Comment utiliser la nouvelle loi sur le patrimoine sensoriel des campagnes ?
Rappelons que ce texte a été adopté définitivement par le Sénat le 21 janvier (lire Maire info du 22 janvier), à l’unanimité, après une année de navette.
Il permet d’inclure dans le Code de l’environnement, au titre du « patrimoine commun de la nation », « les sons et les odeurs qui caractérisent » les milieux naturels. Des « inventaires régionaux » de ces caractéristiques devront être établis.
Base juridique
Pierre Morel-À-L’Huissier, interrogé hier par Maire info, souligne que la rédaction de sa proposition de loi a été particulièrement soignée, le député souhaitant un texte « le plus solide possible juridiquement ». Non seulement l’ancien maire de Fournels – par ailleurs avocat en droit public – a sollicité l’avis du Conseil d’État sur son texte, ce qui n’est pas obligatoire dans le cadre d’une proposition de loi, mais il a également intégré à sa réflexion « les représentants des ministères concernés, notamment ceux chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la justice ».
L’objectif de ce texte est « de donner aux juges une base juridique » pour traiter les dossiers concernant les conflits de voisinage dans les campagnes, par exemple les personnes qui se plaignent du bruit d’un coq ou de machines agricoles, de l’odeur « du lisier ou du moût de raisin ». « Avec ce texte, le juge aura une base juridique pour dire : ‘’Votre demande est compréhensible, il y a bien un désagrément, mais vous ne pouvez pas faire abstraction du fait que vous vivez dans un territoire où ces caractéristiques existent.’’ » Et au-delà des juges, ce sont aussi « les maires et les préfets » qui pourront s’en servir, « notamment les maires dans leur rôle de médiateurs dans les conflits de voisinage ».
Le député a voulu que sa loi n’implique aucun décret d’application. Elle est donc applicable, dès à présent.
Une loi qui ne vise pas les néoruraux
Ce texte est-il spécifiquement destiné à régler les problèmes entre les nouveaux arrivants à la campagne (néo-ruraux ou propriétaires de résidences secondaires) et habitants traditionnels ? Pierre Morel-À-L’Huissier s’en défend : « Le problème est bien plus vaste que cela. Il s’agit de répondre au fait que la sociologie des campagnes s’est très profondément modifiée ces dernières décennies. Il y a 80 ans, la presque totalité des habitants des campagnes était composée de paysans. Aujourd’hui, les territoires ruraux représentent toujours 80 % de la surface du pays, mais il n’y a plus que 4 % d’agriculteurs. Autrement dit, les habitants de la campagne ne sont plus majoritairement des paysans – y compris les enfants d’agriculteurs. La ruralité est aujourd’hui protéiforme : vous pouvez imaginer un fils d’agriculteur qui a aujourd’hui sa petite autoentreprise dans le numérique, et qui travaille jusqu’à 4 heures du matin. Quand le voisin agriculteur démarre son tracteur à 7 heures, c’est là que les conflits commencent. »
Le texte sera probablement aussi utile, cela dit, pour traiter les problèmes avec les nouveaux arrivants. D’autant qu’il crée « un principe d’antériorité ». C’est la notion que l’on retrouve dans le Code de la construction de l’urbanisme, par exemple, qui dit que « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent (…) a été demandé (…) postérieurement à l’existence des activités les occasionnant. » « Si des personnes arrivent en 2031 dans un territoire rural, explique le député, la date de promulgation de la loi crée une antériorité : il leur sera répondu que la loi existe depuis dix ans, et que les personnes ne sont pas fondées à attaquer. »
Pierre Morel-À-L’Huissier espère d’ailleurs que les notaires eux-mêmes se saisiront de l’occasion pour mettre en garde les futurs acquéreurs dans les fiches de renseignement – de la même façon que sont indiqués les risques d’inondation, de pollution, les diagnostics énergétiques, etc. C’est déjà ce que font, du reste, les notaires du Morbihan, qui indiquent dans les fiches de renseignement que « les acheteurs reconnaissent avoir connaissance des spécificités du territoire ».
« Volonté de nuire » et médiation
La loi, indique enfin le député, ne permettra évidemment pas à n’importe qui de faire n’importe quoi, puisque la limite restera toujours « la volonté de nuire ». « Il y a évidemment une différence considérable entre le viticulteur à qui son activité impose parfois de travailler toute la nuit, et celui qui démarre sa tondeuse à gazon à l’aube pour ennuyer son voisin ! Tout citoyen reste naturellement libre de pouvoir saisir un juge, ce qui est un droit fondamental. Celui-ci aura la tâche de trancher entre ce qui relève du « patrimoine sensoriel » et la volonté de nuire ». Avec, de surcroît, la possibilité de chercher des médiations. « Le juge pourra moduler, chercher des compromis. Si un éleveur installe un élevage de canards à 10 mètres de la propriété du voisin alors qu’il a une surface de 10 hectares pour le faire, ce n’est pas normal, le juge pourra demander que l’installation soit déplacée. »
La loi n’empêche donc pas une action en justice contre un trouble anormal du voisinage, mais « permet simplement de créer un cadre dans lequel le juge aura à statuer en prenant en compte l’environnement du trouble ». En passant, le député de la Lozère rappelle que cette notion de « trouble anormal du voisinage » n’existe pas dans le Code civil, et il appelle le gouvernement et la Chancellerie à la codifier – ce qui pourrait être fait dans le cadre de la réforme en cours du régime de la responsabilité civile.
En attendant, Pierre Morel-À-L’Huissier a élaboré un petit « guide » de sa loi (téléchargeable ci-dessous), qui rappelle utilement les enjeux et la manière dont les maires peuvent « s’emparer » du texte.
Franck Lemarc
Télécharger le Guide de la loi patrimoine sensoriel.
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