Cinquième vague « fulgurante » : ce qu'il faut retenir
Par Franck Lemarc
Le rouge foncé fait son retour sur la carte de France mise à jour quotidiennement par le site Covid tracker : ce qui signifie que certains départements ont déjà dépassé le taux d’incidence de 250 cas pour 100 000 habitants. Il n’y a désormais plus un seul département, à l’exception de Mayotte, qui soit sous les 150 cas pour 100 000 habitants, et les taux s’envolent dans plusieurs départements : 358 en Ardèche, 326 en Haute-Corse, entre 260 et 265 dans les Landes, les Bouches-du-Rhône et le Bas-Rhin.
Doublement des cas
La cinquième vague de l’épidémie est bien d’une rapidité « fulgurante », comme l’a déclaré hier le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal : le nombre de cas a presque doublé en une semaine, avec 91 % d’augmentation en sept jours : la moyenne de cas quotidiens a été cette semaine de 16 442.
On se représente la rapidité de cette évolution en se rappelant qu’il y a à peine 15 jours, chacun se réjouissait des mesures annoncées par le Premier ministre concernant les stations de ski : pas de pass sanitaire exigé aux remontées mécaniques, sauf si le taux d’incidence devait dépasser les 200 cas par jour à l’échelle nationale. Il était alors de 62 (le 8 novembre), et les gestionnaires de stations envisageaient l’avenir avec optimisme. Quatorze jours plus tard, le taux d’incidence national est de 171 cas par jour, et vu la vitesse de propagation de l’épidémie, la barre des 200 devrait être franchie d’ici la fin de la semaine. Selon le statisticien Guillaume Rozier, qui anime le site Covid tracker, la tendance est à un doublement des cas tous les dix jours, ce qui devrait amener à un nombre de cas supérieur à 30 000 par jour le 1er décembre.
La tranche d’âge la plus touchée par cette nouvelle vague est celle des 30-39 ans, avec un taux d’incidence qui a déjà dépassé les 200 dans cette tranche.
Moins de tests
Le nombre de personnes hospitalisées, en réanimation et décédées du covid-19 augmente également, mais reste relativement bas par rapport à ce qui a été connu lors des précédentes vagues : + 30 % d’admissions en soins critiques et + 35 % de décès la semaine dernière. Il y a eu en moyenne 46 décès à l’hôpital par jour la semaine dernière, ce qu’il faut comparer aux plus de 500 morts quotidiens au pic de la première vague et 400 lors de la deuxième. Même constat pour les admissions en soins critiques, qui avaient culminé à 7 000 lors de la première vague et à 6 000 lors de la deuxième. Depuis, la vaccination massive est passée par là, et le nombre d’admissions en réanimation n’a pas dépassé les 2 500 lors de la vague de cet été, et se maintient pour l’instant à 1 300, soit un taux d’occupation des lits de réanimation de 26 %.
Les chiffres montrent cependant que les chiffres actuels d’hospitalisation sont plus élevés que lors de précédentes vagues à nombre de cas positifs égal. Il ne faut pas en conclure pour autant que l’immunité due au vaccin diminue ou que des formes plus graves circulent : l’explication vient du fait que le nombre de tests a beaucoup diminué, en particulier du fait de la fin de la gratuité des tests : il y avait presque 800 000 tests quotidiens effectués début septembre, il n’y en a plus que 320 000 aujourd’hui. Mécaniquement, moins de tests signifie moins de cas positifs identifiés… mais pas moins de formes graves. Le taux d’incidence réel est donc probablement bien plus élevé que ce que montrent les chiffres, établis à partir des seuls tests.
Renforcement des contrôles
Face à cette situation, le gouvernement n’envisage pas, pour le moment, de durcissement des mesures sanitaires – alors que certains pays européens, comme l’Autriche, viennent de décider d’un nouveau confinement. Le gouvernement français n’a décidé pour l’instant que d’un renforcement des contrôles du pass sanitaire, après constatation d’un « relâchement dans certains établissements recevant du public ». Les contrôles ont augmenté la semaine dernière de plus de 100 %, a annoncé Gabriel Attal, avec « près de 70 000 contrôles de personnes et plus de 4 300 contrôles d'établissements » en quatre jours.
Par ailleurs, le gouvernement incite de plus en plus fortement les personnes concernées à recevoir une dose de rappel. Le nombre d’injections d’une dose de rappel a augmenté de 46 % la semaine dernière. À partir du 15 décembre, rappelons-le, le pass sanitaire des personnes de plus de 65 ans n’ayant pas reçu de rappel sera désactivé.
La crainte du « coup de grâce » à l’hôpital
L’hôpital risque-t-il à nouveau d’être débordé ? La question se pose clairement. Si aujourd’hui ce risque semble assez lointain, il pourrait se rapprocher plus rapidement qu’on ne le croit. C’est ce qu’affirme, notamment, l’infectiologue Gilles Pialloux, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon à Paris, qui a déclaré hier que « dans la situation actuelle de l'hôpital public, avec les lits fermés, le problème du personnel, et la circulation des virus hivernaux, on n'aura pas besoin d'une énorme vague pour être submergé ».
Une note très alarmiste publiée en fin de semaine par la Direction générale de la santé (DGS) va dans le même sens. Intitulé « recommandations relatives a l’anticipation et l’adaptation de la réponse de l’offre de soins aux situations de tensions », ce « DGS urgent » diffusé le 17 novembre appelle à mettre en place des actions immédiates et « d’engager tous les leviers » pour maintenir ouverts les services. En clair, la DGS craint que les services d’urgence soient rapidement débordés si la vague continue de monter, s’ajoutant à une recrudescence de la grippe et de certains virus respiratoires. La DGS préconise donc des mesures incitatives (majoration de 50 % des heures supplémentaires jusqu’en janvier prochain) et plus coercitives, avec des assignations et des réquisitions. Il est également proposé de mobiliser les personnels retraités.
Les annonces de réquisitions à venir ont fait bondir les organisations représentatives des personnels de santé, dans un contexte déjà tendu par l’obligation vaccinale, l’épuisement et le manque de personnel, déjà endémique avant la crise, mais qui va en s’aggravant : un nombre de plus en plus important de personnels de santé quittent l’hôpital, avec pour conséquence des fermetures de lits : la Fédération hospitalière de France a indiqué, début novembre, que 6 % des lits sont fermés à l’hôpital public, dans la plupart des cas par manque d’infirmières. Le patron de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, a confirmé la semaine dernière ce constat, en parlant de « 1 200 postes d’infirmières non pourvus » à l’AP-HP.
Pour la CGT Santé, le docteur Christian Prudhomme a déclaré ce matin : « La réquisition, un certain nombre de personnels risquent de s'y soustraire en disparaissant de la circulation. Ça fait deux ans qu'on a été obligé de reporter, d'annuler nos vacances. Personnellement, j'ai un an sur mon compte épargne temps. Je vais les prendre quand ? » Dans un communiqué rageur, un collectif de plusieurs organisations, dont Actions praticiens hôpital, Jeunes médecins et l’Intersyndicale nationale des internes, ne dit pas autre chose, parlant, à propos de cette note de la DGS, d’un « coup de grâce » : « L’hôpital public n’a plus rien à se mettre sur le dos et mendie pour trouver du personnel. (…) Les urgences craquent et ferment. » Le ministère va chercher des médecins jeunes et retraités « pour les mettre comme des pions dans les urgences, en favorisant des horaires de travail qui conduisent inexorablement à l’épuisement professionnel et personnel. (…) La politique de santé menée depuis 30 ans n’a pas réussi à sauver l’hôpital public. Le ministère y apporte maintenant le coup de grâce. »
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