Finances locales : face aux situations « ubuesques », les maires réclament une « remise à plat » du système
Par Aurélien Wälti
Alors que la question des conséquences de la crise sur les budgets locaux continue d’être un sujet de désaccord entre l’exécutif et les maires, ces derniers ont fait part, hier matin, à l’occasion traditionnel débat sur les finances locales, de leur incompréhension et de leur exaspération devant les situations parfois « ubuesques » et les difficultés entraînées par le système de financement du bloc communal.
Effet de seuil et grandes conséquences
Effet de seuil, effet de critères, évolution démographique dérisoire, fluctuation négligeable du potentiel fiscal… Plusieurs élus ont manisfesté leur désarroi face à des évolutions souvent insignifiantes de la situation de leurs communes, mais qui entraînent pourtant de lourdes conséquences financières.
Une illustration parfaite avec ce maire des environs du Mans, élu d’une « commune pauvre, une commune de misère », au budget de fonctionnement de 230 000 euros. D’un côté, il a perdu la totalité de la dotation nationale de péréquation, soit 15 000 euros. « Tout simplement parce que depuis la loi Notre, il y a eu une course à l’augmentation des impôts et en augmentant très légèrement nos impôts locaux, on est sorti des 85 % d’effort fiscal… »
De l’autre, il ne bénéficie plus de la DSR cible, soit un manque à gagner de 25 000 euros « d’un seul coup ». « Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que ma trajectoire démographique est passée de 503… à 499 habitants. Et à 499, on mesure votre pauvreté par rapport à l’ensemble des pauvres de moins de 500 habitants, et non plus à celle des communes de plus de 500 habitants. Donc, je ne suis plus pauvre, je suis riche ! », a-t-il ironisé.
Il a ainsi perdu 40 000 euros en quatre ans et se retrouvera en 2022 avec les « mêmes dotations qu’en 1997, au centime près ».
Un autre édile d’une « petite cité de caractère de l’Anjou » de 400 âmes se retrouve dans une situation similaire avec, outre une DSR cible en courant alternatif selon les années, une baisse de sa DSR, de son « fonds de compensation de la taxe professionnelle » ou encore de ses droits de mutation : « Résultat, en trois ans, c’est 30 000 euros en moins sur un budget de 350 000 euros ». « Avant, on pouvait encore emprunter et investir, ce n’est plus le cas dorénavant », a-t-il regretté, conjurant le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, de « cesser de prendre les maires pour des variables d’ajustement ».
Des difficultés qui ne « datent pas d’un an ou deux ans, mais de la création des dotations », a justifié l’ancien maire d’Annonay, reconnaissant qu’il y a toujours « mille effets de seuil possibles » qui ne sont pas atténués malgré la mise en place de mesures correctrices. Concernant le potentiel fiscal, il a également confessé que le principal problème n’a pas été résolu : « Réformer la manière de le calculer ».
Compensation de TH : des transferts vers des départements riches
Le maire de La Salvetat-Belmontet (840 habitants, Tarn-et-Garonne) a également soulevé un problème consécutif à la réforme de la taxe d’habitation. Dans son département qui n’est « pas très riche, sinon cela se saurait », il a ainsi pu observer une incongruité : « Comme les taxes n’y étaient pas très élevées initialement, nous avons 25 millions d’euros qui sortent du département et sont répartis vers d’autres… parfois plus riches ».
Une « solidarité à l’envers » - que l’on retrouve sur tout le territoire - dénoncée cette semaine par la députée du Puy-de-Dôme, Christine Pires Beaune, lors des questions au gouvernement et à l’occasion de sa visite au congrès des maires, et qu’elle qualifie de « hold-up à bas bruit ».
Plus généralement, la maire de Youx (915 habitants, Puy-de-Dôme), Pierrette Daffix-Ray, a fait part de sa crainte de voir « la disparition des communes » par la voie financière. La contrainte financière, « c’est une façon de tuer, si vous ne pouvez plus financer vos écoles, vos routes, vous faites quoi ? A un certain moment, nos collègues vont lâcher, je le sens. On ne peut plus rien faire. On veut bien être à portée d’engueulades, mais ça ne suffit pas, on voudrait avoir quelques moyens ».
« On essaie d’être créatifs, on essaie d’être inventifs, mais au bout de 13 ans, personnellement, je n’ai plus d’idées, je ne sais plus comment résoudre le problème », a abondé Pauline Martin (Meung-sur-Loire, 6 500 habitants), assurant être « prise à la gorge » financièrement. « On se sent comme des sous-citoyens, on n’a plus du tout de capacité d’autofinancement, c’est une injustice totale, une iniquité », a fustigé de son côté le maire de Cernusson (350 habitants), Guy Dailleux.
Revoir le mode de calcul des dotations « de fond en comble »
« On est au bout du système », a confirmé le député de la majorité Jean-René Cazeneuve (Gers). Pointant « des cas plus ubuesques les uns que les autres », il a reconnu le « manque de lisibilité » et défendu le serpent de mer qu’est la réforme de la DGF. « Personnellement, je suis incapable d’expliquer pourquoi il y a telle ou telle variation […] Tout cela est totalement incompréhensible ! », a-t-il fulminé, assurant que cela doit être un enjeu de la prochaine campagne présidentielle alors que le chef de l’Etat avait promis de s’emparer du sujet en 2018.
A ses yeux, il faut donc « revoir de fond en comble la manière dont les dotations sont calculées », qualifiant au passage le fonds national de garantie individuelle de ressources (FNGIR) de « bombe à retardement ».
Toutefois, pas question d’intégrer la Dsil dans la DGF, a tempéré Olivier Dussopt (« ce n’est clairement pas à l’ordre du jour » ), en réponse à la proposition d’Antoine Homé, coprésident la commission finances de l'AMF, au regard du taux d’exécution de cette dotation qui n’a atteint que « 10 % en 2019, 15 % en 2020 ».
Pour Philippe Laurent, qui copréside aussi la commission finances de l'AMF, il faut « une remise à plat de l’ensemble du système », aussi bien « les dotations » que les « ressources fiscales » car aujourd'hui « on se contente de mettre des rustines sur des systèmes qui ne sont plus adaptés ». « Faut-il remettre en place des impôts locaux stricto sensu ou aboutir à un partage, non pas du produit de l’impôt, mais des bases de l’impôt national ? », s’est-il interrogé. De sorte qu’un certain nombre de collectivités puisse voter des taux additionnels. Et le maire de Sceaux de rappeler que « c’est un sujet éminemment politique. Celui qui lève l’impôt a le pouvoir politique. Il faut que l'on ait la responsabilité de lever l'impôt d’une manière ou d’une autre. Il y a un lien étroit entre le rôle institutionnel que nous jouons et notre capacité à lever l'impôt ; sinon nous devenons des sous-traitants et nos budgets deviennent des budgets annexes de l'Etat ».
Autonomie fiscale et « prise de risque »
Sur la question de l’autonomie fiscale, si Jean-René Cazeneuve s’est dit « favorable » à un pouvoir de taux attribué au bloc communal, Olivier Dussopt a rappelé que « cela peut impliquer une prise de risque » : « Soit on est dans un système qui peut être considéré comme centralisateur et jacobin, mais avec une forme de protection, soit on est dans le cas de l’autonomie fiscale totale, comme les provinces espagnoles, et dans ce cas il n’y a pas de filet de protection de l’Etat quand il y a un retournement de cycle économique ». Un discours repris quelques heures plus tard par le chef de l’Etat lors de son discours devant les maires.
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