Édition du lundi 24 mai 2004
Charte de l'environnement : le principe de précaution suscite toujours autant de réserves
Le principe de précaution, décrit dans l'article 5 de la Charte de l'environnement qui examinée demain en première lecture par les députés, concentre les plus vives critiques, aussi bien chez les parlementaires que dans la société civile. Pour ses défenseurs, ce principe "d'action" doit inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures et conduire des recherches en cas d'incertitude scientifique sur les conséquences de risques pour l'environnement. "La science peut faire le meilleur comme le pire. Il faut être vigilant et réfléchir aux implications des recherches", estime l'astrophysicien Hubert Reeves.
Le patronat, une partie des scientifiques et les élus craignent une cascade de procès et, in fine, une paralysie de l'innovation et la recherche. "Toutes les technologies modernes comportent un risque, que ce soit l'automobile, l'électricité ou le nucléaire", rappelle le professeur Maurice Tubiana, président de l'Académie de médecine, opposée comme l'Académie des sciences à l'inscription du principe dans la Constitution.
L'article 5 "n'a pas pour objet d'interdire aux élus locaux de prendre des initiatives, mais au contraire de les inciter à agir pour prendre les mesures appropriées", précise le juriste Guy Carcassonne. Il cite l'exemple du nucléaire, où la précaution a conduit à prendre en compte dans les normes de sécurité les conséquences d'un possible accident majeur.
Les partisans du principe de précaution rappellent qu'il existe dans le droit français depuis 1995 (loi Barnier), sans avoir déclenché à ce jour les effets "apocalyptiques" annoncés. Le principe de précaution apparaît pour la première fois à la fin des années 1960 en Allemagne. Les autorités publiques adoptent le "vorsorgeprinzip", qui les autorise à prendre toutes "mesures nécessaires et raisonnables" pour faire face à des risques éventuels. "garde-fous"
Dans les années 1980, il figure dans plusieurs textes internationaux. Il est formulé dans la Déclaration de Rio adoptée à l'issue du Sommet de la Terre (1992). Les changements climatiques sont alors visés : l'impact de l'effet de serre, amplifié par les émissions polluantes des activités humaines, ne se fera sentir pleinement qu'à la fin du siècle, mais les risques graves encourus justifient que la communauté internationale prenne au plus vite des mesures.
Le principe de précaution figure également dans le droit européen depuis le traité de Maastricht en février 1992.
Le principe de précaution est donc déjà inscrit dans la loi française et plusieurs traités internationaux ratifiés par la France. Le supprimer de la Charte de l'environnement constituerait une régression.
A l'inverse, son inscription comme "principe" dans la Constitution française le rendra "d'application directe", selon les juristes : un simple citoyen pourra saisir les tribunaux administratifs s'il estime que l'Etat ou les collectivités territoriales n'ont pas pris les mesures nécessaires. Exemple : les organismes génétiquement modifiés ou les pesticides, pour lesquels une large incertitude demeure.
Des "garde-fous" sont toutefois prévus dans le texte amendé par les députés en commission : seules les autorités publiques sont responsables (et non les entreprises ou les particuliers) et uniquement dans leurs domaines d'attribution. Ainsi, un maire ne peut être tenu responsable pour des cultures d'OGM sur sa commune, dont l'autorisation relève de l'Etat.
Le principe de précaution s'appliquera uniquement à l'environnement, et non à la santé. Enfin, un amendement prévoit que le législateur pourra s'il le juge nécessaire encadrer son application par la loi.</s
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