Inaction climatique : le Conseil d'État rappelle (encore) à l'ordre le gouvernementÂ
Par Caroline Reinhart
Le 10 mai dernier, à la veille des déclarations d’Emmanuel Macron plaidant pour une « pause réglementaire européenne » en matière environnementale, le Conseil d’État rendait un arrêt visant à contraindre l’État à agir d’ici juin 2024 pour respecter ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Une décision qui fait suite au recours, en 2019, de la commune de Grande-Synthe (Nord) contre l’État pour « inaction climatique », compte tenu du rehaussement des budgets carbone décidé par la France. Feuille de route gouvernementale en matière d’émissions, la stratégie nationale bas carbone fixe l’objectif de réduire, d’ici à 2030, les émissions de GES de 40 % par rapport aux niveaux de 1990. Un objectif déjà obsolète au regard du droit européen, qui par le paquet « Fit for 55 » assigne à la France un nouvel objectif de - 47,5 % d’émissions pour la période 2005-2030.
Après une première décision en 2020, le Conseil d’État a rendu en juillet 2021 un arrêt sommant l’État de prendre « toutes mesures utiles » pour respecter sa trajectoire de réduction des émissions de GES, d’ici au 31 mars 2022. L’arrêt du 10 mai réitère cette exigence en accordant un nouveau délai, sans astreinte, au gouvernement – jusqu’au 30 juin 2024 – pour « assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions ». Avant cette échéance, un premier bilan au 31 décembre 2023 devra être établi et transmis au Conseil d’État.
Hypothèses non vérifiées, résultats non fiables
Pour motiver sa décision, la haute juridiction indique que si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du gouvernement d’exécuter l’arrêt de juillet 2021, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment « crédible » que la trajectoire de réduction des émissions puisse être effectivement respectée. En effet, « l’évaluation prospective que (l’État) a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés », estime le Conseil d’État. D’autre part, « les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l’analyse par objectifs sectoriels de la SNBC menée par le Haut Conseil pour le climat (HCC), laquelle n’a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties. ».
En effet, pour le HCC, organisme indépendant créé en 2018, si des nouvelles mesures positives sont effectivement intervenues depuis son rapport de juin 2022 pour 19 des 25 orientations sectorielles de la SNBC, « seules 6 d’entre elles apparaissent en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone ». Le HCC estime ainsi qu’il existe des « risques majeurs persistants » de ne pas atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction des émissions de GES, mais aussi qu’« un véritable pilotage, reposant sur un suivi des indicateurs pertinents, des plans d’action déclinés dans tous les ministères et une évaluation systématique des politiques publiques au regard de leurs incidences sur le climat n’est pas encore en place. »
De son côté, le gouvernement a notamment fait valoir les 30 milliards d’euros consacrés à la transition énergétique dans le cadre du plan « France relance » de 2020, ainsi que les 30 milliards d’euros prévus dans le cadre du plan « France 2030 » adopté fin 2021, ou encore la mise en place, en juillet 2022, d’un « secrétariat général à la planification écologique », destiné à favoriser une action concertée des différents services de l’État et des autres personnes publiques.
Compte tenu de ces éléments, des données disponibles et des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de covid-19 et à la guerre en Ukraine, le Conseil d’État rend une décision peu ordinaire, reconnaissant la volonté du gouvernement d’agir et de se conformer à son premier ultimatum de 2021, tout en remettant en cause la fiabilité des résultats qu’il avance. Un exercice d’équilibriste à l’image du rappel à l’ordre qu’il opère, sans astreinte financière, à l’égard de l’État, qui dispose dans le même temps d’un délai supplémentaire pour s’acquitter de ses obligations.
Télécharger la décision du Conseil d’État du 10 mai 2023
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