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Édition du mardi 24 mai 2022
Précarité

Bidonvilles : un collectif associatif réclame une loi contraignante « pour sortir de l'impuissance »

Malgré la volonté affichée par le précédent gouvernement de résorber les bidonvilles, la situation se serait aggravée avec plus de 22 000 personnes qui subsistent dorénavant dans ces lieux de vie informels - dont de plus en plus de non-Européens. Le collectif associatif Romeurope réclame une « loi contraignante » dès 2023.

Par A.W.

Quatre ans après avoir annoncé sa volonté de donner « une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles »  et de réduire de manière durable le nombre de personnes y vivant, le gouvernement n’est finalement pas parvenu à atteindre ses objectifs. 

C'est le « constat sans appel »  fait par le Collectif national des droits de l’homme (CNDH) Romeurope, qui regroupe une cinquantaine d’associations et de collectifs locaux de défense des habitants de squats et de bidonvilles, dans son rapport annuel paru la semaine passée.

Au moins 22 000 personnes recensées en 2021

La situation semble même s’être aggravée. Alors que la France comptait, il y a quatre ans, près de 570 bidonvilles où subsistaient 16 000 personnes – « pour une grande partie d’entre elles ressortissantes roumaines et bulgares », selon l’instruction du 25 janvier 2018 – , elles étaient, en 2021, au moins 22 189 (dont près de 6 000 mineurs) à vivre dans l’un des 439 lieux de vie informels recensés par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Parmi elles, 12 342 étaient des ressortissants de l’Union européenne.

Et encore, cette estimation serait bien en-deçà de la réalité – « au moins 30 000 personnes »  pourraient habiter des lieux informels dans l’Hexagone, selon les associations de terrain – puisque « ce chiffre ne comptabilise pas les milliers d’exilés à Calais et Grande-Synthe qui vivent dans baraques et tentes, et encore moins la présence importante de bidonvilles dans les Outre-mer », pointent les auteurs du rapport. « Les statistiques de la Dihal ont été construites autour des citoyens de l’Union européenne »  et sont donc « largement sous-évaluées », soulignent-ils en rappelant qu’elles ne considèrent pas certains territoires français comme Mayotte et la Guyane, dont « les populations sont de facto invisibilisées ».

Une instruction « piétinée par certaines préfectures » 

Si le collectif salue « l’avancée »  que représente l’instruction du 25 janvier 2018 qui a « l’utilité de donner un cadre d’action à la politique de résorption des lieux de vie informels », il regrette son caractère non contraignant et une application « hétérogène », « ponctuelle »  voire « très partielle sur les territoires, quand elle n’a pas été piétinée par certaines préfectures ». 

Et si l’instruction a bien été signée par huit ministères, l’action du ministère de l’Intérieur s’est révélée en « directe contradiction »  avec les objectifs contenus dans celle-ci, selon les auteurs du rapport qui énumèrent : « Expulsions en dehors de tout cadre légal et en l’absence de diagnostic social, absence de solutions alternatives de relogement ou d’hébergement, distribution collective d’obligation de quitter le territoire français pour forcer une "auto-expulsion" des personnes, etc. » 

Ainsi, entre le 1er novembre 2020 et le 31 octobre 2021, 1 330 lieux de vie informels ont été expulsés en France métropolitaine, et « dans l’immense majorité des cas, la plupart des habitants ne se sont vus proposer aucune solution d’accompagnement », selon Romeurope.

« Les quelques avancées constatées sur certains territoires sont presque invisibles au regard des échecs et du laisser-faire », s’agace le collectif qui pointe le « manque de volonté politique ». 

45 % des personnes non ressortissantes de l’UE

D’autant que la loi ne s’applique qu’aux citoyens de l’Union européenne (UE). Or, leur proportion ne cesse de diminuer ces dernières années, « de plus en plus »  d’habitants de bidonvilles étant des ressortissants extracommunautaires.

En 2021, les citoyens de l’UE ne représentaient plus que 55 % des personnes vivant dans des bidonvilles, les 45 % restants étant des ressortissants non membres de l’Union venant du Moyen-Orient, des Balkans ou encore d’Afrique subsaharienne. 

Ce prisme très européen n’est ainsi « plus en phase avec la réalité de terrain »  et a pour conséquence de creuser « un fossé »  dans l’accueil des personnes étrangères. Pour cette raison, Romeurope réclame donc de « changer de paradigme »  et d’appliquer la politique de résorption des bidonvilles de « manière uniforme sur tout le territoire français ». Un changement qui permettrait d'apporter « une solution globale »  aux « exilés de Calais qui vivent dans une tente et se font expulser tous les jours par la police », les « déboutés du droit d’asile qui vivent en squat à Marseille », mais aussi les « personnes à Mayotte qui subissent des "décasages" réguliers »  ou encore les « enfants vivant dans des lieux de vie informels qui se font expulser pendant l’année scolaire ».

Plus d'obligations et de moyens

Profitant de l’ouverture de la campagne des élections législatives, le collectif interpelle ainsi le gouvernement et les (futurs) parlementaires pour qu’ils passent « à la vitesse supérieure ». « La question de la résorption des squats et des bidonvilles doit faire l’objet d’une loi et d’un débat parlementaire », souligne la présidente du collectif associatif, Claire Sabah, qui défend l’adoption d’une « loi contraignante »  et, ce, « dès 2023 » , pour « sortir de l’impuissance ».

Les membres de Romeurope souhaitent, d’abord, que le « caractère partenarial »  de la politique de résorption des bidonvilles soit rendu contraignant : « Une liste nominative des structures susceptibles d’intégrer des « comités locaux de résorption »  pourrait être définie par la loi »  telles que « l’État, les villes, les intercommunalités mais aussi départements et régions, services déconcentrés de l’État, et enfin (et surtout) associations et les habitants des différents sites concernés ».

Ils veulent également « obliger l’État à impulser des stratégies [départementales] de résorption sur tous les territoires concernés »  car sur les 23 départements qui ont reçu des financements de la Dihal en 2020, seuls cinq avaient une feuille de route, c’est-à-dire une stratégie de résorption signée par les collectivités et l’État, regrettent-ils.

Le collectif demande de rendre obligatoire, en outre, la réalisation d’un diagnostic social global « dès l’installation d’un nouveau lieu de vie », d’« interdire toute expulsion de squats, terrains et bidonvilles mise en œuvre sans solution digne, adaptée et pérenne pour leurs habitants », ainsi que d’améliorer les conditions de vie dans ces lieux de vie informels.

Enfin, il souhaite « plus de crédits ». Des moyens qui demeurent encore « bien trop modestes »  au regard des besoins, bien que l’enveloppe consacrée à cette politique ait presque triplée en cinq ans et soit passée à 8 millions d’euros en 2020.

Reste que le collectif ne souhaite pas une « éradication »  des bidonvilles « à marche forcée », malgré leur insalubrité et dangerosité. Celle-ci ne serait « pas possible ni souhaitable quand on considère les situations sociales et économiques des personnes qui y vivent ». C’est pourquoi Romeurope privilégie « une approche globale »  qui impliquerait le « rattachement »  de la question des bidonvilles au plus grand ensemble qu’est « la lutte contre l’habitat indigne », dans le cadre d’une « grande loi »  sur le logement.

Télécharger le rapport.
 

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