Carburant : situation bloquée, alors que les premières réquisitions sont lancées en Normandie
Par Franck Lemarc
Alors que la semaine dernière, la question de la pénurie de carburants, pourtant déjà bien perceptible, avait été étonnamment absente de la séance de questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, il n’en a pas été de même hier : pas moins de six députés ont interpellé l’exécutif sur cette question.
Élisabeth Borne : « On ne peut pas bloquer le pays »
Éric Ciotti (Alpes-Maritimes – LR), a demandé de la fermeté contre les grévistes : « Une nouvelle fois, rien n’est anticipé, rien n’est géré, et les Français éprouvent légitimement le sentiment que la France n’est plus gouvernée. Face aux blocages, nous demandons solennellement au gouvernement de prendre [ses] responsabilités et de faire preuve d’autorité. » À l’inverse, Mathilde Panot (Val-de-Marne – LFI), a dit sa solidarité avec les grévistes et exigé du gouvernement qu’il fasse pression sur les groupes pétroliers pour augmenter les salaires : « Quand allez-vous comprendre qu’avant d’appeler à débloquer les dépôts, il faudra débloquer les salaires ? ».
Thierry Frappé, pour le RN, a demandé au gouvernement d’agir d’urgence pour débloquer les dépôts et raffineries et, d’autre part, pour « diminuer la TVA sur les carburants ». Guy Bricout (LIOT) a lui aussi fustigé le « manque d’anticipation » du gouvernement, et déclaré que « même si on le respecte, le droit de grève ne devrait pas permettre d’entraver toute l’économie d’un pays. ».
C’est la Première ministre qui a répondu en premier et donné l’essentiel des réponses. Reconnaissant que la situation est « difficile », voire « insupportable » dans certaines régions, Élisabeth Borne a rappelé que le gouvernement a « agi » – niant tout manque d’anticipation ou volonté de sous-estimer la gravité de la situation –, « en mobilisant les stocks stratégiques, en augmentant les importations » et en autorisant les livraisons pendant le week-end.
Mais cela n’a pas suffi, puisqu’hier, selon elle, « 30 % des stations » connaissaient des difficultés, « avec de grandes disparités territoriales ». La cheffe du gouvernement en appelle maintenant « à la responsabilité » : « Un désaccord salarial ne justifie pas le blocage du pays. »
Élisabeth Borne a distingué deux situations : celle du groupe ExxonMobile et celle de TotalEnergies. Pour ce qui concerne ExxonMobile (Esso), « un accord majoritaire a été signé hier » avec des avancées « significatives ». Mais « une partie des organisations veut poursuivre le mouvement et continuer le blocage. Nous ne pouvons pas l’accepter. » La Première ministre a donc demandé aux préfets « d’engager la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise ».
Chez Total, aucun accord n’a été pour l’instant conclu – et aucune négociation n’a même commencé. L’exécutif ne va donc pas, pour l’instant, engager des réquisitions chez Total, mais le fera dès que le dialogue s’engagera, avant même qu’un accord soit éventuellement signé, apparemment : « Lorsque la porte est ouverte, lorsque des discussions s’engagent, on ne peut pas continuer à bloquer le pays. Chacun doit prendre ses responsabilités », a conclu Élisabeth Borne.
La situation ce matin
Après ces annonces, la situation n’a pas changé ce matin, et s’est même plutôt détériorée, puisqu’une nouvelle raffinerie, celle de Donges (Loire-Atlantique), a rejoint le mouvement de grève hier soir, rejoignant celles de Fos-sur-Mer, Toulouse, La Mède, Port-Jérôme-sur-Seine, Dunkerque et Gonfreville-L’Orcher. Les services publics commencent à être touchés. Hier, par exemple, le maire de Conches-en-Ouche, dans l'Eure, a indiqué sur Twitter que « la pénurie de carburant commence à toucher nos services publics locaux essentiels. Ramassage des ordures, aides à domicile… entre autres ! À partir de mercredi, nous ne serons plus capables de les assurer. »
Du côté de chez Total, la direction a convoqué une réunion de « concertation » cet après-midi, mais en y invitant uniquement les syndicats non grévistes. La CGT ne sera « bienvenue » à cette réunion que si elle a « levé tous les blocages avant mercredi midi », indique le communiqué du groupe. Les négociations ne devraient pas durer longtemps puisque la CFDT, syndicat non gréviste, a annoncé hier qu’elle ne « négocierait pas les salaires sans la CGT », estimant qu’il s’agirait d’un « déni de démocratie ».
Chez Exxon, conformément aux demandes de la Première ministre, la procédure de réquisition a été lancée ce matin à 9 h à Port-Jérôme-sur-Seine, a indiqué le gouvernement à la presse. La CGT, de son côté, a qualifié au niveau confédéral cette décision « d’illégale » et a déclaré qu’elle « suspend toutes les participations aux réunions avec le gouvernement et le patronat dans la période » – en pleine période de concertation sur la réforme des retraites. Le syndicat se prépare à attaquer cette décision en référé devant la justice.
Autre signe d'un changement de braquet du gouvernement : une « cellule interministérielle de crise » est réunie, ce matin, au ministère de l'Intérieur, pour évoquer la situation.
Même si les raffineries et les dépôts étaient débloqués rapidement, cela ne signifie pas toutefois que la situation reviendrait à la normale très rapidement. C’est en tout cas ce qu’affirmait ce matin Éric Layly, président de la Fédération française des combustibles, des carburants et du chauffage. Commentant sur France info les annonces de réquisition, Éric Layly a expliqué que les camions citernes font face à des délais de « 6 à 8 heures d’attente » pour pouvoir charger, dans les dépôts. « Il faut au minimum un ou deux jours aux stations-services pour être réapprovisionnées, et elles sont vidées en une demi-journée ». « Une fois que toutes les grèves seront terminées, estime le président de la FFCCC, il faudra une dizaine de jours pour que les choses reviennent à la normale. » On est donc, dans tous les cas, encore très loin de la fin des difficultés pour les automobilistes.
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