Covid-19 et urbanisme : un « sport de combat » pour les services instructeurs
Pointés du doigt par certains professionnels de la construction – à l’instar de l’architecte Rudy Ricciotti, accusant les collectivités de « précipiter la crise du BTP », au diapason avec le discours des promoteurs –, les services instructeurs du bloc communal font tout leur possible pour continuer à assurer leurs missions, dans des conditions très dégradées, et sur des bases juridiques particulièrement mouvantes (voir ci-dessous).
C’est ce qui ressort d’une enquête « flash » conduite auprès des adhérents de six associations d’élus locaux (Assemblée des communautés de France, Association des maires de France, France urbaine, Association des petites villes de France, Villes de France et l'Association des maires ruraux de France), conjointement avec les ministères de la Cohésion des territoires et du Logement. Ambition affichée : « objectiver la situation », et « mesurer le service aujourd’hui rendu par les collectivités (…), qui cherchent à assurer une continuité de service dans le traitement de ces autorisations d’urbanisme », selon le communiqué commun des associations d’élus.
Baisse des dépôts
Et les résultats sont éloquents : sur la base de 1700 répondants, l’instruction des autorisations d’urbanisme est assurée « normalement » (pour 24 % des répondants), ou « presque normalement » (pour 46 % d’entre eux). Au total, 70 % des répondants affirment ainsi assurer, comme habituellement (ou presque), ce service public, pourtant qualifié de «non essentiel » il y a peu…
Pour 48 % des répondants, le nombre de dossiers instruits est stable (21 %), ou en légère baisse (27 %) par rapport à l’année précédente à la même période. Seuls 7 % des répondants voit leur activité d’instruction des autorisations « à l’arrêt ».
Autre point notable : depuis le 12 mars, seuls 16 % des répondants constatent que les dépôts de demandes d’autorisation sont « stables et comparables à la même période de l’année dernière ». Pour les 84 % restants, ces dépôts sont en baisse, dans des proportions plus ou moins importantes : 20 % des répondants constatent une baisse légère par rapport à la période de référence (d’environ un quart), 27 % une baisse notable (la moitié environ), 21 % une baisse très forte (les trois quarts environ). 16 % des répondants constatent un arrêt ou presque de ces dépôts.
Allô l’Etat ?
Sur le nombre de dossiers instruits depuis le 12 mars, 21 % des répondants l’estiment « stable et comparable à la même période de l’année dernière », 27 % en légère baisse, 23 % en baisse notable, 15 % en baisse très forte, et 14 % à l’arrêt ou presque. Autre donnée : 86 % des répondants estiment que leur collectivité n’encourt pas de risque d’autorisations tacitement accordées.
Sur les difficultés rencontrées parfois dans l’instruction des autorisations, la majorité des répondants estiment qu’elles proviennent, en premier lieu, « des services extérieurs consultés, moins réactifs » (services de l’Etat, concessionnaires réseaux, SDIS...) ; en deuxième lieu, des « relations entre les services instructeurs et les communes « guichet unique » (accueil du public fermé, circuit des dossiers et pièces complémentaires perturbé) ; et en troisième lieu, « de la difficile organisation du télétravail des agents ». Dans le contexte exceptionnel actuel, le service public aussi… est un « sport de combat ».
Délais et procédures d’urbanisme : les règles applicables
Pour mémoire, la première loi « d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 », en vigueur depuis le 24 mars, est devenue le socle d’un droit ultra-dérogatoire, reposant sur un régime inédit « d’état d’urgence sanitaire » (fixée pour l’heure entre 12 mars et le 24 mai). En matière d’urbanisme, trois ordonnances (25 mars, 15 avril et 22 avril), deux circulaires, et un certain nombre de décrets ont déjà été publiés, afin qu’une forme de « compromis » soit trouvée entre les contraintes des collectivités et la peur de la paralysie du secteur du BTP (lire Maire info du 17 avril).
En l’état du droit actuel, les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme, des déclarations d’intention d’aliéner (et des certificats d’urbanisme) sont soit reportés, soit suspendus jusqu’au 24 mai – et non plus jusqu’au 24 juin, le « délai tampon » d’un mois ayant été supprimé. En clair, « si le délai était déjà engagé avant le 12 mars, il est suspendu, et reprendra pour le reste à courir le 24 mai à 0 h », précise l’universitaire Vincent Le Grand. Mais si ce délai résulte du dépôt d’une demande d’autorisation durant la période dérogatoire, « il est alors prorogé et commencera à courir à compter du 24 mai à 0 h ». Ce régime de suspension s’applique également aux délais relatifs aux demandes d’autorisations en matière d’accessibilité et de sécurité incendie pour les établissements recevant du public (ERP) et les immeubles de moyenne et de grande hauteur (IGH) – apport de l’ordonnance du 22 avril.
L’évolution la plus notable depuis l’entrée en vigueur de ce régime provisoire concerne la purge des délais de recours. Sous la pression des professionnels du BTP, l’ordonnance du 15 avril est revenue sur la règle initiale de prorogation de ces délais – en faveur du régime de la suspension. Ainsi, les délais découlant de l’affichage sur le terrain d’un permis avant le 12 mars (et pendant la période dérogatoire, si les règles d’affichage habituelles sont respectées) reprendront leur cours le 24 mai à 0 h. Une période « sanctuarisée » de 7 jours s’appliquera néanmoins quelque soit le solde restant. « Certains permis pourront ainsi être purgés de tout recours dès le 31 mai à 0 h », estime Vincent Le Grand. Les déférés préfectoraux ont également été expressément intégrés à ce régime de suspension. Attention : le projet de loi portant prorogation de l’état d’urgence jusqu'au 24 juillet risque de changer (encore) la donne.
Caroline Saint-André
Télécharger les résultats de l’enquête.
Accéder à l’ordonnance du 25 mars consolidée
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