Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mardi 21 décembre 2021
Commerce

Librairies indépendantes : les communes pourront désormais attribuer des subventions

Afin de protéger les librairies indépendantes de la concurrence des géants du e-commerce, la proposition de loi adoptée par le Parlement doit permettre aux communes et EPCI de les subventionner. Sa mesure phare met également fin à la quasi gratuité des frais de livraison.

Par A.W.

Protéger les 3 300 librairies indépendantes de la « politique tarifaire agressive »  des plateformes de vente en ligne qui « distordent la concurrence ». Pour atteindre cet objectif, les sénateurs ont définitivement adopté, la semaine dernière, une proposition de loi visant à « conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs ». Les parlementaires ont ainsi décidé d’imposer un prix de livraison plancher et autoriser les communes à subventionner ces librairies. 

« Prédation » 

« Ce texte trace l'avenir du livre et donc celui de la création, de la diffusion de la culture et de l'accès à la pensée. Ensemble, nous aurons fait œuvre utile pour lutter contre la dictature de l'algorithme et l'uniformisation des contenus », s’est réjouie la sénatrice de l’Essonne Laure Darcos (LR), à l’origine de cette proposition de loi « soutenue par le monde de l’édition ».

Dans sa ligne de mire notamment, le géant du e-commerce Amazon dont la « prédation »  menacerait un « réseau unique au monde de 20 000 points de vente, dont 3 300 librairies, qui emploient 15 000 collaborateurs »  et la diversité des choix de lecture.

La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a ainsi jugé que ce texte rétablit « une juste concurrence »  et permet « d’adapter notre arsenal juridique ». Et « ce n'était pas gagné d'avance, certains acteurs y étant opposés », a-t-elle rappelé.

Subventions 

Qualifié de « révolution »  par la rapporteure de la commission Céline Boulay-Espéronnier (LR), ce texte doit permettre de « conforter l'économie du livre »  en autorisant les collectivités territoriales à soutenir les librairies, « dont la fragilité ne doit pas être sous-estimée ».

Un soutien « attendu tant des libraires que des élus locaux », a souligné le sénateur du Nord Jean-Pierre Decool (MoDem). « Les élus locaux le savent : dans un bourg, lorsque la librairie ferme, c'est une part essentielle de la vitalité locale qui s'en va. C'était déjà possible pour les théâtres et, grâce à la loi Sueur, pour les cinémas de quartier », a abondé Pierre-Antoine Levi (Tarn-et-Garonne, Union centriste).

Ce texte instaure ainsi un dispositif permettant aux communes et EPCI d'attribuer des subventions aux librairies indépendantes - « qu'elles soient labellisées ou non »  - « dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Il rappelle également que pour être considéré comme une librairie indépendante, il faut être une PME, avoir au moins 50 % de son capital détenu par des personnes physiques et ne pas être lié à une autre entreprise par un contrat d’exclusivité.

Ces subventions devront, toutefois, être attribuées « conformément aux stipulations d’une convention conclue entre l’établissement et la collectivité, la commune ou le groupement de communes ».

Livraison : un prix plancher 

Reste que la proposition phare est celle qui impose désormais un prix plancher pour les frais de livraison alors que certaines plateformes proposent actuellement une livraison à un centime d'euro. « Aucune librairie n'est en mesure de s'aligner », a fustigé Laure Darcos. Même analyse de la part de la ministre de la Culture : « La livraison quasi gratuite des livres, c'est une nouvelle forme de concurrence par les prix qui ne permet plus à la loi sur le prix unique du livre de 1981 de produire son plein effet ».

Le texte prévoit ainsi que « le service de livraison du livre ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement, être offert par le détaillant à titre gratuit »  (hormis retrait dans un commerce de vente au détail de livres), mais doit être facturé « dans le respect d'un montant minimum »  qui devra être fixé par arrêté. 

Celui-ci devra tenir compte « des tarifs proposés par les prestataires de services postaux sur le marché de la vente au détail de livres et de l’impératif de maintien sur le territoire d’un réseau dense de détaillants ».

Avec la nouvelle loi, les sites de vente en ligne devront en outre distinguer clairement les livres neufs et les livres d'occasion, celle-ci encadrant également les soldes de livres par les éditeurs. Elle vise, par ailleurs, à moderniser le dépôt légal pour l'adapter aux spécificités du numérique, et à encadrer certaines pratiques de l'édition.

N’étant peut-être pas certains de la réussite de l'entreprise, les parlementaires ont prévu un « point d’étape »  d’ici deux ans afin d'ajuster, éventuellement, le prix plancher des frais de port du livre.

Impact sur les habitants des petites villes, selon Amazon

« Alors que le commerce en ligne a permis de renforcer l’égal accès des consommateurs aux livres, et ce quel que soit leur lieu de résidence, l'introduction de frais de port minimum pour l'expédition de livres aura un impact sur le pouvoir d'achat de millions de lecteurs à faible revenu »  vivant « dans des petites villes et ne disposant pas d’un accès facile à une librairie », a déploré un porte-parole d’Amazon, alors que Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France, évaluait, dans un communiqué publié en octobre, cette perte à « plus de 250 millions d’euros par an de perte de pouvoir d’achat pour des millions de lecteurs Français ».

Relayant une « enquête de l’Ifop », le directeur d’Amazon France indiquait également que, « si cette proposition de loi était adoptée », les Français seraient 25 % à « lire moins ». « Plus de la moitié des livres achetés sur Amazon le sont par des habitants de communes de moins de 10 000 habitants, et plus du quart par des habitants de communes de moins de 2 000 habitants », selon lui.

Un argumentaire rejeté notamment par le sénateur communiste Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine), qui a déclaré que « l'achat de livres sur Amazon est surtout le fait de catégories aisées et urbaines »  (l’Insee confirmait ce constat, en 2019, pour les achats sur internet de manière globale, y ajoutant toutefois les habitants des communes rurales). « Tant que nous n'empêcherons pas Amazon de se soustraire à l'impôt, nous ne pourrons défendre efficacement les librairies indépendantes », a toutefois estimé Pierre Ouzoulias.

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2