Certificats d'économies d'énergie : va-t-on vers une hausse des factures des ménages ?
Par Franck Lemarc
« Pourquoi la facture énergétique des Français pourrait grimper de 1000 euros par an ? ». « Électricité : vers une explosion des factures d’ici deux ans ». « Pourquoi le prix de l’électricité pourrait être multiplié par 5 d’ici à 2026 ? ». Ces quelques titres piochés dans la presse depuis hier font référence à une étude du cabinet Colombus Consulting, qui étudie les impacts d’une réforme des certificats d’économie d’énergie prévue par le gouvernement. Cette réforme se traduirait par une forte augmentation du niveau d’obligation des CEE, renchérissant leur prix. L’étude en question, parmi de multiples scénarios, envisage en effet, dans le pire d’entre eux, une augmentation moyenne du coût de l’énergie pour les ménages comprises « entre 698 et 912 euros par an » voire, dans certains cas, encore « supérieure ».
Ces chiffres doivent être pris avec prudence, pour plusieurs raisons : d’abord, il ne s’agit que d’un des scénarios étudiés. D’autres scénarios pourraient conduire à des augmentations moindres – même si elles seraient tout aussi insupportables pour les ménages, par ailleurs – comprises entre 350 et 580 euros par an environ.
Deuxièmement, il faut noter que l’étude a été commandée par les fédérations de fournisseurs d’énergie, qui sont opposées à la hausse du niveau d’obligation. Le fait de brandir un chiffre aussi intenable que « 1 000 euros par an » peut s’inscrire dans une forme de lobbying des fournisseurs d’énergie pour pousser le gouvernement à ne pas augmenter le niveau d’obligation. Pour mémoire, les chiffres calculés par l’Ademe sont moins élevés, l’agence tablant sur une hausse de 300 à 400 euros.
Les CEE, qu’est-ce que c’est ?
Mais pourquoi la hausse du niveau d’obligation devrait-elle se répercuter sur les factures des usagers ? Pour le comprendre, il faut revenir sur le fonctionnement de ce dispositif.
Les CEE (certificats d’économie d’énergie) ont été créés par la loi du 13 juillet 2005, dans le but de réduire la production de gaz à effet de serre. Les fournisseurs d’énergies carbonées et les vendeurs de carburants, appelés les « obligés », doivent financer directement ou indirectement, des actions d’économie d’énergie. Il s’agit tout simplement d’un mécanisme de compensation : les fournisseurs, en vendant des produits carbonés, contribuent à l’émission de gaz à effet de serre. En contrepartie, ils doivent aider à faire diminuer la consommation des produits qu’ils vendent.
L’État fixe, pour chaque fournisseur d’énergie, un objectif d’économies d’énergie à atteindre pour une période pluriannuelle, sous peine de sanctions financières. Pour atteindre ces objectifs, les « obligés » peuvent réaliser des opérations d’économies d’énergie par eux-mêmes, ou inciter les consommateurs (qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises ou de collectivités) à faire des travaux (isolation, installation de pompes à chaleurs…) qu’ils soutiennent financièrement. Les certificats d’économie d’énergie peuvent être achetés et vendus sur un marché spécifique.
Il est à noter que les collectivités locales sont éligibles à ce dispositif, mais sans faire partie des « obligés ». Autrement dit, elles peuvent obtenir des CEE lorsqu’elles réalisent des opérations d’économies d’énergie sur leur patrimoine, et les revendre sur le marché pour financer a posteriori ces opérations.
Le niveau d’obligation (objectif d’économies d’énergie) fixé aux « obligés » n’a cessé de croître depuis le lancement du dispositif. Pour la période actuelle (2022-2025), il est globalement de 3 100 TWhc (1). Aujourd’hui, pour respecter les obligations européennes de baisse des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement envisage de l’augmenter pour la prochaine période (2026-2030), et une consultation a été lancée par la Direction générale de l’énergie et du climat sur le niveau de cette augmentation. Parmi les scénarios envisagés, un doublement du niveau d’obligation – hypothèse très mal reçue par le secteur des fournisseurs, qui estiment déjà que les obligations de la période actuelle ne seront pas atteintes.
Un système largement financé par les ménages
Sur le papier, le système semble vertueux. Dans la réalité, il n’en va pas tout à fait de même, pour une raison simple : les fournisseurs d’énergie n’absorbent pas eux-mêmes le surcoût représenté par les CEE, mais le répercutent sur les clients. Les fournisseurs ne s’en cachent pas : dans l’étude du cabinet Colombus Consulting, on peut lire, page 28 : « L’évolution du prix des CEE (et) l’augmentation des obligations à chaque période implique une augmentation des coûts du dispositif pour les obligés, qui se répercute directement sur la facture énergétique des ménages ».
La Cour des comptes, dans un rapport qu’elle vient de publier sur le dispositif des CEE, le dit encore plus crûment : « Le mécanisme des CEE semble en première analyse contraindre les fournisseurs d’énergie à financer des économies d’énergie. Mais, en pratique, ceux-ci répercutent tous les coûts nécessaires à l’obtention des certificats (…) dans les prix de vente des énergies. Il en résulte que le coût associé aux CEE est supporté in fine par les ménages et les entreprises du secteur tertiaire. »
La Cour des comptes estime que chaque ménage finance ainsi le dispositif à hauteur de « 164 euros par an » en moyenne. Sachant qu’il y a environ 30 millions de ménages en France, ceux-ci financent donc les CEE à hauteur de presque 5 milliards d’euros par an… soit 82 % du coût du dispositif pour les fournisseurs !
Conclusion de la Cour des comptes : le mécanisme des CEE revient ni plus ni moins à une « taxe sur les consommations d’énergie ».
Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes se montre très dur vis-à-vis du dispositif. Les économies d’énergies générées par celui-ci, estimées par l’État à 6,5 % de la consommation totale d’énergie en 2020, sont largement « surévaluées », notamment parce que « le volume des certificats délivrés ne correspond pas aux économies d’énergies » réelles.
Par ailleurs, toujours selon les magistrats de la rue Cambon, le dispositif génère des fraudes massives, qui ne donnent lieu qu’à des sanctions « modestes et tardives ».
Suppression du dispositif ?
La Cour juge donc que le dispositif « ne peut perdurer sans réforme d’ampleur », estimant même que sa « suppression » pourrait être envisagée – certains pays européens ont d’ailleurs fait ce choix, comme le Danemark. Si cette solution n’est pas retenue, les magistrats demandent au législateur « des réformes structurelles profondes », passant notamment par une plus grande transparence, une « stabilité » réglementaire, une refonte du mode de calcul des économiques d’énergie, une lutte déterminée contre la fraude.
Il reste à savoir quelles seront les orientations du nouveau gouvernement sur ce sujet. De plus en plus de voix réclament, aujourd’hui, la suppression de ce dispositif – cela a par exemple été le cas, hier, de l’ancienne ministre de la Transition écologique Ségolène Royal.
Les chiffres envisagés dans l’étude de Colombus Consulting d’une éventuelle augmentation de 1 000 euros des factures d’électricité des ménages sont une possibilité bien réelle. Mais n’est-ce pas un étrange déplacement de responsabilités, qui s’apparente, en l’espèce, à une forme de chantage ? Les fournisseurs disent que si l’État décide de doubler les obligations, les ménages en payeront le prix fort. Mais il serait peut-être plus raisonnable de se demander s’il est normal que les fournisseurs répercutent la presque totalité du coût des CEE sur les ménages, plutôt que de les prendre à leur charge.
Le sujet du prix de l'énergie va être un point central des mois à venir, non seulement du fait de la question des CEE, mais plus encore parce que le dispositif de l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) va expirer en 2026, et qu'on ignore, à ce jour, par quoi il va être remplacé.
(1) Térawattheure cumac, c’est-à-dire CUmulé et et ACtualisé. Le KWh cumac est l’unité de mesure utilisée pour le calcul des primes CEE.
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