« Les règles du jeu changent et remettent en cause nos projets » : la lassitude des élus face aux conséquences des ponctions dans le budget 2025
Par A.W.
A l’occasion du débat consacré aux finances locales qui s’est tenu hier, les élus locaux ont fait part de leurs inquiétudes face aux projets qui pourraient être remis en question à cause du budget prévu pour 2025, juste avant l’arrivée du Premier ministre sur place.
En ligne de mire, les quelque 10 milliards d’euros de prélèvements que le gouvernement souhaite imposer aux collectivités l’an prochain.
« Erreur stratégique »
Et, en premier lieu, les trois mécanismes inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par l’exécutif visant à ponctionner de 5 milliards d’euros les recettes des collectivités : le gel de la dynamique de la TVA, l’amputation du FCTVA et la création d’un fonds de précaution.
Si Michel Barnier a annoncé, quelques heures plus tard, de manière encore évasive, que ces deux derniers dispositifs seraient « modifiés en lien avec le Sénat », les élus locaux présents ont largement ciblé les autres mesures défavorables aux collectivités dans ce projet de budget, telles que la baisse de 1,5 milliard d’euros du Fonds vert, la hausse de la cotisation à la Caisse de retraites des agents (CNRACL) pour 1,3 milliard d’euros ou encore la non-indexation de la DGF sur l’inflation.
Des mesures qui font peser des « menaces lourdes » sur les collectivités, ont à nouveau expliqué les deux co-présidents de la commission Finances de l’AMF, Antoine Homé et Emmanuel Sallaberry. Surtout au regard du contexte. Car après « une première alerte en 2023 », l’épargne brute des collectivités a déjà « chuté de 20 % en 2024 », et « cette dégradation va s’accentuer en 2025 avec ces prélèvements », a déploré le maire de Talence, en insistant bien sur le fait que « toutes les collectivités vont être impactées, pas seulement les 450 » qui seront ponctionnées de 3 milliards d'euros au titre du fonds de précaution.
« Est-ce que ça va au moins améliorer la situation financière du pays ? Pas du tout », a ironisé, de son côté, le maire de Wittenheim. « C’est une erreur stratégique » aux yeux d’Emmanuel Sallaberry qui s’inquiète du « risque d’effondrement de l'investissement » avec de probables conséquences importantes sur les entreprises et l’emploi.
« Comment j’agis aujourd’hui ? Je subis ! »
Des perspectives qui ont de quoi fortement « angoisser » et mettre « en colère » ce maire d’une petite commune rurale de 220 habitants venu apporter son témoignage et qui « ne supporte pas qu'on change les règles du jeu à partir du moment où l’on a mis en œuvre des projets ».
Depuis 2018, il a mis « toute son énergie » et sa « sueur » dans la rénovation de l’église de son village « dans les conditions financières des dernières années ». Un projet qui était « bien engagé », mais « voilà qu’on m’annonce qu’on va me réduire le FCTVA » alors qu’il comptait sur le retour de 170 000 euros de TVA pour ces travaux d'un million d'euros financés notamment par « la mission Bern » sur le patrimoine.
« Mais où va-t-on? Comment je fais, comment j’agis aujourd’hui? Je subis ! », s’est-il insurgé devant l’amputation de ses ressources, avant de s’interroger : « Qu’est-ce que je vais demander aux habitants ? »
Même analyse de la part de la maire de Savonnières (Indre-et-Loire), Nathalie Savaton, qui s’inquiète de « la rupture de confiance, depuis dix ans, entre l’Etat et la collectivité, et de fait entre les collectivités et (leurs) habitants ». « Les règles du jeu changent brutalement (...). Cela nous impacte systématiquement (...) et nous empêche d’aller jusqu’au bout de nos projets », a-t-elle dénoncé.
Sacrifier une école, un pont ou la santé ?
Avec l’importante diminution annoncée du Fonds vert, c’est l’édile de Noyal-sur-Vilaine, Marielle Muret Baudoin, qui se retrouve « au milieu du gué ». Si les études prévues pour la végétalisation des cours de ses écoles ont bien été prises en charge par ce dispositif, dorénavant « on ne sait pas si les travaux, qui est la partie la plus importante, le seront ». « On est un petit peu dans l’attente », dit-elle en cherchant déjà de nouvelles solutions pour faire aboutir ce projet.
Sans compter qu’elle a découvert que la hausse de cotisation à la CNRACL lui coûtera « entre 800 et 1 000 euros par ETP » (équivalent temps plein), soit « un total d’environ 70 000 euros » d’impact sur le budget de sa commune.
« Si nous n’avons pas ce levier de l'investissement, on ne pourra pas aménager nos territoires », s’inquiète Muriel Abadie, maire de Pujaudran (Gers) alors que sa commune devrait « perdre 20 000 euros » en 2025, ce qui représente « deux ans d’accompagnement des associations qui la font vivre ».
« Nous nous retrouvons donc à arbitrer des choix complètement aberrants : Est-ce que nous allons investir pour l'école ou pour le pont ? Et est-ce que nous allons arrêter d’investir pour soutenir la santé et l’arrivée de médecins ? », a mis en garde le maire de Saint-Martin-le-Vinoux (Isère), Sylvain Laval, également co-président de la commission Transports de l’AMF.
Suppression de 1,9 milliard d'euros de TVA pour 2024
A cela s’ajoute une autre mauvaise nouvelle relevée par le premier vice-président délégué de l’AMF et maire d’Issoudun (Indre), André Laignel : « La semaine dernière, on m’a averti que l’on me supprimait, pour 2024, 175 000 euros de TVA censée compenser la suppression de la CVAE. Au total, cela représente 1,9 milliard d’euros, dont plus de 500 millions d’euros pour le seul bloc communal ».
« Et ça ne va pas s’arrêter là car, bien entendu, pour l’an prochain nous allons repartir sur des bases nouvelles qui seront diminuées de 1,9 milliard d’euros », a fustigé celui qui a « le sentiment d’être dans le tonneau des Danaïdes ». « Ce sont les équilibres fondamentaux de nos budgets qui sont en jeu (...). On prendra toutes les avancées, mais on est très loin du compte malheureusement », s’est désolé le président du Comité des finances locales (CFL).
Le président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Bernard Delcros, a assuré que les sénateurs allaient « essayer d’améliorer la copie du gouvernement » . « L’objectif est d’obtenir un accord avec le gouvernement pour que ça aboutisse et que ce soit retenu dans le “49.3” » qui devrait être inévitable lors de l’ultime vote du budget à l’Assemblée, espère le sénateur du Cantal.
Il est ainsi prévu que la « chambre des territoires » retire complètement la mesure visant le FCTVA et de ramener le fonds de précaution - s’il n’est pas possible de le supprimer totalement - à « un milliard d’euros », au lieu de 3 milliards, en lui attribuant « des critères de richesse et non pas de taille ».
Afin d’éviter des « pertes sèches » aux petites communes, Bernard Delcros a annoncé qu’il déposerait un amendement pour améliorer la compensation de l'extension de l'exonération du foncier non bâti. Pour les petites communes rurales, c’est une ressource importante qui représente parfois « 50 % de recette fiscale », a-t-il expliqué.
Une dernière mise en garde a été faite par Emmanuel Sallaberry sur le « chiffon rouge » que représenterait la baisse du taux et le recentrage du FCTVA. « Il nous est donné pour essayer de faire passer l’ensemble des autres mesures », a-t-il prévenu, indiquant qu’il « faut vraiment que l’on se méfie de ça parce que, à la fin des fins, c’est ce qui va venir toucher à notre autofinancement. Attention donc à ne pas s’attacher à un seul combat, alors qu’il y en a d’autres derrière ».
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