Budget, décentralisation : le Premier ministre donne une version un peu différente aux sénateurs
Par Franck Lemarc

À la veille de l’examen des motions de censure à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a prononcé hier devant les sénateurs sa déclaration de politique générale, pour partie très semblable à celle prononcée devant l’Assemblée nationale. Mais, face à la « chambre des territoires », Sébastien Lecornu a donné quelques précisions supplémentaires sur le sort réservé aux collectivités dans le projet de budget.
Contre-vérité
Alors que, devant les députés, il n’avait quasiment pas évoqué les collectivités – si ce n’est pour dire qu’elles représentent un « bloc massif » de dépenses sur lequel des économies sont à faire, Sébastien Lecornu a évoqué « l’effort » demandé aux collectivités dans le cadre du projet de budget pour 2026, disant comprendre que « cet effort est difficile et parfois incompris ». Mais il aura sans doute provoqué une certaine stupéfaction chez certains sénateurs en poursuivant : « Aussi ai-je souhaité que les moyens alloués aux collectivités maintiennent une trajectoire de hausse en 2026. » Le Premier ministre, depuis sa nomination, dit souvent que son poste demande du « courage » – mais ce qu’il montre ici, c’est surtout qu’il ne manque pas d’audace. Affirmer que le budget 2026 permet de « maintenir une trajectoire de hausse » sur « les moyens alloués aux collectivités » est en effet une contre-vérité absolue – quand le projet de loi de finances annonce une DGF gelée, c’est-à-dire diminuée si l'on tient compte de l'inflation, un Dilico doublé, un Fonds vert réduit à la portion congrue, et un effort financier demandé aux collectivités que la ministre du Budget elle-même chiffre à 4,6 milliards d’euros, ce qui est certainement très sous-estimé.
Détail cocasse : le Premier ministre a ensuite affirmé qu’il fallait de « la confiance pour réussir l’acte de décentralisation ». Il n’est pas forcément intuitif de faire « confiance » à un exécutif qui prétend qu’il augmente les moyens quand il les diminue.
Décentralisation et finances
Sébastien Lecornu s’est montré, devant le Sénat, plus disert qu’à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de décentralisation qu’il compte présenter prochainement. Notons que devant les députés, le Premier ministre a parlé d’un dépôt de ce projet de loi « en décembre ». Devant les sénateurs, plus prudents, il a évoqué un dépôt « avant les élections municipales ». Ce projet de loi n’aura pas pour but « de faire plaisir aux élus locaux », a-t-il précisé, mais « d’agir dans une logique de responsabilité et de proximité ».
Sur le contenu de « l’acte de décentralisation », le Premier ministre a, là encore, donné un éclairage légèrement différent de ce qu’il avait déclaré précédemment, en faisant intervenir un argument budgétaire pour justifier de cette nouvelle décentralisation. Dans le contexte actuel, a expliqué Sébastien Lecornu, les missions régaliennes (« police, sécurité, justice, relations internationales, défense » ) vont mobiliser de plus en plus de moyens : les budgets alloués à ces missions « ont augmenté depuis 2017 et continuent d’augmenter ». Et d’ajouter : « Pour le reste, il faudra se réorganiser. » On entend ici une musique un peu nouvelle, par rapport aux précédentes déclarations du Premier ministre sur les raisons de sa volonté décentralisatrice, qui ne parlait que « efficacité » et « proximité » : face à des difficultés budgétaires croissantes, l’augmentation du budget des missions régaliennes de l’État ne pourra se faire, comprend-on, qu’au prix du transfert d’autres compétences aux collectivités.
Ainsi, « des missions aujourd’hui assumées par l’État pourront être prises en charge au niveau local », a-t-il poursuivi. Revenant au discours qu’il tient depuis début septembre, il a répété que « la question sera d’identifier une bonne fois pour toutes qui est responsable de quoi. Il faut un seul responsable par politique publique - ministre, préfet ou élu. »
Mais là encore, le discours diffère plus qu’un peu de ce qui avait été dit la veille à l’Assemblée nationale. Au Palais-Bourbon, Sébastien Lecornu avait déclaré : « Il ne faut pas décentraliser des compétences, il faut décentraliser des responsabilités. » Devant les sénateurs : « Il ne s’agira pas seulement de décentraliser des compétences, il faudra décentraliser des responsabilités. » Les intentions du chef du gouvernement semblent donc un peu incertaines en la matière. Il a néanmoins promis de transférer aussi « des libertés, y compris normatives, le tout avec des moyens ». « Il faut donner aux élus les moyens d’exercer leurs responsabilités. Nous le ferons. »
« Aucune fermeture d’hôpital en 2026 »
Le Premier ministre a également donné quelques précisions supplémentaires sur ses intentions en matière de santé : « Nous ne devons pas attendre la prochaine élection présidentielle pour lutter contre les déserts médicaux. » Il a répété sa volonté d’ouvrir « des maisons France Santé partout en France » et de permettre à chaque Français « d’avoir un rendez-vous chez une médecin en moins de 48 heures à moins de 30 mn de son domicile ». Deux engagements nouveaux ont été annoncés : une réforme de la loi concernant l’ouverture des pharmacies d’officine, qui sera « facilitée dans les communes de moins de 2 500 habitants ». Et il n’y aura, par ailleurs, « aucune fermeture d’hôpital en 2026 ». Une promesse dont les élus surveilleront de près le respect.
Sur la ruralité, le Premier ministre a pointé une « urgence pour nos campagnes », qui sont « des territoires d’avenir ». Michel Fournier, l’ancien président de l’AMRF devenu ministre chargé de la Ruralité, « aura pour mission de développer toutes les formules itinérantes de services publics et de commerces de proximité. Il devra aussi garantir un accompagnement adapté des collectivités rurales les plus fragiles ».
Piège
Enfin, devant un Sénat majoritairement de droite et donc hostile à la suspension de la réforme des retraites, Sébastien Lecornu s’est défendu de tout « recul » : « Suspendre n’est pas renoncer, suspendre n’a d’intérêt que si c’est pour avancer. » Il a évoqué la « grande conférence sur les retraites » qu’il va convoquer en précisant que tous les sujets y seront ouverts, y compris la retraite par capitalisation, provoquant un mouvement de protestation sur les bancs de gauche du Sénat.
C’est à la fin de la séance, en répondant aux différentes interventions des groupes politiques, que Sébastien Lecornu a enfin lâché un détail d’importance sur la manière dont la suspension de la réforme des retraites va s’effectuer : ce sera par un amendement du gouvernement au PLFSS (projet de loi de finances de la Sécurité sociale), ce qui est, dit-il, le seul moyen pour que la mesure prenne effet au 1er janvier 2026.
Le piège est habile : en glissant la suspension dans le PFFS plutôt que dans un texte ad hoc, le Premier ministre veut forcer le PS, qui a réclamé cette mesure… à voter l’ensemble du PLFSS, faute de quoi, la mesure ne prendra pas effet. Or ce texte contiendra, on le sait déjà, de nombreuses mesures auxquelles la gauche est foncièrement hostile, comme le gel des pensions et des prestations sociales ou la diminution d’un certain nombre de remboursements aux patients.
Le sort du gouvernement se jouera donc peut-être à la fin du débat budgétaire, lorsque les socialistes devront choisir entre voter un PLFSS auquel ils sont globalement opposés pour sauver la suspension de la réforme des retraites… ou renoncer à ce qu’ils considèrent comme une victoire et censurer le gouvernement. À moins que d’ici là les oppositions aient réussi à détricoter entièrement le PLF et le PLFSS, ce qu’elles ont bien l’intention d’essayer de faire.
En fin de matinée, la motion de censure déposée par LFI a été rejetée, après avoir recueilli 271 voix, soit 18 de moins que la majorité absolue. Le gouvernement est donc maintenu, et durera, sauf coup de théâtre, au moins jusqu'à la fin du débat budgétaire.
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