Augmenter et moduler le prix de l'eau pour financer le coût exponentiel de sa gestion
Par Emmanuel Guillemain d'Echon
Le problème n’est pas nouveau mais il ne fait qu’empirer : selon une étude de l’Institut national des études territoriales (Inet), copilotée par l’Agence France locale et le Cerema, le bloc communal fait face à un véritable « mur d’investissement » dû au sous-investissement chronique sur les réseaux d’eau potable et d’assainissement : entre 4 et 8 milliards d’euros selon les estimations.
Au rythme actuel de renouvellement, il faudrait respectivement 150 et 250 ans pour un renouvellement complet ! Il manquerait 3,2 milliards pour les infrastructures d’eau potable et d’assainissement collectif, selon le ministère de la Transition écologique (chiffre de 2020), et plus d’un milliard pour les réseaux d’eau pluviale, selon l’Union des industriels de l’eau. Le chiffre de 8 milliards est dépassé « si l’on valorise les externalités négatives sur l’environnement liées à ce manque d’investissement » : traitement des micropolluants, dommage sur les milieux aquatiques…
Une tarification plus élevée, sociale ou saisonnière
Pour les auteurs, qui explorent toutes les pistes, depuis une mutualisation de la gestion au niveau des bassins versants, jusqu’aux marchés de performance énergétique, on ne pourra pas faire l’économie à terme de l’augmentation du prix de l’eau pour l’usager.
Les auteurs s’attachent ensuite à comparer les avantages et inconvénients d’une tarification éco-solidaire, comme elle a été expérimentée depuis 2013 dans une cinquantaine de collectivités, et dont le CESE a exploré les limites dans un récent rapport (lire Maire info du 5 décembre 2023), évoquant notamment sa complexité et son aspect potentiellement injuste pour les familles nombreuses et précaires. Pour l’Inet, sa réussite passe nécessairement par la participation des usagers et l’échange de données avec les acteurs sociaux, notamment la CNAF « qui n’est pas proactive s’agissant du transfert de données sociales ».
Ce n’est pas la seule piste de modulation avancée par l’étude, qui propose aussi une tarification intégrant le coût des usages, où « la consommation d’eau pour certaines activités de loisirs (golfs, piscine individuelle, parc aquatique, station de ski) serait taxée plus fortement », une partie de cette taxe étant redistribuée pour « financer l’accompagnement au changement de ces secteurs économiques » . Cette taxe liée au « coût eau » de fabrication des produits, sur le modèle de la taxe carbone, doit cependant d’abord être validée au niveau gouvernemental.
La tarification fondée sur la saisonnalité a déjà été mise en œuvre à Grasse (Alpes-Maritime) et est sans doute une option très intéressante pour les communes touristiques ou celles connaissant des périodes de pénurie. Concrètement, il s’agit de faire payer l’eau plus cher en été. Il faut cependant veiller à ne pas avoir un impact négatif sur les ménages les plus précaires concernant leurs besoins essentiels.
Des moyens sous-mobilisés
Enfin, sans créer de nouvelles taxes, l’étude rappelle que la moitié des EPCI ne prélève pas la taxe GEMAPI, créée en 2014, plafonnée à 40 euros par an et par habitant. Or, elle est censée financer des projets liés au grand cycle de l’eau qui ont un impact direct sur sa disponibilité.
Parmi les autres sources de financement souffrant d'un non-recours important, les aides de l'agence de l'eau, qui, reconnaît l'étude, souffrent d'une « lourdeur administrative » et offrent souvent des « montants insuffisamment élevés » . Il y a aussi les fonds européens et notamment le FEADER, deuxième pilier de la PAC, « trop peu utilisés par les collectivités rurales françaises », et en particulier le « dispositif 206 FEADER sur les aides aux infrastructures hydrauliques », qui aide à la modernisation des réseaux d'irrigation agricoles, au recyclage des eaux ou encore au stockage de la ressource. L'étude reconnaît cependant que la gestion de ces fonds reste complexe, notamment depuis la régionalisation.
Il y a enfin le Fonds vert, qui, lui, est parfaitement identifié par les collectivités : comme l’a précisé le ministère de la Transition écologique, 1 871 dossiers déposés à la fin de l’année dernière sur les dossiers renaturation/désimperméabilisation, pour une somme de 718 millions d’euros, sur une enveloppe de 100 millions allouée. Sans oublier le « Plan France nation verte » et son fonds « Investissement pour la qualite des eaux et Re-UTE : eau potable, épuration, eaux de process industriel » , porte par la Banque des territoires pour aider les collectivites a construire ou exploiter des dispositifs de REUT.
Toutes démarches qui nécessitent de l’ingénierie. L’étude liste les possibilités les plus récentes pour les mobiliser, notamment dans les petites communes, comme le nouveau réseau de proximité de la DGFIP, qui offre le concours gratuit de « conseillers aux décideurs locaux » sur la faisabilité d’un projet ou d’une analyse financière ; le Cerema, qui intervient essentiellement sur le grand cycle de l’eau (GEMAPI, désimperméabilisation des sols…), « mais aussi sur la REUT’ au niveau du petit cycle » ; l’Office français de la biodiversité (OFB), qui apporte également un accompagnement dans le cadre du label « Territoire engagé pour la nature » ; et enfin les agences d’ingénierie départementale dont la montée en puissance est également mise en avant.
Une meilleure gestion de la dette
Dernière option, l’étude met en avant les prêts longue durée comme l’offre à taux fixe de l’Agence France locale ou les « aqua prêts » lancés par la Banque des territoires en 2019. L’étude recommande en complément d’élaborer des plans pluriannuels d’investissement spécifiques, en particulier le « PPI bleu » qui s’attache au renouvellement des réseaux – la « mutualisation ou l’appui proposé par des conseils départementaux » pouvant fournir l’ingénierie nécessaire à leur élaboration.
La question se pose toutefois de l’avenir de ces dettes à l’heure du transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux EPCI, nombre de communes de montagnes ayant mis en avant le fait qu’elles continueraient à amortir leurs dettes sans toucher de recettes (lire Maire info du 25 mars).
Un tableau synthétique à la fin de l’étude permet d’identifier plus facilement les diverses sources de financements et les projets potentiellement concernés.
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