Colère des agriculteurs : la fronde s'amplifie partout en France
Par A.W.
« Les actions vont s’amplifier. » Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, l’avait déjà annoncé hier, il l'a confirmé ce matin : « Les agriculteurs veulent aller jusqu’au bout. Il n’y a pas d’esprit de recul ». Malgré des réunions avec les syndicats agricoles, les blocages prenaient encore de l’ampleur, ce matin, un peu partout dans le pays.
« On attendait au moins un signe fort sur le gazole non routier (GNR) et des mesures par rapport à la trésorerie des agriculteurs qui sont confrontés à des crises sanitaires sans précédent », a ainsi regretté la présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floch, jugeant « catastrophique » qu’aucune annonce d’urgence n’ait encore été faite par le Premier ministre.
Après le décès d’une agricultrice et de sa fille de 12 ans, hier à hauteur de Pamiers (Ariège), causé par un véhicule qui a percuté un barrage routier dressé par les syndicats, les agriculteurs ont donc repris de plus belle ce matin leurs manifestations à travers la France, avec notamment des barrages routiers et des opérations de bâchage de radars.
Routes, préfectures, plateforme de grande distribution...
« Ça va monter, on le sait. […] D’ici vendredi, près de 85 départements vont mener des actions de manière continue ou sporadique », a assuré le président de la FNSEA, ce matin sur France 2, pour qui « le blocage du pays est un moyen pour obtenir rapidement des décisions ».
« Tous les départements du nord, du sud, de l’est, de l’ouest, tout le monde va sortir à un moment », a avancé celui qui est également président du conseil d’administration du groupe agroindustriel Avril gestion, tout en appelant à un mouvement pacifique. Et ce, malgré une « colère [qui] est inédite pour le monde agricole, ça fait très longtemps qu’on n’a pas eu un tel niveau d’engagement ».
Les agriculteurs multiplient ainsi les actions depuis plusieurs jours pour obtenir une amélioration de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations, dénonçant normes européennes, contraintes écologiques et charges en hausse, l’augmentation prévue de la taxation du gazole non routier (GNR) – le carburant utilisé dans les tracteurs – cristallisant les colères.
L'éleveuse de 37 ans tuée hier – dont le mari est grièvement blessé – l'expliquait, elle-même, lundi à un journaliste de l'antenne locale Radio Transparence. Pointant « trop de contraintes, trop de contrôles », elle dénonçait le fait de « faire partie des seuls métiers pour lesquels on a des produits dont on ne décide pas le prix de vente ».
Après l'A64 en Haute-Garonne et l'A62 au niveau d'Agen, l'autoroute A7 dans la Drôme ces derniers jours, d’autres routes de l’Hexagone sont désormais concernées par leur mobilisation.
C’est le cas de la RN145, bloquée dans le sens Guéret-Limoges depuis ce matin, l’A63 et l’A64 à Bayonne et Pau, autour de Lyon, l’A49 (entre Valence et Grenoble), l’A71 (entre Saint-Amand-Montrond et Bourges), la rocade d’Orléans, celle de Bordeaux mais aussi différents axes en Bretagne. Dans les Hauts-de-France, les agriculteurs ont mis en place des barrages filtrant tandis que l’A4 devrait être bloquée près de Strasbourg et que les radars de Moselle seront bâchés dans la journée.
Des tonnes de terres agricoles ou de lisier ont également été déversées devant plusieurs DDTM et préfectures, dont certaines sont menacées de voir leurs grilles « tomber ».
La grande distribution commence aussi à en faire les frais. Entre 120 et 150 agriculteurs bloquent ainsi, depuis hier et pour une « durée indéterminée », une plateforme logistique importante du groupe Leclerc à Castelnaudary (Aude) dans le but de « faire pression sur Michel-Édouard Leclerc qui fait de la fausse communication », selon le président des Jeunes Agriculteurs (JA) du département qui l’accuse de s’enrichir sur leur dos. La marge sur les produits agricoles « c'est lui qui la prend, c'est pas les agriculteurs », a-t-il martelé.
Des propositions concrètes « dans les prochains jours »
Alors que l'exécutif reste pour l'heure indulgent vis-à-vis de cette mobilisation afin d'éviter que la colère s'amplifie, le sénateur écologiste Yannick Jadot s’est, lui, indigné ce matin de la différence de traitement réservée aux actions de blocage menées par les agriculteurs comparées à celles des écologistes.
Bousculé hier à l’Assemblée, lors des questions au gouvernement (QAG), le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, n’a quant à lui pas fait d’annonces particulières, mais rappelé vouloir « travailler au niveau européen pour mettre en adéquation la nécessaire transition avec notre volonté de souveraineté, en agissant sur les normes, la politique agricole commune (PAC), les accords internationaux ou encore les clauses miroirs ».
Souhaitant « remédier à la surcharge de normes qui pèsent sur notre agriculture et sur le moral des agriculteurs », il a également expliqué vouloir « assurer la mise en œuvre et le suivi » de la loi Egalim.
« Un prix est un prix : quand un industriel s’est engagé auprès d’un producteur de lait à le rémunérer 390 euros la tonne de lait, il ne doit pas le payer 385 ou 380 euros, mais rigoureusement respecter les termes du contrat », a rappelé de son côté le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors des questions au gouvernement, avant d'annoncer le doublement des contrôles des transformateurs industriels – « de 120 en 2023, nous les porterons à 240 en 2024 ».
Afin que le revenu des agriculteurs ne soit pas « la variable d’ajustement en cas de variation du prix d’un produit dans la grande distribution », « nous veillerons à ce qu’elle soit strictement respectée par l’intégralité des distributeurs. Là encore, nous multiplierons les contrôles nécessaires et prononcerons, le cas échéant, des sanctions exemplaires », a indiqué l'ancien ministre de l'Agriculture de Nicolas Sarkozy.
Accusé par le RN Grégoire de Fournas de répondre à la colère des agriculteurs par du « vide sidéral », Marc Fesneau a précisé que « le Premier ministre présentera des propositions concrètes dans les jours qui viennent », Gabriel Attal pourrait ainsi dévoiler son plan jeudi ou vendredi. Emmanuel Macron a une nouvelle fois demandé, hier, d'« apporter des solutions concrètes aux difficultés ».
Une proposition de loi sur les prix plancher
De son côté, La France insoumise a annoncé qu'elle allait déposer une nouvelle proposition de loi (PPL) pour instaurer des prix plancher pour les agriculteurs (afin de « couvrir a minima » leurs coûts de production), après l'échec de peu (rejeté par 168 voix contre 162) d'un texte similaire il y a moins de deux mois.
Dans ce contexte, les Insoumis déposeront « une loi ciblée uniquement sur cet article-là, puisqu'il avait été voté à la majorité » lors de l’examen de la PPL, a expliqué la députée LFI de Seine-Saint-Denis Aurélie Trouvé qui réclame également la mise en place d’un « moratoire sur les accords de libre-échange » qui « font pression sur les prix payés aux producteurs agricoles ».
Du côté des associations d’élus, aussi bien l’AMF que Départements de France et Régions de France ont apporté leur « soutien » aux agriculteurs.
« Le cri d’alarme des agriculteurs, à l’échelle européenne, doit être entendu par toutes les autorités publiques en charge de ce secteur d’activité. Des réponses concrètes, pour aujourd’hui et à plus long terme, sont la condition de la pérennité de l’activité agricole au service du pays et des communes rurales », a estimé à l'unamité le bureau de l’AMF, disant « partager leurs préoccupations face aux contraintes qui pèsent sur eux ».
« Il y a une véritable absence de vision de long terme pour l’agriculture française », a dénoncé, pour sa part, le président des Départements de France, François Sauvadet, pour qui « le département devrait pouvoir soutenir directement les producteurs ». Même chose du côté de Régions de France dont le responsable de la commission agriculture, Loïg Chesnais-Girard, demande de « donner aux régions plus de pouvoirs pour aider les agriculteurs » .
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