Une catastrophe d'une ampleur inédite en Espagne, des dizaines de communes ravagées
Par Franck Lemarc
« L’antichambre de l’enfer ». Ce titre du quotidien espagnol ABC, ce matin, dit à lui seul l’ampleur de la catastrophe. Les images qui circulent depuis hier sur les réseaux sociaux sont proprement hallucinantes : plus qu’une simple tempête, c’est bien une forme de tsunami qui a ravagé mardi la région de Valence. Sonnée, l’Espagne s’est réveillée hier en regardant les images de centaines de voitures amoncelées en tas sur les autoroutes, de zones industrielles rasées, de torrents dans les rues balayant des poids lourds et pliant des lampadaires comme des fétus de paille, de voitures emportées avec leurs passagers terrorisés sous les yeux des habitants réfugiés dans les étages des immeubles, impuissants.
Au moins 96 personnes sont mortes dans cette catastrophe, mais le gouvernement espagnol prévient que le bilan sera bien plus lourd, de nombreux disparus étant signalés. Ce matin, sur X, d’innombrables avis de recherche sont diffusés par des particuliers qui diffusent la photo d’un mari, d’une fille, d’un frère, en demandant si quelqu’un l’a revu.
115 000 foyers sont encore privés d’électricité ce matin, et les ponts effondrés, les routes coupées ou affaissées rendent la circulation impossible dans plusieurs zones. Certains villages de l’arrière-pays sont totalement coupés du monde.
Les témoignages que l’on trouve dans la presse espagnole donnent une idée de la folle violence de l’événement. Ainsi, à Utiel, à une centaine de kilomètres de Valence, un habitant montre un trou béant dans le mur de sa maison : il a été causé par sa propre voiture, après que le torrent d’eau eut défoncé la porte de son garage et propulsé le véhicule comme un bélier contre la façade.
Urbanisation chaotique et alertes tardives
Il est tombé mardi, sur la région de Valence, l’équivalent d’un an de pluie en 8 heures. Les inondations qui se sont produites sont le résultat d’une conjonction de plusieurs causes. L’agglomération de Valence est située dans une plaine au bord de la Méditerranée, ceinturée de montagne et traversée de très nombreux cours d’eau, très urbanisée. Mardi, un orage stationnaire d’une extrême violence s’est déclenché, au point de rencontre de vents froids venus des montagnes et d’une masse d’air humide venue de la Méditerranée – l’équivalent de ce que l’on appelle en France un épisode cévenol. La température encore anormalement élevée de la Méditerranée est l’une des causes de la violence du phénomène, rendant les quantités d’humidité dans l’air particulièrement importantes.
Les énormes cumuls de pluie (parfois plus de 400 mm en quelques heures) ont fait déborder d’un coup tous les cours d’eau en même temps, ce qui a provoqué ce qui ressemble à un tsunami, non venu de la mer mais de l’intérieur des terres : une vague qui submerge tout sur son passage en quelques minutes.
Et le bilan aurait pu être encore plus dramatique, si les autorités locales n’avaient pas décidé, il y a plusieurs dizaines d’années, de détourner le fleuve Turia qui traversait l’hypercentre de Valence. Le 13 octobre 1957, un phénomène similaire avait frappé la ville, causant la mort de 80 personnes. C’est à la suite de ces inondations que les élus locaux ont pris la décision de détourner le fleuve et de lui faire contourner la ville par le sud, asséchant l’ancien lit du fleuve et le transformant en parc. Cette initiative a probablement empêché que, mardi, tout le centre-ville de Valence soit noyé sous les eaux.
Reste que, comme le souligne la presse espagnole ce matin, la question de l’urbanisme et des habitations en zone inondable est un problème de fond dans cette région. Selon El Diario, 280 000 logements seraient construits en zone inondable dans la seule province de Valence, soit un quart de tous ceux qui sont dans ce cas en Espagne. À Murcie, ce sont 17 % des logements qui sont construits en zone inondable. De très nombreuses habitations et zones d’activités sont également dans ce cas au sud de la ville de Valence, comme dans la commune de Paiporta, à 5 km au sud-ouest de la ville centre, qui compte 40 des 96 morts décomptés à cette heure.
Par ailleurs, une polémique est en train de grandir à propos du système d’alerte, jugé par beaucoup trop tardif et insuffisant. Pourtant, c’est dès dimanche que Aemet – l’équivalent de Météo France en Espagne – a émis de premières alertes pour la région de Valence. Lundi à 15 h, l’alerte est passée en « orange », puis en « rouge » mardi à 10 h, Aemet diffusant un communiqué sans ambigüité : « Alerte rouge ! Le danger est extrême. Ne vous approchez pas des lits des rivières. » La Generalitat (le gouvernement local) a décrété l’état d’urgence dès le mardi matin. Pourquoi, dans ces conditions, y a-t-il polémique ? Parce que le système général d’alerte qui envoie des messages sur les téléphones des habitants, équivalent de FR-Alert en France, n’a lui été déclenché que très tardivement, entre 20 h et 20 h 30 le mardi. Des victimes racontent qu’elles ont reçu ce message les avertissant qu’elles ne devaient en aucun cas sortir de chez elles … alors qu’elles étaient déjà grimpées dans des arbres pour tenter d’échapper à la furie de la crue.
Solidarité
Depuis que l’ampleur de la catastrophe est connue, la solidarité s’organise hors des frontières de l’Espagne. Huit pays ont déjà proposé leur aide (la France, le Maroc, l'Italie, la Grèce, le Portugal, la Turquie, la République tchèque et la Slovénie) et pourraient notamment dépêcher des effectifs de la sécurité civile. La communauté européenne va également débloquer des aides, et l’Europe a activé le système satellitaire Copernicus « pour aider à coordonner les équipes de secours ».
En France, les associations d’aide humanitaire ont d’ores et déjà lancé des appels aux dons pour aider les dizaines de milliers d’habitants de la région qui ont tout perdu. Pour ce qui concerne les éventuels dons des communes, il leur sera possible de faire un don (sous réserve expresse d'une délibération) à un organisme française (type Croix rouge ou Protection civile). Il est aussi possible qu'un dispositif soit activé par le ministère des Affaires étrangères, permettant dans ce cas une aide directe. Pour l'instant, aucun fonds n'a été activé : il est nécessaire, au préalable, que le pays concerné accepte officiellement l'aide internationale, ce qui logiquement ne devrait pas tarder.
Tous les experts l’affirment formellement : cette catastrophe sans précédent en Espagne est une conséquence directe du réchauffement climatique. Et c’est, au moins, toute la façade méditerranéenne qui est exposée, et ce de façon de plus en plus fréquente, à des phénomènes météorologiques de grande ampleur. Après les intempéries et les inondations particulièrement violentes qui ont touché la France pendant le mois d’octobre, cette nouvelle catastrophe, d’une ampleur inédite, montre plus que jamais l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique, et d’y consacrer des moyens à la hauteur de l’enjeu.
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