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Édition du lundi 13 mai 2024
Culture

Bâches publicitaires sur les bâtiments publics : vers une extension des dérogations ?

Deux députés ont déposé une proposition de loi visant à « faciliter le recours à des bâches publicitaires » pour financer les travaux au sein des monuments culturels. Il s'agit d'une reprise d'une disposition de la loi de finances pour 2024, censurée par le Conseil constitutionnel.

Par Franck Lemarc

Dans le projet de loi de finances pour 2024, tel qu’il a été adopté le 21 décembre 2023, un article permettait, par dérogation au Code de l’environnement et sur décision du conseil municipal, « l’installation de bâches d’échafaudage comportant un espace réservé à l’affichage »  sur un certain nombre de bâtiments « à usage culturel », sur les musées ou les théâtres. Les recettes perçues étant affectées « au financement des travaux »  ou « de la rénovation énergétique »  de l’immeuble en question. 

Cette disposition a été supprimée par le Conseil constitutionnel, qui a estimé qu’elle n’avait pas sa place dans une loi de finances. 

Complexité du droit actuel

La mesure revient donc devant le Parlement sous la forme d’une proposition de loi co-signée par un député Renaissance (Alexandre Holroyd) et une députée LR (Véronique Louwagie). 

La question est éminemment complexe. Depuis 2007, il a été introduit dans le Code du patrimoine la possibilité d’installer de telles bâches publicitaires sur les édifices culturels classés monuments historiques (article L621-29-8 du Code du patrimoine). C’est ce qui a permis, par exemple, la pose de telles bâches pour financer les travaux sur l’opéra Garnier à Paris, l’Hôtel de la Marine ou le palais de la Bourse de Bordeaux. Le produit de cette opération est conséquent : les bâches installées sur l’opéra Garnier, par exemple, auront permis de récolter quelque 23 millions d’euros sur cinq ans. 

Mais en l’état, la loi ne permet pas en revanche de faire systématiquement la même opération sur des édifices culturels qui ne sont pas classés. Ainsi, l’opéra Bastille, à Paris, n’a pas le droit d’installer des bâches publicitaires pour financer ses travaux de rénovation, pas plus que les institutions culturelles bâties dans les années 1980 dans le cadre de la décentralisation culturelle.

Pour les bâtiments non classés en effet, les règles sont celles non du Code du patrimoine mais du Code de l’environnement, et elles sont extrêmement compliquées : la publicité est interdite dans les zones de protection autour des sites classés et dans les secteurs sauvegardés, ou encore « à moins de 100 m et dans le champ de visibilité des immeubles classés parmi les monuments historiques ». Ce qui ne manque pas de saveur : l’usage des bâches publicitaires est donc autorisé sur les bâtiments classés eux-mêmes… mais pas sur des bâtiments non classés situés dans le « champ de visibilité »  de ceux-ci !

D’autres difficultés se posent, selon les auteurs de la proposition de loi. La dérogation inscrite dans le Code du patrimoine permet de financer, grâce aux revenus publicitaires, « les travaux de restauration », mais pas les travaux de rénovation énergétique (ni ceux de mise en accessibilité). 

Par ailleurs, les deux députés remarquent qu’en l’état actuel du droit, la bâche publicitaire « ne peut être posée que sur l’immeuble directement concerné par les travaux ». Or certains de ces bâtiments ne sont pas visibles depuis la rue, ce qui découragera évidemment les entreprises d’y apposer une bâche publicitaire. 

Changement de pied du gouvernement ?

C’est pour lever toutes ces « difficultés »  que les deux députés ont déposé leur proposition de loi.

Ce texte est composé de deux articles. Le premier concerne les bâtiments classés. Il dispose explicitement que la pose de bâches publicitaires peut être autorisée pour financer « les travaux intérieurs ou extérieurs de rénovation énergétique ». Par ailleurs, cet article 1 permettrait la pose de bâches publicitaires non sur l’immeuble concerné, s’il n’est pas visible de la rue, mais également « sur un immeuble classé ou inscrit adjacent partageant le même usage ». 

Le deuxième article concerne les immeubles non classés. Par dérogation, si nécessaire, au règlement local de publicité, sur décision du conseil municipal ou du ministre de la Culture, l’installation de bâches publicitaires pourrait être autorisée dans les cas suivants : immeubles à usage culturel « bénéficiant du label architecture contemporaine remarquable (…) ou de l’appellation musée de France », ou encore immeubles bénéficiant d’un label ou d’un conventionnement pour la création artistique dans le domaine du spectacle vivant ou des arts plastiques. 

Là encore, l’autorisation pourrait être donnée y compris pour le financement des travaux de rénovation énergétique. 

Il reste à savoir ce que sera la position du gouvernement sur ces propositions. Il y a un an, le ministère de la Culture n’y était pas favorable : dans une réponse à une question écrite du même député Holroyd, il avait répondu qu’un élargissement des dérogations n’était pas souhaitable, dans la mesure où « il aurait pour effet de porter atteinte de manière excessive au principe d'interdiction de l'affichage publicitaire ». Mais quelques mois plus tard, dans la loi de finances pour 2024, une mesure à peu près similaire était introduite… ce qui laisse à penser que, si le ministère de la Culture n’est pas favorable à ce qui ressemble à une extension de la « pollution publicitaire », Bercy y voit, en revanche, bien des avantages, puisque cela permettrait de faire financer la rénovation de bâtiments publics par des fonds privés, donc sans égratigner le budget de l’État.

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