Coopération décentralisée : après les 1 % eau, énergie et déchets, bientôt le 1 % transports
La chose est suffisamment rare pour être notée : au moment du vote, pas une voix des députés, toutes tendances confondues, n’a manqué au projet de loi sur le développement solidaire. Ce texte, déposé en décembre dernier, vise à donner à la France « les moyens de lutter plus efficacement contre les inégalités mondiales et de protéger les biens publics mondiaux » (santé, climat, biodiversité, éducation, égalité entre les femmes et les hommes).
Doublement du soutien à l’action extérieure des collectivités
Un des principaux axes de ce texte est de permettre une importante hausse des crédits que l’État alloue à l’aide publique au développement (APD). Le président Macron avait en effet promis de porter le montant de l’APD à 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022.
Le budget consacré à l’aide publique au développement a connu une baisse importante à la suite de la crise de 2008 : entre 2010 et 2014, elle est tombée à 0,37 % du RNB. Le projet de loi fixe la trajectoire : le montant de l’APD, qui a été de 3,2 milliards d’euros en 2020, sera porté à 4,8 milliards en 2022. L’objectif est fixé de porter ce budget, « ultérieurement », à 0,7 % du RNB. Quant aux ressources du Fonds de solidarité pour le développement, elles seraient augmentées de 100 millions d’euros en 2022.
Pour ce qui concerne les collectivités locales, l’article 1 du projet de loi précise que le montant des fonds consacrés par l’État au soutien de l’action extérieure de celles-ci « augmentera en vue d’atteindre, en 2022, le double du montant constaté en 2017 ».
Agenda 2030 et collectivités
L’article 3 du texte concerne une partie des communes et EPCI. Il prévoit en effet de modifier le contenu du rapport sur la situation en matière de développement durable. Rappelons que depuis la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l’environnement, les maires et présidents de communes et d’EPCI de plus de 50 000 habitants, ainsi que les présidents des conseils régionaux et départementaux, sont dans l’obligation, avant le débat d’orientation budgétaire, de présenter un rapport « sur la situation en matière de développement durable intéressant le fonctionnement de la collectivité, les politiques qu'elle mène sur son territoire et les orientations et programmes de nature à améliorer cette situation ».
Le projet de loi prévoit d’intégrer à ce rapport les actions que mène la collectivité pour « contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable inscrits au Programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ».
Le gouvernement a envisagé plusieurs possibilités avant de choisir celle-ci. Il a par exemple été envisagé de « reformuler le cadrage du rapport de développement durable des collectivités pour qu’il soit, de manière obligatoire et systématique, aligné sur l’Agenda 2030 », peut-on lire dans l’étude d’impact du projet de loi. Cette option a été écartée pour ne pas contrevenir à l’objectif « d’obtenir un accord volontaire des collectivités locales ».
Il s’agira donc, simplement, de faire de l’Agenda 2030 « la référence » de l’action des collectivités locales en la matière, ce qui correspond aux demandes des associations d’élus, exprimées pendant la concertation qui a précédé la rédaction de ce texte.
1 % tranports
L’article le plus intéressant du projet de loi, pour ce qui concerne les collectivités, est l’article 5, qui étend aux transports le dispositif existant en matière de coopération décentralisée.
Rappelons que depuis le 9 février 2005 et la loi Oudin-Santini, les communes, EPCI et syndicats mixtes ont la possibilité de consacrer jusqu’à 1 % de leur budget relatif à l’eau et à l’assainissement à des actions de coopération décentralisée sur le même sujet : autrement dit, elles peuvent directement financer des actions menées par des collectivités territoriales étrangères en matière d’eau et d’assainissement. Au fil du temps, ce dispositif du 1 % a été élargi : en 2006, à l’énergie ; en 2014, au traitement des déchets.
Depuis, près de 5 000 collectivités se sont emparées du dispositif, menant plus de 10 000 projets dans 134 pays. En 2018, ce sont plus de 100 millions d’euros qui ont été consacrés par les collectivités françaises à de telles actions.
Il ne manquait plus qu’à y ajouter le secteur des transports – quatrième thématique identifiée dans les Objectifs de développement durable (ODD) définis par l’Onu. C’est ce que prévoit l’article 5 du texte – avec, soit dit en passant, une allusion dans l’étude d’impact à un objectif ne relevant pas uniquement du pur altruisme : ces mesures « offriront des opportunités de développement pour les entreprises françaises présentes dans ces secteurs ».
Comme les dispositifs déjà en vigueur pour l’eau, l’énergie et les déchets, le système sera purement facultatif, et n’entraînera donc aucune charge supplémentaire obligatoire pour les collectivités. Le gouvernement espère qu’il pourra mobiliser autour d’une centaine de millions d’euros. Le dispositif a donc été validé sans difficulté par le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen), en février dernier.
Contrats de Cahors
Les représentants des élus au Cnen ont toutefois relevé un point intéressant : la contradiction entre ces objectifs vertueux et l’encadrement des dépenses des collectivités prévu par la loi de programmation des finances publiques du 22 janvier 2018 (contrats de Cahors).
Rappelons que ce dispositif interdit aux collectivités locales (ou du moins aux plus grandes d’entre elles) d’augmenter leurs dépenses de fonctionnement de plus de 1,2 % par an, sous peine d’être frappées par un malus sur la DGF. Or les dépenses effectuées dans le cadre de la coopération décentralisée entrent bien dans les dépenses de fonctionnement… et sont donc encadrées par la limite des 1,2 % par an.
Il y a bien une réelle contradiction entre le fait de vouloir inciter les collectivités à s’engager dans la coopération décentralisée… tout en faisant planer au-dessus de leur tête la menace d’une ponction sur la DGF si elles le font, avec le risque, ont souligné les représentants des élus au Cnen, « de décourager les collectivités territoriales de s’engager dans ce type de politique ». Ils ont donc demandé au gouvernement que ces dépenses liées à la coopération décentralisée soient exclues de l’assiette du calcul des 1,2 % dans le cadre des contrats de Cahors.
Lors de cette séance du Cnen, il y a plus d’un an, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’était engagé à donner suite à cette demande – et les élus avaient demandé que cette décision soit formalisée dans une circulaire aux préfets. Un an plus tard, ce n’est toujours pas le cas.
Le projet de loi a été transmis au Sénat, où il n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour.
Franck Lemarc
Accéder au Vademecum du 1 % déchets et au Mémento sur l'action extérieure des collectivités territoriales édités par l'AMF.
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