Les ruralités de nouveau à la mode, mais menacées d'être mises sous cloche
Par Emmanuel Guillemain d'Echon
Même avant la crise sanitaire, les espaces ruraux gagnaient des habitants, a rappelé le sociologue Éric Charmes en introduction du débat ; mais le « rêve de campagne » porté par les confinements a mis en lumière l’attractivité des territoires peu denses. Cependant, la complexité des mécanismes de subventions et l’objectif de « zéro artificialisation nette » risquent de « mettre sous cloche le développement des territoires ruraux », a-t-il mis en garde.
Les bonnes intentions démontrées par l’État – contractualisation avec les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), aide à l’ingénierie avec la création de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) – sont unanimement saluée par les élus, mais la manière dont elles sont exécutées laisse à penser que les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions.
Des services de l’État en surchauffe
Il est vrai, comme l’a rappelé son directeur général, Yves Lebreton, que le lancement de l’ANCT, en janvier 2020, a été fortement perturbé par la crise sanitaire. Mais elle souffre également du manque d’effectifs et de moyens au sein même des préfectures : « Tous les départements n’ont pas désigné leur référent à la ruralité. Je n’ai moi-même compris que très récemment que chez moi, il s’agissait du secrétaire général de la préfecture, quelqu’un de très bien mais un peu surchargé. » « Malheureusement, on paie encore la révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2010 : on voit bien que les services de l’État sont aussi saturés de travail que nous. La préfecture nous demande par exemple d’instruire jusqu’au bout notre plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) », a témoigné Karine Gloanec-Maurin, présidente de la communauté de communes des Collines du Perche (41), et co-présidente de la commission Territoires ruraux à l’AMF.
Ce qui explique sans doute que les élus aient du mal à trouver des réponses pour s’orienter dans la jungle des nouveaux dispositifs lancés pendant le quinquennat Macron et portés à présent par l’ANCT. Dans sa commune de La Ferté-Saint-Aubin (45), qui bénéficie, ce qui est loin d’être le cas de toutes les petites communes rurales, d’une opération de revitalisation du territoire (ORT) et du programme Petites villes de demain (PVD), Constance de Pélichy déplore le fait « d’être toujours en train de jongler : on ne sait pas quels dispositifs solliciter sur nos opérations, l’ORT, le PVD ? On peine à avoir des interlocuteurs, des réponses précises ».
Un risque d’accroître les inégalités entre ruralités
Quid alors des toutes petites communes isolées, qui peinent à recruter des secrétaires de mairie, elles-mêmes dépassées par la complexité croissante des procédures, noyées sous les appels à projets qui arrivent « quotidiennement dans les communes, ce qui rend très compliqué le traitement seul de l’information que nous recevons », a souligné Florent Lacarrère, le jeune maire de Labatmale (64).
Ludovic Rochette, maire de Brognon (21) et second co-président de la commission Territoires ruraux, craint que tous ces nouveaux dispositifs ne ratent leur cible. « Est-ce qu’on va bien taper là où il faut ? Moi je suis maire d’une commune périurbaine, pour moi c’est très facile de trouver un volontaire territorial en administration [VTA, nouveau dispositif de l’ANCT finançant le recrutement d’un jeune diplômé à même de « chasser les subventions » et conduire des projets, ndlr], un conseiller numérique, je suis très content de les avoir, mais est-ce que c’est juste ? Il faut une pluralité des politiques rurales pour aider surtout les territoires les plus fragiles, ceux qui regardent passer les trains. »
Et donc prendre peut-être le problème à l’envers. Le système ne marche-t-il pas sur la tête en engendrant toujours plus de complexité ? C’est la question posée par Thibault Guignard, maire de Ploeuc-l’Hermitage (22) : « D’abord on met en place des procédures compliquées – les demandes de paiement sont parfois aussi complexes que les demandes de subvention -, ensuite on finance des postes d’ingénierie pour y répondre. Il faudrait sans doute commencer par simplifier les procédures et après donner des moyens aux collectivités », a-t-il suggéré, fortement applaudi par la salle.
Un maire de Meurthe-et-Moselle, intervenant depuis les tribunes, a ainsi pris l’exemple du fonds d’aide aux communes rurales qui a connu un grand succès dans la région Grand Est en 2016 : « Un formulaire simple, des justificatifs demandés au fil de l’eau, sans date butoir, un règlement d’attribution simple, un référent dans chaque maison de la région, et 3 000 communes sur les 5 000 de la région y ont répondu. C’est possible de faire simple ! », a témoigné Jean-François Guillaume, maire de Ville-en-Vermois.
La menace du « zéro artificialisation nette »
Mais la complexité du montage des dossiers n’est pas le seul problème qui menace le développement des territoires ruraux. Les nouvelles règles qui s’imposent chaque année aux maires, alors qu’on leur demande de travailler sur le temps long, en co-construction avec les habitants, en découragent plus d’un, à commencer par le nouvel objectif de « zéro artificialisation nette », porté par la loi Climat et résilience, qui n’est pas encore clairement défini par décret mais bloque déjà un grand nombre de projet.
L’exemple du maire d’Avranches, dont la communauté d’agglomération s’est vu annuler un PLUI après avoir investi un million d’euros dans sa préparation, a marqué la salle. « La préfecture nous a dit que nous étions trop consommateurs d’espaces agricoles, alors que seulement 3 % du territoire est artificialisé », a rapporté David Nicolas, également référent Patrimoine à l’AMF.
Plusieurs élus présents dans le public ont fait état des difficultés, en raison du blocage par les préfectures, à dégager du foncier pour construire des zones d’activité, des logements pour accueillir les nouveaux habitants qui sont toujours plus nombreux dans les territoires ruraux.
« La ruralité ne doit pas être seulement un endroit de préservation et de conservation, mais bien une terre d’expérimentation ; il faut que l’État nous regarde comme des territoires d’avenir ! » a lancé Karine Gloanec-Maurin, avant de rappeler que « la question primordiale reste la dotation : de manière générale, nous n’avons pas les moyens de fonctionner et de nous préparer à accueillir des populations nouvelles. » Mais cet afflux et ce changement de vision déjà acté sur les ruralités lui donne un espoir : « La ruralité ne se situe plus dans le même dialogue avec l’État. Elle est positive et force de proposition. »
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