Biodiversité: l'État condamné sur l'utilisation des pesticides dans une décision « historique »
Par Julien Mivielle (AFP)
Dans une décision très attendue rendue jeudi dans le dossier dit « Justice pour le vivant », le tribunal administratif de Paris a donné à l’État jusqu’au 30 juin 2024 au plus tard pour mieux respecter ses trajectoires de baisse de l’utilisation des pesticides et protéger les eaux.
« L’État a commis deux fautes, en méconnaissant d’une part les objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques et, d’autre part, l’obligation de protection des eaux souterraines », estime le tribunal, saisi par plusieurs ONG. « Le préjudice écologique présente un lien direct et certain avec ces fautes », estime-t-il.
Le tribunal « enjoint au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique, prévenir l’aggravation des dommages en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto et de nature à restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques ».
Depuis le Grenelle de l’environnement fin 2007, qui avait fixé un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en 10 ans, les deux plans successifs mis en œuvre, Ecophyto 1 et 2, ont en effet abouti à des échecs. L’État avait fait valoir que ces plans avaient « une valeur programmatique et ne sauraient avoir une portée contraignante ». Mais lors d’une audience début juin, la rapporteure publique avait au contraire estimé que le législateur avait « entendu donner une portée normative au plan Ecophyto ».
Le gouvernement « se réserve le droit de faire appel » et « note toutefois que le jugement ne retient pas la plupart des griefs qui lui sont reprochés », a indiqué le ministère de l’Agriculture dans une déclaration transmise à l’AFP.
« Une vraie victoire »
Cinq ONG de défense de l’environnement (Pollinis, Notre Affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds et ASPAS) avaient déposé le recours. « L’État est enfin reconnu coupable de l’effondrement de la biodiversité », ont salué jeudi les associations dans un communiqué commun. « Il s’agit d’une première étape indispensable pour enrayer l’extinction en cours », selon elles.
« On considère que c’est une vraie victoire, une décision historique », a estimé auprès de l’AFP Cécile Barbière, de l’ONG Pollinis. « D’un point de vue politique, on attend de la part de l’État qu’il se saisisse de ce jugement historique », a-t-elle souligné. « Cette décision arrive à un moment crucial », ajoute Justine Ripoll, de Notre Affaire à Tous, alors que des décisions sont prochainement attendues, notamment avec une loi d’orientation agricole à l’automne. « On utilisera cette décision pour mettre la pression au maximum », promet-elle.
Ces 30 dernières années en Europe, les populations d’insectes volants ont diminué de 75 % et les populations d’oiseaux des champs ont chuté de 30 % en France, selon des études citées par les ONG. Mi-mai, des scientifiques ont publié une étude soulignant l’intensification de l’agriculture comme principale cause du spectaculaire déclin des oiseaux en Europe, qui sont quelque 20 millions à disparaître en moyenne chaque année.
Le dossier fait suite à d’autres affaires dans lesquelles l’État a déjà été condamné, sur son action climatique et pour la pollution de l’air.
Les ONG n’ont toutefois pas obtenu que l’État soit forcé à revoir ses procédures d’évaluation des risques et d’autorisations de mise sur le marché des pesticides, qu’elles jugeaient « lacunaires », et dont elles faisaient le point majeur de leur argumentation.
Sur ce point, le tribunal « reconnaît des carences fautives de l’État au regard du principe de précaution » mais a « néanmoins considéré que le lien de causalité entre ces insuffisances et le préjudice écologique reconnu n’était pas certain ».
Les associations indiquent dans leur communiqué qu’elles « feront appel devant la Cour administrative d’appel de Paris, et introduiront, en parallèle, un nouveau recours devant le Conseil d’État » sur ce point, pour excès de pouvoir.
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