccination obligatoire pour certains professionnels et d’étendre le pass sanitaire à toute une série d’activités de la vie quotidienne ; celui-ci étant désormais obligatoire pour accéder aux lieux de loisirs ou de culture rassemblant plus de 50 personnes.
« Zones d’ombre »
Dans son avis, Claire Hédon regrette d’abord le choix d'une procédure accélérée pour le vote de ce texte compte tenu « de l'ampleur des atteintes aux droits et libertés fondamentales prévues » par ce projet de loi dont l’objectif est de faire face à l’évolution particulièrement rapide de l'épidémie de Covid-19 (plus de 18 000 nouveaux cas recensés hier), portée par le variant Delta.
Selon elle, celui-ci mériterait l’organisation d’un « débat démocratique public de fond », d’autant qu’il contient des « zones d’ombre sur plusieurs dispositions qui pourraient donner lieu à de nombreuses interprétations de nature à restreindre les droits et libertés au-delà de ce que prévoit le projet de loi ».
A ses yeux, il est toutefois « à craindre » que de nombreuses « questions fondamentales (...) ne pourront recevoir de réponse appropriée dans des délais compatibles avec l’examen du texte au Parlement ».
Elle constate, en outre, que, « depuis le début de cette pandémie, les garde-fous et garanties mises en œuvre à chaque étape sont régulièrement contournés voire annihilés à la suivante sans que les raisons en soient toujours clairement établies ».
Un « pouvoir de police » octroyé aux opérateurs privés
Claire Hédon s'interroge ainsi « sur le choix d'octroyer à des entreprises publiques et privées une forme de pouvoir de police, assurant elles-mêmes les contrôles de la détention d’un “pass sanitaire” pour les personnes souhaitant accéder à leur service (et éventuellement de leur identité) ».
« Ce contrôle devrait relever des autorités publiques », indique-t-elle, estimant que l’octroi de ce « pouvoir de contrôle généralisé » à des opérateurs privés remet « en cause des principes de liberté de circulation et d’anonymat pourtant longtemps considérés comme constitutifs du pacte républicain ».
Discriminations
La Défenseure des droits pointe également des risques de discriminations. Les restrictions d'accès aux transports publics et aux biens et services sont ainsi « de nature à porter atteinte à la liberté d’aller et venir et à entraver la vie quotidienne de nombreuses personnes, alors même qu’une part importante des populations jeunes et/ou précaires n’a pas encore eu accès à la vaccination ».
« La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics », rappelle l'ancienne présidente du mouvement ATD Quart-monde. Selon elle, les personnes en situation de pauvreté pourraient être ainsi « doublement victimes », les nouvelles mesures souhaitées par le gouvernement comportant « le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités ».
« Les risques discriminatoires restent également particulièrement présents dans le domaine de l’emploi dans lequel les mesures prévues par le projet de loi ont pour conséquence d’opérer in fine une distinction entre les travailleurs détenteurs de l’un des trois documents demandés et les autres », ajoute Claire Hédon.
À l’école, risque de stigmatisation
Autre point d'alerte, la situation spécifique des mineurs. Alors que le texte prévoit, « faute de pass sanitaire, des restrictions pour l’exercice de droits essentiels pour la jeunesse », la Défenseure des droits s’inquiète du risque important de « stigmatisation de l’élève non vacciné au sein de son établissement scolaire ou internat scolaire » (dans la mesure où « l’élève ne pourra pas participer aux activités de loisirs ou de culture organisées à l’extérieur de l’école » ).
Là encore, « cette différence de traitement pourrait impacter d’autant plus les populations éloignées habituellement de l’accès aux soins et par conséquent les enfants les plus vulnérables », prévient Claire Hédon qui considère que le projet de loi porte des « risques considérables d’atteinte aux droits des enfants ». Celle-ci en profite ainsi pour rappeler que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant consacre le droit d’accès à la culture et aux loisirs pour les mineurs (qui serait limité par le pass sanitaire pour les 12-17 ans), et que celui-ci n’est pas un « droit accessoire mais bel et bien un droit fondamental pour le bon développement de l’enfant ».
Alors que les députés ont voté, hier, en commission, pour un report à la fin du mois de septembre de la mise en place du pass sanitaire pour les 12-17 ans, Claire Hédon s’est de son côté dite « favorable à ce que, pour les mineurs de 12 à 18 ans, la vaccination reste uniquement encouragée et ne tombe pas sous le coup d’une obligation vaccinale déguisée ».
Déjà de nombreuses réclamations
Il est, par ailleurs, « à craindre » que les dispositions concernant l'extension des mesures d'isolement combinées à la possibilité de rendre payants les tests, « aient pour effet de désinciter à se faire tester et ne freine la politique de dépistage massif, favorisant ainsi la circulation du virus », s'inquiète la Défenseure des droits.
Celle-ci insiste donc sur « la nécessité » d’une réévaluation régulière du dispositif au regard de la situation sanitaire afin que « les restrictions ne durent que le temps strictement nécessaire à la gestion de la crise, et que des mesures adoptées dans l’urgence ne se pérennisent pas ».
Elle indique, en outre, avoir d’ores et déjà été saisie de « nombreuses réclamations » depuis l’annonce de l’instauration du pass sanitaire, qui « toutes illustrent que la précipitation et la difficile lisibilité de certaines dispositions sont susceptibles d’entraver l’exercice de droits et libertés de manière non proportionnée à l’objectif poursuivi ».
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