Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 16 juillet 2025
Budget de l'état

Comment François Bayrou espère économiser « 43,8 milliards » d'euros dès 2026

Le Premier ministre a présenté hier son plan pour redresser les finances publiques et relancer la production. Au-delà des mesures concernant directement les collectivités, détaillées dans un autre article, de nombreux secteurs seront touchés par les décisions du gouvernement… si celui-ci a les moyens de les mettre en œuvre cet automne. 

Par Franck Lemarc

« Notre pronostic vital en tant que Nation est engagé. »  Le Premier ministre a clairement choisi le ton de la dramatisation, hier, lors de la conférence de presse pendant laquelle il a présenté ses grandes orientations en matière budgétaire – devant un mur floqué d’un large slogan « Le moment de vérité » . François Bayrou a d’ailleurs entamé son discours en expliquant que le moment était historique et que ce discours – et les décisions qui en découleront – constitue un point de bascule pour le pays. 

« Dernière étape avant la falaise » 

La première partie du discours de François Bayrou a été consacrée à décrire une situation budgétaire assimilée à une « malédiction »  : la France, a détaillé le Premier ministre, a un budget « en déficit depuis 50 ans » . De cette situation, « on s’accommode, et puis elle vous rattrape » : « Cela s’appelle le surendettement » . Multipliant les formules alarmistes (le pays est « à la dernière station avant la falaise » ), François Bayrou a rappelé la crise qui a frappé la Grèce en 2015, lors de laquelle le gouvernement d’Alexis Tsipras, terrassé par le surendettement, avait dû se résoudre à accepter un plan d’austérité sans précédent, qui s’était notamment traduit, a indiqué François Bayrou, par une baisse de 30 % des retraites et de 15 % du salaire des fonctionnaires. « C’est tout ce que nous ne voulons pas » , a martelé le Premier ministre.

Son plan consiste donc à sortir le pays de son accoutumance à la dépense publique, (« nous sommes accro à la dépense publique », estime le chef du gouvernement, « nous considérons comme normal que l’État paye tout » ). Avec une trajectoire : ramener le déficit à 2,8 % du PIB en 2029. Pour cela, comme le gouvernement dit depuis plusieurs mois qu’il faudra commencer par faire 40 milliards d’euros d’économie sur le prochain budget. Hier, en tenant compte des annonces faites par le président de la République devant les armées le 13 juillet, François Bayrou a fait passer ce chiffre à « 43,8 milliards » , puisqu’une rallonge budgétaire supplémentaire de 3,8 milliards d’euros dès cette année sera consacrée aux dépenses militaires. 

Le plan de François Bayrou est constitué de deux volets : diminuer les dépenses et augmenter les recettes. La première partie est baptisée « Stop à la dette ! » , la deuxième « En avant la production ! ».

Réduction du train de vie de l’État 

« Tout le monde doit participer »  au redressement des comptes publics, a encore répété le chef du gouvernement, tout en ajoutant aussitôt que « la productivité des entreprises doit être épargnée ». 

L’État sera le premier à « donner l’exemple » , en « diminuant ses charges »  et en « réduisant son train de vie »  : 3 000 emplois publics seront supprimés dès 2026 avec le « non-remplacement d’un départ en retraite sur trois » . Le gouvernement va également créer une agence foncière pour gérer son patrimoine immobilier et le rendre « productif ». Il compte supprimer les agences « improductives »  – sans dire lesquelles –, espérant supprimer en cela « 1 000 à 1 500 emplois supplémentaires. » 

Il n’y aura cette année aucune revalorisation du point d’indice pour les fonctionnaires, a annoncé le Premier ministre. Plus globalement, concernant les dépenses de l’État, tous les ministères seront appelés à ne pas dépenser plus en 2026 qu’en 2025, à deux exceptions près : la charge de la dette et le budget des armées. C’est l’un des aspects les plus fragiles du plan gouvernemental : ces deux postes, en effet, pourraient augmenter l’an prochain bien plus vite que prévu, le premier du fait de la hausse des taux d’intérêts et le second du fait des tensions géopolitiques croissantes. 

5 milliards d’euros sur les dépenses de santé

Le gouvernement entend faire des économies supplémentaires en « responsabilisant les patients »  – ce qui, en jargon gouvernemental, signifie réduire le niveau de remboursement.  Le gouvernement propose notamment un doublement de la franchise sur les médicaments, qui passerait de 50 à 100 euros par an. François Bayrou a également annoncé une « réforme en profondeur de la prise en charge des affections longue durée (ALD) » , avec notamment la fin de la prise en charge à 100 % des médicaments « non directement liés à l’affection »  ; et une réforme des arrêts maladie, estimant que « 50 % des arrêts maladie de plus de 18 mois ne sont pas justifiés ». 

Quant aux prestations sociales, elles seront bien gelées en 2026, comme l’avait suggéré notamment le président du Sénat, Gérard Larcher. Les pensions de retraite, allocations chômages, allocations familiales et toutes les autres aides sociales ne seront pas revalorisées l’an prochain. Le Premier ministre a jugé que cette mesure ne serait pas trop douloureuse dans la mesure où l’inflation est aujourd’hui « maîtrisée ». Sauf que, au vu des négociations actuelles particulièrement tendues sur les droits de douane, nul ne peut affirmer que l’inflation ne va pas, très vite, repartir à la hausse. 

Hausses d’impôts déguisées

Bien que le gouvernement ait juré que le redressement des comptes publics ne se ferait pas à coups de hausses d’impôts, certaines mesures annoncées hier y ressemblent pourtant. 

D’abord, la « chasse aux niches fiscales »  annoncée par François Bayrou. Même si aucun détail n’a été donné, la suppression de certaines niches fiscales revient, de facto, à augmenter les impôts de ceux qui en bénéficiaient. Ensuite, le gel des barèmes de l’impôt sur le revenu (IR) : rappelons qu’en général, chaque début d’année, le gouvernement relève légèrement les barèmes de cet impôt, de façon que ceux qui ont connu une hausse de salaire dans l’année, pour compenser l’inflation, ne soient pas condamnés à changer automatiquement de tranche d’imposition… voire à devenir imposables alors qu’ils ne l’étaient pas. On se rappelle qu’en ce début d’année 2025, alors que le budget n’était pas voté, l’absence de revalorisation des barèmes de l’IR avait fait craindre que 600 000 personnes jusque-là non imposables deviennent imposables. Ce gel du barème est donc bien une augmentation d’impôts qui ne dit pas son nom.

C’est également le cas de la réforme de l’abattement de 10 % sur l’impôt sur le revenu des retraités. Sans être très précis, le Premier ministre a simplement annoncé que ce pourcentage allait être remplacé par « un forfait » , ce qui devrait, selon lui, moins pénaliser les petites retraites. 

Enfin, pour les plus aisés, une « contribution de solidarité »  va être créée. On n’en sait pas plus pour l’instant ni sur son montant, ni sur son assiette.

« En avant la production ! » 

Deuxième partie du plan : augmenter la production. La logique du gouvernement est simple : l’autre manière de diminuer, relativement, la part du déficit dans le produit national brut, c’est d’augmenter celui-ci. François Bayrou entend « combattre le désenchantement face au travail » … avec des mesures qui risquent de ne pas enchanter les salariés, à commencer par la suppression de deux jours fériés – « peut-être »  le lundi de Pâques et le 8-Mai, même si le Premier ministre se dit ouvert à d’autres propositions. 

Il ne s’agit pas ici de reproduire ce qui avait été fait pour le lundi de Pentecôte en 2004 : une « journée de solidarité » , à l’occasion de laquelle l’employeur verse à l’Urssaf une cotisation de 0,3 % de la masse salariale, en échange de l’équivalent d’une journée supplémentaire travaillée en plus pour chaque salarié… ou pas, si un accord passé dans l’entreprise en décide autrement. 

Ici, la logique est autre : il s’agira de rayer tout simplement deux jours fériés du calendrier, qui deviendront des jours travaillés comme les autres. Ce qui, il faut le préciser, ne rapportera pas un centime de plus à l’État, mais aux seules entreprises. 

Le Premier ministre a par ailleurs annoncé une nouvelle réforme de l’assurance chômage – il pourrait s’agir de la réactivation de la proposition de loi de Gabriel Attal, abandonnée après la dissolution de 2024, et qui visait à réduire fortement la durée d’allocation pour les chômeurs. 

Le gouvernement propose également un deal aux entreprises : diminuer les soutiens financiers accordés par l’État en échange d’une « simplification »  et d’une « diminution des normes et de la bureaucratie » . Dès cet été, les organisations patronales seront appelées à « dresser la liste de toutes les simplifications souhaitables » , et le Premier ministre s’engage à les faire passer « dès l’automne » , par ordonnance, c’est-à-dire en laissant le  Parlement largement à l'écart. On peut penser qu’il s’agira d’un mouvement semblable aux « ordonnances Macron »  de 2017, qui avaient très largement réformé le Code du travail dans un sens plutôt favorables aux entreprises, à l’époque déjà au nom de la « liberté » . On ignore ce que seront les demandes du patronat, mais le Premier ministre a dit hier sa volonté à « ce qu’il n’y ait plus aucun frein à travailler plus » . La ministre chargée du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, est allée dans le même sens, parlant d’un objectif « d’incitation à augmenter le temps de travail », par exemple en monétisant la cinquième semaine de congés payés ; ou encore de « donner la possibilité de décider au niveau des entreprises »  un certain nombre de règles sur l’emploi des contrats à durée déterminée. 

Parmi les autres mesures censées relancer la production, François Bayrou a proposé une « taxe sur les petits colis » , afin d’inciter les Français à retourner dans les commerces physiques. Il a appelé à « innover »  sur la question de la commande publique, en réformant l’Ugap (la centrale d’achat public), « en assouplissant le cadre et en luttant contre les lenteurs et les surcoûts » . Il souhaite – ce qui est un vieux serpent de mer depuis des années – introduire « des critères de contenu local »  dans les marchés publics, ce qui, à l’heure actuelle, contrevient aux règles européennes. 

« Qu’importe le risque » 

Reste la question essentielle : le gouvernement de François Bayrou a-t-il la capacité de faire adopter ces mesures par le Parlement, lors du débat budgétaire de l’automne prochain, et surtout de ne pas être renversé ? Les réactions qui se succèdent depuis hier n’ont pas de raison de rendre François Bayrou optimiste à ce sujet : les seules formations politiques qui ont clairement soutenu le plan présenté hier sont celles du « bloc central »  (Renaissance, MoDem et Horizons) et les Républicains – ces derniers avec, toutefois, d’importantes nuances. Cela ne saurait suffire à constituer une majorité à l’Assemblée nationale. 

Les partis de gauche et le RN sont, eux, tombés à bras raccourcis sur le gouvernement, se succédant sur les plateaux pour affirmer que non seulement ils ne voteraient pas pour un tel budget – ce qui n’est pas d’importance majeure puisque cela fait bien des années que les budgets sont adoptés à coups de 49-3 – mais, plus grave, qu’ils voteraient la censure sur un tel budget. Rappelons qu’une coalition des partis de feu la Nupes (PS-PCF-LFI et Écologistes) et du RN représente 315 voix à l’Assemblée, soit plus que la majorité absolue. 

En l’état actuel des choses, le projet de budget présenté par François Bayrou conduirait donc à ce que le Premier ministre subisse le même sort que son prédécesseur Michel Barnier. François Bayrou s’est dit décidé, hier, à aller jusqu’au bout et à ne pas céder sur ses fondamentaux. Avec une certaine franchise, il a ainsi conclu son allocution, hier : « Y a-t-il des risques pour le gouvernement ? La réponse est : il n’y a que des risques. Le gouvernement n’a pas de majorité, il arrive même que ses soutiens ne soient pas totalement convaincus. (…) Le gouvernement sait parfaitement qu’il est à la merci des oppositions. Mais il a le devoir de renverser les obstacles. Il n’a aucune autre préoccupation : il ne cherche pas à se préserver, il ne cherche pas à durer. Il veut changer les choses, et qu’importe le risque. » 

Il reste à savoir quelle est la part de bluff dans ces déclarations du Premier ministre, qui a mis la barre très haut, peut-être pour se donner des marges de manœuvre pour faire des concessions. L'avenir le dira : le temps des négociations est maintenant ouvert, et il durera tout l'été. 

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