La catastrophe climatique s'accélère
Par Franck Lemarc
C’est une coïncidence, mais elle ne doit rien au hasard : au moment même où des quartiers entiers de la mégapole de Los Angeles sont engloutis par les flammes, l’institut européen Copernicus publie les chiffres les plus alarmants sur le réchauffement climatique, dévoilant le fait qu’en moyenne annuelle, pour la première fois, le monde a dépassé les + 1,5 °C de réchauffement climatique.
Accélération des catastrophes
Avant même que ces chiffres soient connus, il n’y avait hélas pas besoin d’être un expert en climatologie pour savoir que l’année 2024 avait été catastrophique, avec une accumulation d’événements climatiques extrêmes – et souvent mortels. Vague de chaleur sans précédent en Inde, en Arabie Saoudite, au Pakistan, avec des températures dépassant les 50 °C ; inondations dramatiques à Valence, en Espagne ; méga-incendies au Canada et aux États-Unis ; sécheresse historique en certains points du globe, précipitations hors du commun dans d’autres – avec des inondations catastrophiques, qui n’ont pas fait la une de l’actualité, au Mali et au Niger, à l’automne dernier, et qui ont fait des centaines de morts. Avec évidemment, en triste point d’orgue de l’année, le cyclone Chido du 14 décembre qui a détruit Mayotte.
Selon un groupe d’assurances allemand, le bilan humain des catastrophes climatiques de 2024 s’établit à au moins 11 000 morts, et le bilan financier à plus de 300 milliards de dollars. Et l’année 2025 ne commence pas mieux, avec les incendies qui ravagent Los Angeles – encore hors de contrôle ce matin, et qui ont déjà détruit plusieurs dizaines de milliers d’habitation.
Litanie de records
Dans ce contexte, les chiffres publiés par Copernicus ne sont guère surprenants. Pour rappel, cet institut, rattaché à la commission européenne, étudie le climat à travers un réseau de satellites et des milliers de points de contrôle situés en tous points du globe.
Que dit le communiqué publié ce matin ? Il met en lumière un amoncellement de records pour l’année 2024. Celle-ci a d’abord été la plus chaude depuis qu’existent les mesures. Et ce n’est évidemment pas un accident, puisque la précédente année la plus chaude de l’histoire était… 2023. En réalité, rappelle Copernicus, depuis 10 ans, toutes les années ont été, les unes après les autres, les plus chaudes de l’histoire, ce qui illustre le caractère linéaire du réchauffement.
Deuxième record : avec 15,1 °C, la température moyenne à l’échelle mondiale dépasse de 1,6 °C la moyenne de la période 1850-1900. Autrement dit, le fameux seuil des 1,5 °C fixé au moment des Accords de Paris est franchi. Certes, cela ne signifie pas que les Accords de Paris sont définitivement caducs, puisque ceux-ci parlaient d’un dépassement de 1,5 °C sur plusieurs années et non sur une seule, mais la tendance est bien là.
Troisième record : celui du jour le plus chaud de l’histoire, battu le 22 juillet 2024, avec 17,16 °C de moyenne à l’échelle mondiale.
Quatrième record : celui de la température moyenne des océans, qui a atteint 20,87 °C en 2024, chiffre jamais vu, et qui a pour conséquence directe une aggravation de la violence des cyclones, des tempêtes tropicales et même des événements de type « cévenols » en Europe. D’ailleurs, Copernicus établit également que l’Europe est le continent le plus concerné par le réchauffement, qui s’y déroule de façon extrêmement rapide : la température moyenne en 2024 y a été supérieure de 1,47 °C non par rapport à l’ère préindustrielle… mais rapport à la période 1991-2020 !
Enfin, Copernicus annonce que « la quantité totale de vapeur d’eau dans l’atmosphère » atteint également un record en 2024 – ce qui amène des pluies diluviennes et des inondations. Pire : malgré les efforts réalisés dans certains pays, les concentrations de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère, responsables de l’effet de serre et donc du réchauffement climatique, ont également battu un record en 2024. Avec un phénomène de cercle vicieux extrêmement difficile à contrer, par exemple sur la question des incendies : le réchauffement conduit à des méga-incendies, dont les fumées déversent des millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, ce qui aggrave l’effet de serre et donc le réchauffement… et ainsi de suite.
« Action rapide et décisive »
Les experts de Copernicus reconnaissent que ces multiples records battus en 2024 ne sont pas à 100 % dus aux activités humaines, mais également au phénomène dit El Niño, qui se produit tous les 5 ans environ avec pour conséquence un réchauffement des océans. Mais, d’une part, les scientifiques relèvent que les anomalies de température provoquées par El Niño sont de plus en plus violentes au fil des décennies – ce qui leur laisse à penser que le réchauffement climatique et El Niño s’autoalimentent mutuellement. Et, d’autre part, ils constatent que maintenant que le pic d’ El Niño est passé, les températures ne redescendent pas, ce qui est qualifié « d’anormal ».
Les porte-parole de Copernicus ne perdent toutefois pas tout espoir. Carlo Buontempo, le directeur de la filiale de Copernicus chargée de la surveillance du climat, conclut le communiqué en déclarant : « L’humanité est responsable de son propre destin, mais la manière dont nous répondons au défi climatique doit être fondée sur des preuves. L'avenir est entre nos mains : une action rapide et décisive peut encore modifier la trajectoire de notre climat futur. »
Il faut néanmoins rappeler que plusieurs des plus grands pays du monde, au premier rang desquels les États-Unis mais aussi l’Argentine, sont désormais dirigés par des présidents ouvertement climatosceptiques. Et que même dans un pays comme la France, les préoccupations climatiques et environnementales ne semblent plus être prioritaires aux yeux des dirigeants politiques. Faut-il rappeler que le Fonds vert, principal outil mis à disposition des communes pour agir sur le terrain environnemental, a été lourdement amputé par le gouvernement Barnier ? La discussion sur le budget pour 2025 montrera si, oui ou non, le successeur de Michel Barnier décide de changer de braquet.
Au delà du fonds vert, l’amputation des moyens des collectivités en général est, de toute façon, est un très mauvais signal car elles investissent de manière considérable pour le climat, tant du point de vue de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre que pour l’adaptation des territoires aux conséquences du réchauffement. En effet, pour répondre aux objectifs de neutralité carbone de la France à 2050, dont les objectifs sont très élevés par exemple pour la rénovation des bâtiments publics (premier poste de dépenses), ou le changement des pratiques de mobilité (développement des transports collectifs, du véhicule électrique et du vélo), le Panorama publié par I4CE et la Banque Postale évalue les besoins d’investissement des collectivités locales à hauteur de 19 millirds d'euros en moyenne annuelle 2024-2030.
En d’autres termes, les besoins d’investissement des collectivités en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie sont estimés à 11 milliards d'euros d’investissements supplémentaires par an et en moyenne d’ici à 2030 par rapport à 2022. Cette estimation ne tient pas compte des immenses efforts (en investissement et en fonctionnement) que les collectivités doivent également consentir pour s’adapter aux effets des changements climatiques. Les coûts de ce chantier ne sont pas encore estimés et le modèle de financement de ces actions reste à inventer, notamment car elles pèsent lourdement sur les budgets de fonctionnement. On reste donc bien loin du compte.
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