La proposition de loi limitant l'engrillagement des espaces naturels est en passe d'être adoptée
Par Lucile Bonnin
« Un fléau ». Voilà comment le sénateur Laurent Somon, rapporteur de la proposition de loi visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, qualifie l’installation de grillages qui se multiplie. C’est en Sologne que cette réalité est la plus visible. Environ 4 000 kilomètres de clôtures entravent actuellement la circulation des animaux.
Cette pratique s’est amplifiée depuis les années 1990, que cela soit pour chasser ou protéger des parcelles privées. La principale raison selon le rapporteur : « La désagrégation des relations sociales traditionnelles qui animaient les campagnes » et « une perte de savoir-vivre ensemble. » En matière de chasse, la prolifération « des enclos derrière des clôtures de plus de 1,80 mètre de haut et enterrées de plusieurs dizaines de centimètres » est aussi largement mis en cause.
Bérangère Abba, alors secrétaire d'État chargée de la Biodiversité, avait soutenu cette proposition de loi. « Ruptures de continuités écologiques, problèmes sanitaires, absurdité des lâchers quand on sait nos besoins de régulation et que dire de l’éthique de ces chasses qui n’en sont pas. Oui, ces pratiques doivent cesser » , avait-elle déclaré sur Twitter en décembre 2021.
Presque un an plus tard, le texte a reçu l'approbation unanime du Sénat le 10 janvier 2022 et de l'Assemblée nationale le 6 octobre dernier. Après quelques modifications, hier, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté en deuxième lecture la proposition de loi de Jean-Noel Cardoux.
Les risques de l’engrillagement
Encadrer l’installation de ces clôtures devient une urgence. Déjà, c’est une priorité pour assurer la sécurité dans les territoires car « en cas d’incendie de forêt, les parcelles sont inaccessibles aux pompiers » . Avec la multiplication des incendies en France, comme cela a été constaté cet été, la régulation de l’engrillagement est un sujet d’actualité.
La multiplication des clôtures pose aussi problème « en matière de sécurité sanitaire du fait de l’importation et de la concentration d’animaux et des risques que cela présente pour les élevages français » et présente un risque de destruction de la faune et de la flore car ces grilles « conduisent au piétinement des sols. »
Ces grillages sont aussi régulièrement pointés du doigt par les promeneurs et habitants qui les accusent de défigurer les paysages des campagnes. Le rapporteur pointe le risque pour « le développement du tourisme rural, de nombreux chemins ruraux étant bordés de hauts grillages. Certains chemins communaux sont même barrés par des grilles canadiennes (1) tellement espacées qu’elles présentent un danger pour les cavaliers, les vélos et les enfants. »
Interdictions et contrôles
La proposition de loi impose que les clôtures soient désormais « posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol », et limitées à 1,20 mètre de haut. Ainsi, elles ne constituraient pas un danger pour la faune ou la flore. Le texte permet aussi aux agents de l’OFB de contrôler l’intérieur de ces espaces clos et les agents assermentés des fédérations pourront constater la non-conformité des clôtures.
Quelques modifications sont intervenues à l’Assemblée nationale notamment l’élargissement de ces dispositions « à toutes les zones naturelles et forestières définies par les plans locaux d’urbanisme (PLU) » . Des exceptions sont prévues dans le texte notamment pour les parcelles agricoles, les clôtures d’intérêt public ou celles nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique, à la protection des jardins ouverts au public et des sièges d’exploitations agricoles ou forestières. En contrepartie de cette obligation d’abaissement des clôtures, une contravention de 4e classe « pour toute pénétration non-autorisée dans une propriété » est prévue dans ce texte.
Le délai de mise en conformité des clôtures existantes a aussi été modifié et réduit de 7 ans à 4 ans, « ce qui paraît suffisant notamment pour réguler les animaux qui pourraient être relâchés » , selon le rapporteur du texte. L’année 2027 est donc la nouvelle date butoir. Concernant la rétroactivité de la loi, les clôtures installées à partir de 1993 seront concernées, les députés et sénateurs ayant retenu la « prescription trentenaire ».
Interdiction d’agrainage et d’affouragement
Si toutes les modifications adoptées par l’Assemblée nationale ont été approuvées par la commission, un article a néanmoins fait l’objet d’une modification. Les députés ont en effet voté l’interdiction de l’agrainage et l’affouragement (2) dans les enclos, à l’exception des enclos scientifiques en octobre dernier.
Selon le rapporteur, « cette interdiction générale est illogique puisqu’elle s’appliquerait aussi bien aux espaces clos de manière étanche qu’à ceux ouverts à la faune. Ces derniers doivent être soumis au droit commun de la chasse comme le reste des espaces complètement ouverts pour éviter les dégâts aux cultures. » Un amendement a donc été déposé pour interdire ces pratiques « uniquement dans les espaces hermétiquement clos laissant au gouvernement le soin de préciser les exceptions. »
Pour rappel, conformément aux dispositions de l'article L425-5 du code de l'environnement, l’agrainage et l’affouragement sont actuellement autorisés dans des conditions définies par le schéma départemental de gestion cynégétique.
Pour Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, « ce texte a réussi à rassembler députés et sénateurs et le gouvernement derrière un objectif commun de protection de nos espaces naturels pour mettre fin à des pratiques d’engrillagement et de chasse artificialisée néfastes. Cet assentiment des deux assemblées doit permettre une application rapide de la loi dès 2023 après le vote solennel du Sénat attendu le 6 décembre ».
(1) Grilles posées horizontalement au sol, au-dessus d'une fosse, permettant de barrer le passage aux bovins ou au cervidés.
(2) Pratique consistant à nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement naturel ou anthropisé, avec du grain ou du fourrage.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2